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Sommaire Allemagne Printemps 2004 - Pessah 5764

Éditorial - Avril 2004
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Éthique et judaïsme
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Le Musée juif de Berlin

Par Roland S. Süssmann
Le terme «Jüdisches Museum Berlin», Musée Juif de Berlin a une consonance macabre en soi car, d’une certaine manière, il met concrètement un point final à l’histoire des Juifs allemands. Il est vrai qu’aujourd’hui, il y a des Juifs en Allemagne, mais la riche épopée des Juifs allemands a été brutalement interrompue par les Allemands eux-mêmes et leur collaboration avec les nazis. Au cours des dernières années, j’ai visité des musées juifs dans le monde entier. J’ai constaté que plus une nation et un peuple ont à se reprocher à l’égard des Juifs, plus les musées juifs ou «sur les juifs» sont beaux, modernes, riches, impressionnants et bien faits. Le musée de Berlin ne fait pas exception à cette réalité et s’inscrit parfaitement dans cette ligne tant par son ampleur excessive et sa complexité que par le nombre d’erreurs et d’omissions fondamentales concernant notre religion ainsi qu’une partie de l’histoire et des traditions juives.
Le Musée juif de Berlin vient rappeler qu’avant la Deuxième Guerre mondiale, il existait en Allemagne une communauté juive extraordinaire, dont les membres les plus brillants ont contribué de manière significative à l’essor du pays. Il évoque également le fait qu’inventeurs, scientifiques, industriels, artistes, éditeurs, commerçants et banquiers juifs de tout premier plan ont été évincés, chassés ou assassinés. Ce qui est macabre dans la démarche de la création et de l’établissement d’un tel musée est le fait que ses promoteurs estiment ainsi rendre justice à la mémoire d’une communauté juive décimée. Ce n’est bien entendu pas là le message officiel du musée, mais c’est cette pensée qui est présente de manière lancinante à travers toute l’exposition. Officiellement, le but et l’esprit du Jüdisches Museum Berlin peut se résumer ainsi: «Il s’agit de tirer les leçons du passé, d’éviter que ces horreurs ne se reproduisent et surtout de permettre aux jeunes d’apprendre l’histoire présentée ici, afin que l’Allemagne d’aujourd’hui développe une société plus tolérante surtout à l’égard des minorités qui y vivent». Ce qui est curieux, c’est que l’ensemble des publications officielles et des communications de la direction du musée mettent tout en œuvre pour souligner ce message qui lui semble essentiel: «Nous ne sommes pas un musée sur la Shoa».
Malgré tout, il faut reconnaître que le musée a relevé un défi assez énorme, celui de réduire l’histoire du Judaïsme allemand à une simple exposition. C’est pour cette raison que, bien que les expositions très bien faites ne présentent que l’essentiel, il s’agit d’un musée surchargé d’objets, de documents et de commentaires, pas toujours faciles à comprendre… et à digérer. Une certaine lourdeur inhérente au caractère allemand n’est certes pas étrangère à cette forme de présentation.
C’est dans cet esprit que l’exposition du musée, basée sur trois piliers, communique avec ses visiteurs. Le premier a pour but de rappeler l’histoire des Juifs allemands, en démontrant que leur présence en terre germanique remonte au IIIe siècle et qu’ils y ont vécu, avec des hauts et des bas, jusqu’à leur anéantissement par les Allemands nazis. A cet égard, il est assez intéressant de constater que tout l’aspect relatif à la vie juive orthodoxe et de stricte observance du judaïsme allemand d’avant-guerre est réduit à une portion congrue, pour ne pas dire inexistante. S’agit-il d’une omission volontaire, d’une erreur ou simplement d’ignorance ? Le second aspect concerne l’explication de la vie juive, de la circoncision au décès et enfin, le troisième volet est consacré à la Shoa.
La première partie de l’exposition, «Deux mille ans d’histoire germano-juive», est divisée en quatorze sections, qui suivent les chemins de l’histoire. La présence juive est démontrée par un édit datant de l’an 321 adressé par l’empereur Constantin au magistrat de la région de Cologne et qui concerne les Juifs vivant dans son dicastère. L’exposition continue par le Moyen Âge, où les trois communautés les plus importantes, Speyer, Worms et Mainz, ont connu un essor intellectuel juif et un dialogue judéo-chrétien très constructif et pacifique jusqu’au jour où les Croisés, en chemin vers Jérusalem, ont assassiné des milliers de Juifs. La visite se poursuit à travers l’histoire, enrichie de témoignages personnels, dont celui d’une commerçante juive, «Glikl», de son vrai nom Glückel von Hammel (1646-1724). Cette partie de l’exposition est significative de la manière dont tout le musée est conçu. En effet, une série de stations interactives permet aux visiteurs d’entrer dans la vie de «Glikl» et, par la même occasion, d’apprendre comment se déroulait la vie quotidienne et communautaire des Juifs allemands d’alors. C’est sous cette forme de présentation que l’exposition continue, allant des Juifs de cour à Moses Mendelssohn en passant par l’évolution de la communauté juive face à la montée du judaïsme réformé et à l’évolution des droits des Juifs, aux interdits auxquels ils étaient soumis, y compris les professions dont ils étaient exclus.
La seconde partie du musée, celle consacrée à la vie juive, assez superficielle, présente l’essentiel des lois, traditions, us et coutumes et contient un certain nombre d’erreurs fondamentales. Par exemple, la Bar-Mitzvah est symbolisée par un cadeau et la montée à la Torah est décrite comme le moment le plus important de cette occasion, alors qu’il s’agit de la mise des tefillins ! Dans son ensemble, cette section du musée offre au public général une information succincte sur ce qu’est le judaïsme. Il ne faut pas oublier que le musée ne s’adresse pas à une audience avertie et informée, mais avant tout à la grande masse allemande, en particulier à la jeunesse qui, lorsqu’elle entend le mot «juif» fait automatiquement une association avec le terme «Auschwitz». L’idée est de démontrer à ce public et surtout aux adolescents allemands en général et berlinois en particulier, que les Juifs ne sont pas que des victimes des Allemands, mais qu’ils ont une culture et un mode de vie particuliers. De plus, il s’agit de souligner qu’il existait une vie juive en Allemagne avant 1933.
Le dernier chapitre est consacré à la Shoa. Celui-ci est construit crescendo, par une introduction interactive très bien faite. L’exemple suivant illustre bien la manière dont cette partie de l’exposition est conçue. Sur un petit écran, le visiteur a la possibilité d’en apprendre davantage sur l’application directe des lois antijuives de Nuremberg. Ces lois sont présentées sous forme de choix multiples. En effleurant par exemple la boîte de dialogue sur l’exclusion des avocats ou des instituteurs juifs, un plan de la ville de Berlin apparaît, relevant en sur-imprimé coloré les tribunaux et les écoles. En cliquant avec le doigt sur l’un ou l’autre des immeubles, toute une explication avec un choix de photos de l’époque s’offre au visiteur. Celui-ci est progressivement introduit dans l’horreur, permettant ainsi une prise de conscience lente mais marquante.
Toutefois, malgré une présentation didactique remarquable, le musée est stigmatisé d’un espace scandaleux et vomitif, qui emplit chaque être normal de dégoût. Il s’agit du «vide de la mémoire», création nommée «Gefallenes Laub» - Feuilles mortes - réalisée, comble de l’ironie macabre, par un sculpteur israélien du nom de Menashé Kadishman (s’agit-il d’un nom prédestiné puisque le Kadish est la prière des morts ???). A première vue, ce n’est qu’un espace dégarni en béton, qui symbolise le vide laissé en Europe par l’assassinat des Juifs. Mais au sol se trouvent 10'000 rondelles en acier sculptées en forme de visages torturés, la bouche ouverte. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous y sont représentés avec la figure déformée des personnes ayant connu la mort dans les chambres à gaz. La vue de cette «œuvre d’art» rappelle l’ouverture des portes des chambres à gaz après les gazages des Juifs par les Allemands. La seule vue de cet endroit est écœurante en soi mais, comme si cela ne suffisait pas, «l’artiste» et le musée invitent le visiteur à déambuler sur ces plaquettes en fer, sur ces visages torturés, bref à bafouer de leurs talons la mémoire des Juifs assassinés. Et cela en plein centre de Berlin, ancienne capitale du Troisième Reich ! Interrogé sur le sens de son œuvre, M. Kadishman aurait déclaré: «Mes sculptures rappellent douloureusement le souvenir de toutes les victimes innocentes d’hier, d’aujourd’hui et de demain».
Le musée dispose d’un centre d’études remarquable, le Rafael Roth Learning Center, sorte de mémoire virtuelle du musée, où il invite les visiteurs de tous âges à aller de découverte en découverte sur la culture et l’histoire des Juifs d’Allemagne et du judaïsme en général. Dix-huit terminaux d’ordinateurs permettent à ceux qui le souhaitent de se lancer dans une recherche interactive sur plusieurs siècles de vie juive. De plus, un catalogue offre une information très complète sur chaque objet exposé dont les caractéristiques, dans le cadre de l’exposition même, ne sont mentionnées qu’avec une affichette.
Un reportage sur le «Jüdisches Museum Berlin», qui se veut avant tout un musée de l’aspect juif de l’histoire allemande et en aucun cas de la présentation du judaïsme, ne saurait être complet sans un mot sur l’architecture. Le fameux architecte Daniel Liebeskind, gagnant du concours pour la reconstruction de Ground Zero à New York, où se trouvaient les fameuses «Twin Towers» détruites par des terroristes arabes, a été chargé par les promoteurs du musée, dont le Gouvernement allemand est l’acteur principal, de construire cette nouvelle institution, inaugurée le 9 septembre 2001. La forme de l’immeuble rappelle celle d’un éclair pétrifié et signifie la douleur du peuple juif figée à tout jamais. On retrouve cette expression dans les corridors souvent sombres, surtout au sous-sol. Là, le visiteur suit tout d’abord l’axe de l’exil qui comporte des vitrines où sont exposés des objets ayant appartenu à des familles expulsées, avant d’arriver dans les jardins de l’exil (curieux ensemble en béton instable et glissant) et dans la rue de l’anéantissement (où des vitrines rappellent des destins particulièrement tragiques), qui mène à la tour de l’holocauste. Il s’agit d’un espace en béton noir et nu, d’une tour terrifiante de trois étages de haut, fermée par une lourde porte en métal laissant juste filtrer un peu de lumière faible par des interstices, bref un endroit glacial idéal pour attraper froid. Ce lieu de désolation permet au visiteur de se sentir abandonné de tous et terrifié. Tout indique que le concepteur a voulu faire ressentir ce que l’on peut éprouver lorsque l’on sent un wagon de train ou une porte de chambre à gaz se refermer sur soi. A cet égard, il faut souligner qu’une personne normale et avertie ne comprend pas très bien l’utilité et le bien-fondé d’une telle installation. Le musée est d’ailleurs construit de manière à ce que l’endroit puisse être évité… Cet ensemble de couloirs aboutit néanmoins à une note d’optimisme, «l’axe de la continuité», qui débouche sur d’énormes escaliers (il y a aussi un ascenseur, assez mal indiqué) qui mènent aux salles d’exposition à proprement parler. Là, le visiteur est confronté à un ensemble compliqué de couloirs, de dédales, de lignes, de surfaces, de murs irréguliers, de recoins insoupçonnés, d’enfilades et d’alignements. Cet ensemble symbolise la complexité et l’interdépendance très serrée qui lie l’histoire de l’Allemagne à celle de sa population juive. L’amas des objets est présenté sans âme, un peu comme une observation scientifique. Cela provient probablement du fait que le réalisateur de l’exposition, l’anthropologue (ce qui en dit long sur l’esprit dans lequel il a abordé son travail) néo-zélandais Ken Gorbey n’est pas juif, n’a aucune sensibilité juive et a réalisé cette exposition comme il a fait le Te Papa Museum de Wellington.
Si le message et même l’identité du musée sont en définitive assez ambivalents, une leçon très claire émerge d’une visite en ce lieu qui, à première vue peut sembler curieux mais qui, en définitive, gagne à être connu. En effet, l’ensemble de l’exposition du «Jüdisches Museum Berlin» démontre clairement que la symbiose judéo-allemande si sincèrement prônée était vouée à l’échec, comme l’était et l’est encore toute forme d’assimilation. L’Allemagne, la nation où la société juive se voulait être la plus assimilée et où l’intégration était la plus forte et la plus répandue au détriment des valeurs et des traditions juives, a inventé Auschwitz. D’ailleurs, en 1933, lorsqu’il lui a été interdit de travailler et d’exposer, Max Liebermann, le fameux peintre juif allemand, totalement assimilé, a déclaré: «Bien que cela ait été très dur pour moi, je me suis éveillé du rêve de l’assimilation».
En définitive, le «Jüdisches Museum Berlin», qui ne veut surtout pas être un lieu du souvenir du crime allemand à l’égard du peuple juif (l’attaché de presse m’a bien spécifié: «Wir sind kein Holokaustmuseum – nous ne sommes pas un musée de la Shoa») sert en fait les intérêts de l’Allemagne actuelle qui met tout en œuvre afin d’être acceptée par le monde civilisé comme un pays où évolue une société authentiquement démocratique et un État libéral, bref une nation qui aurait regagné le droit moral d’élever sa voix contre le racisme, pour la tolérance religieuse et pour le droit des minorités. En effet, l’Allemagne de ce début du XXIe siècle n’a pas obtenu son statut d’autorité morale parmi les nations. Ce musée ne contribuera en rien à sa réhabilitation, tout comme le fait que cent mille Juifs vivent aujourd’hui en Allemagne ne contribuera pas à raviver le judaïsme allemand.
A ce jour, plus d’un million et demi de visiteurs se sont rendus dans le «Jüdisches Museum Berlin», dont une bonne partie d’écoliers berlinois.
Ce musée est un musée «sur les juifs» et non pas un musée juif, comme il existe un certain humour «sur les juifs» qui n’a rien en commun avec l’humour juif… Il laisse un arrière goût amer. Une visite à cette institution vaut le détour, mais pas au point d’entreprendre spécialement un voyage à Berlin.


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