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Sommaire Allemagne Printemps 2004 - Pessah 5764

Éditorial - Avril 2004
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Pessah 5764
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    • La conférence de Wannsee du 20 janvier 1942 [pdf]
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Éthique et judaïsme
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Société
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Les Juifs de Berlin

Par le Dr Hermann Simon *
Je me rappelle très bien de ma Bar-mitsvah le 27 avril 1962, il y a donc près de 42 ans. Chaque fois que je me rends dans «ma» synagogue de la Rykestrasse à Berlin – et je le fais souvent – je me souviens de cet événement très important de ma vie. Mais bien plus que la cérémonie solennelle du shabbat matin, c’est la «répétition générale» du vendredi soir après l’office qui me revient régulièrement à l’esprit. Le rabbin Martin Riesenburger m’avait demandé de lire ma Paracha (section hebdomadaire du Pentateuque lue le samedi matin dans les synagogues) et la Haftarah (section hebdomadaire des livres des prophètes lue le samedi matin dans les synagogues, après la lecture de la Paracha). Contrairement aux autres jours de cours, le rabbin était très énervé, même irrité et m’a fait comprendre qu’il pensait qu’après ma Bar-mitsvah, la continuité de la petite communauté juive de Berlin-Est serait progressivement réduite et qu’en réalité, sa fin était proche. Je n’ai pris pleinement conscience de sa préoccupation d’alors qu’une fois que j’ai été personnellement confronté aux problèmes existentiels d’une communauté qui devenait de plus en plus restreinte et qui était effectivement menacée de disparaître et ce malgré son histoire glorieuse.
On estime généralement que la date de la fondation de la communauté juive de Berlin remonte au mois de septembre 1671, quand le prince Friedrich Wilhelm accorda l’asile, le 21 mai 1671, à cinquante familles juives expulsées d’Autriche. En septembre de la même année, il permit aux familles de Benedict Veit et d’Abraham Ries de s’installer à Berlin. C’est avec une petite pointe de fierté que je réalise que je suis apparenté à la famille Ries, ce qui fait que mes enfants représentent la treizième génération de Juifs berlinois.
La plus ancienne trace d’une présence juive dans la région berlinoise remonte à plus de 750 ans: une pierre tombale révèle qu’un certain Jona a été enterré en 1244 dans le cimetière juif de Spandau. La première indication documentée dans les archives municipales date du 28 octobre 1295. Il s’agit d’un document interdisant aux tisserands de laine «de se procurer du fil chez les Juifs». La situation des Juifs avec leur entourage était déjà marquée par la contradiction entre l’intégration et l’exclusion forcée. Il est évident que si les tisserands de laine n’avaient pas eu l’habitude de se procurer du fil chez les marchands juifs, l’interdiction relative à cette relation d’affaires n’aurait pas été expressément publiée.
L’histoire des Juifs de Berlin est marquée par une suite d’expulsions et d’humiliations. Dès 1349, ils ont été rendus responsables de l’apparition de la peste, surnommée la mort noire. Leurs maisons ont été mises à feu et ils ont été assassinés ou expulsés. Des persécutions ont également eu lieu au cours des années 1446, 1510 et 1571, le point culminant de cette période étant le 19 juillet 1510 où, sur la place du «Neuen Markt» (Nouveau marché) située devant l’église «Marienkirche», 38 Juifs ont été exécutés. Ces meurtres ont eu lieu à la suite d’une effraction dans une église à Knoblauch au cours de laquelle, entre autres, des hosties consacrées avaient été volées. Un Juif a alors été faussement accusé de la profanation d’hosties saintes. Victimes d’un meurtre judiciaire, les 38 Juifs ainsi assassinés sont entrés comme martyrs dans l’histoire juive. A l’époque, l’histoire des Juifs de Berlin semblait avoir touché à sa fin mais, sous prétexte de leur participation au crime présumé de leur coreligionnaire, tous les Juifs de la région ont été expulsés. Le non-fondé de ces accusations a ensuite été démontré par Josel von Rosenheim à Francfort lors des journées parlementaires de 1539. Contrairement aux préjugés qui se perpétuent de génération en génération, cette rectification et les élucidations qui ont suivi n’ont pas eu d’effets durables.
L’année 1571 a été marquée par l’affaire relative au fameux et tristement célèbre grand argentier Lippold. Nommé en 1556 comme personnalité principale des Juifs de la ville, M. Lippold avait réussi à se rendre indispensable pour son maître, Joachim II, connu pour sa prodigalité. Son devoir principal était d’établir la provenance des Juifs qui venaient s’installer à Berlin, de faire un constat de leur fortune et surtout de leur fixer le montant d’une taxe obligatoire payable en faveur du prince. C’était également lui qui fixait le montant annuel des impôts redevables par le grand public ainsi que la somme des donations annuelles que la communauté juive devait obligatoirement faire aux autorités fiscales de Berlin. Il avait également une affaire de prêts sur gages et de crédits. Lippold était donc aussi bien détesté des Chrétiens que des Juifs. Lors du décès de son bienfaiteur, Joachim II, dans la nuit du 3 janvier 1571, toute la haine accumulée depuis des années contre Lippold s’est déchaînée. Le nouveau prince Johann Georg a fait incarcérer Lippold, l’accusant d’avoir ensorcelé et empoisonné Joachim II. Son procès a duré ensuite deux ans et en définitive, il a été condamné à mort et exécuté en 1573. Les Juifs de la région ont alors été spoliés de la totalité de leurs biens et expulsés «pour l’éternité». Suite à ces événements, les Juifs ont été interdits de résidence dans le pays de Brandenbourg pendant une centaine d’années. Ce n’est que par le fait de l’édit du prince Friedrich Wilhelm en 1671 que des Juifs sont revenus s’installer à Berlin.
Le 17 avril 1750, une ordonnance particulière a été publiée disant que le nombre de Juifs autorisés à vivre à Berlin était limité à 203 ordentliche Juden (lit. Juifs ordinaires dépourvus de droits) et à 63 Schutzjuden (lit. Juifs protégés disposant de certains droits mais pas émancipés). Selon cette disposition, la société juive a été subdivisée en six groupuscules et une réglementation très sévère a régi la présence des Juifs établis à Berlin sans ce fameux statut de protection. L’illustre politicien français Mirabeau avait d’ailleurs défini ce règlement comme «moyenâgeux» et «digne des cannibales».
L’un des plus célèbres sujets de Friedrich II était Moses Mendelssohn (1729-1786). Il était étranger, avait fui le ghetto de Dessau-auf-der-Oder et était arrivé en Prusse en automne 1743 à 14 ans. Le jeune Moshé mi Dessau (Moïse de Dessau) avait parcouru le chemin à pied cinq jours durant, avant d’être autorisé à passer le portail dit «Rosenthaler Tor» et d’entrer à Berlin. Au début, il n’était qu’un Juif étranger sans protection et ce n’est qu’une fois engagé, en 1750, comme précepteur chez un Juif protégé, Isaak Bernhard, qu’il a reçu le statut «d’employé», ce qui lui conférait le droit d’être considéré comme Juif de Berlin tant que durerait son engagement. Finalement, c’est en 1763 qu’il a enfin obtenu le statut de Juif protégé, à titre exceptionnel.
A la demande expresse du Roi, l’Académie de Prusse avait refusé d’accepter comme membre Mendelssohn, le philosophe éclairé allemand et Juif pratiquant. La spécificité de Moses Mendelssohn résidait justement dans cette double synthèse qui lui a si bien réussi: à la fois philosophe des lumières allemand et Juif pratiquant. Il pensait qu’il s’agissait là d’une solution idéale pour vivre en tant que Juif en Allemagne. Or l’expérience a prouvé que son exemple ne pouvait s’appliquer qu’à de très rares individus et en aucun cas servir de modèle pour l’ensemble de la société juive. La connaissance parfaite de deux cultures, de leurs langues, de leurs littératures, de leur histoire, etc. était un but atteignable par une infime minorité. Après le décès de Mendelssohn, les contradictions sont apparues. Elles ne concernaient pas la question de savoir dans quelle mesure la culture allemande devait faire partie intégrante de l’éducation juive, mais elles soulevaient la difficulté d’établir les règles définissant ce qui devait être considéré comme étant absolument nécessaire dans la religion juive, surtout sur le plan de la pratique religieuse. A cet égard, toutes les tendances du judaïsme allemand se sont réclamées de Mendelssohn. Même le mouvement philosophique des Lumières en Europe de l’Est a tiré ses racines de ses enseignements. Il en découle que Moses Mendelssohn doit être considéré comme un personnage clé de notre histoire même si, de son vivant, il n’a jamais aspiré à ce titre. C’est pourtant lui qui a ouvert la voie vers l’égalité des droits pour les Juifs d’Allemagne et qui est reconnu, à juste titre, comme l’incarnation et le symbole de l’émancipation juive. Au temps de Moses Mendelssohn, la communauté juive de Berlin n’a pas été uniquement un facteur important de la vie économique de la région, elle a joué un rôle progressivement croissant dans la vie culturelle publique. C’est à Berlin que le processus d’harmonisation entre les Juifs et le reste de la population allemande a vu le jour.
En mars 1812, les forces progressives de Prusse ont obtenu un grand succès: un édit présenté par Hardenberg donnait enfin aux Juifs sous protection plus de liberté, même si cette démarche ne leur conférait pas encore l’égalité des droits. Sur la base de l’édit de 1812, les Juifs des principales provinces prussiennes ont été pratiquement mis à égalité avec leurs concitoyens chrétiens. Mais ceci n’a pas duré. Si je me souviens bien des entretiens que j’ai eus dans ma jeunesse avec des personnes âgées et lorsque j’écoutais les histoires de ma mère au sujet de son père, l’avocat berlinois Hermann Jalowicz, l’impression pouvait prévaloir, après coup, qu’au temps du Kaiser (entre 1871 et 1918), les Juifs étaient en fait entre de bonnes mains, bien que les tendances antisémites de l’époque ne puissent pas être négligées. Pendant cette période, Berlin a connu un essor économique extraordinaire accompagné d’un développement culturel de tout premier plan. De cette situation découlaient aussi une aisance financière et un bien-être matériel inconnus jusqu’alors. Les Juifs allemands avaient trouvé leur place tant dans le pays que dans la capitale. Ils étaient contestés, mais bien installés dans une situation qui semblait pouvoir durer. Malgré tout, ils étaient toujours exclus des services de l’État, de l’autorité judiciaire, des postes de professeurs dans les académies et des carrières militaires. Jusqu’à la fin de l’empire du Kaiser, les Juifs restèrent des citoyens de deuxième classe. L’ascension sociale ne leur était possible que par le biais de l’instruction, de la culture et par la possession de biens. Les carrières militaires et de l’administration publique, qui jouissaient d’un si grand prestige en Prusse, leur étaient inaccessibles. C’est pour cette raison qu’un si grand nombre de jeunes Juifs s’étaient inscrits dans les lycées et les universités et avaient ensuite mis intensivement à profit les possibilités économiques que leur offrait l’industrialisation. Par conséquent, c’est dans le commerce, l’industrie et les professions libérales que les Juifs de Berlin ont réalisé leurs plus grands succès. Au cours de la seconde moitié du siècle, pour un grand nombre d’entre eux, l’élévation sociale devint alors une réalité qui leur permit de passer du statut de marginaux à celui de bourgeois.
Berlin était une ville attractive. La communauté juive s’est alors développée et un certain nombre de nouvelles synagogues ont été bâties, comme celle de la Fasananenstrasse située proche de la gare intitulée «Banhof Zoo». Toutefois, le centre culturel et administratif resta dans les alentours de la «Neue Synagoge» (Nouvelle synagogue) de la Oranienbugerstrasse, ce lieu de prières construit entre 1859 et 1866, le plus grand et aussi le plus coûteux lieu de culte juif de toute la Prusse avec ses 3'200 places. L’histoire de cette synagogue est exemplaire pour l’histoire des Juifs de Berlin et leur sort. Pratiquement 72 ans après son inauguration, les nazis ont tenté de mettre le feu à l’immeuble, ce qui a pu être évité grâce à un policier résolu et courageux. Ce genre d’homme existait également dans l’Allemagne de l’époque ! La synagogue a malgré tout été détruite pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce n’était plus qu’une ruine en plein centre de Berlin. Nous l’avons reconstruite au cours des années 1988-1995, en tout cas ce qui en restait puisque la salle principale avait été détruite à la dynamite en 1958. Aujourd’hui, les coupoles dorées témoignent fièrement du passé et du présent de la vie juive à Berlin.
Un autre reflet de la vie juive à l’époque du Kaiser et de la République de Weimar est représenté par le cimetière juif de la communauté de Berlin inauguré en 1880 et situé à Berlin-Weissensee. L’attention est notamment attirée par un certain nombre de mausolées très tape-à-l’œil de la haute bourgeoisie juive avec pour but non dissimulé la promotion personnelle des succès acquis par le défunt et sa famille. En faisant un petit tour dans le cimetière, on peut trouver toutes sortes de pierres tombales, dont un très grand nombre de petites pierres homogènes et modestes déposées par les soins de la communauté pour ses membres les plus défavorisés. Il est avant tout intéressant de constater que dans la rangée d’honneur, il y a toute une série de tombes de personnalités très connues, démontrant ainsi l’importante participation des Juifs au développement de Berlin et à sa transformation en métropole de renommée mondiale.
Sur le plan culturel, c’est justement à Berlin, centre spirituel et économique du judaïsme allemand, que la contribution des Juifs est particulièrement notable. Les noms des écrivains et des cinéastes de réputation internationale ne peuvent pas être mentionnés ici, la liste serait beaucoup trop longue. La même constatation s’applique au monde de la musique, de la peinture et de la sculpture, de la presse et de l’édition. D’ailleurs, un grand nombre de ces Juifs proscrits et assassinés étaient des berlinois convaincus et fameux.
L’histoire des Juifs de Berlin pendant la période nazie constitue un chapitre en soi, qui pourrait faire l’objet d’un article séparé. Les années de l’annihilation ont été précédées par des années de persécutions, soit d’exclusion de la vie publique et économique. Ceux qui croyaient que lors du pogrome du mois de novembre (la Kristallnacht) et de la destruction des synagogues le point culminant du malheur avait été atteint, avaient évidemment sous-estimé les criminels internationaux. Environ 55'000 Juifs de Berlin ont été assassinés. Seuls quelques-uns ont trouvé refuge à l’étranger et ont pu survivre à la Shoa.
Après la libération, la communauté de la Oranienburgerstrasse a été assez rapidement rétablie. Heinz Galinski a alors joué un rôle important, persuadé que les Juifs et les communautés juives en Allemagne avaient une nouvelle chance. En raison des différents systèmes politiques en place à Berlin, la communauté, pourtant unie jusque-là, a été divisée en 1953 en deux communautés indépendantes. Elles n’ont été rassemblées qu’après la réunification politique de l’Allemagne.
Aujourd’hui, la communauté juive de Berlin compte environ 12'000 membres dont la plupart sont originaires des États de la C.E.I., à savoir l’ancienne Union soviétique.
Depuis mon enfance, je me rends régulièrement Shabbat et les jours de fête dans une synagogue située dans le quartier du Prenzlauer Berg, au nord de la ville, synagogue dans laquelle j’ai célébré ma Bar-mitsvah. Combien de fois le téléphone a sonné chez moi le vendredi soir (alors que pour bien faire il ne faudrait pas le décrocher en ce jour de repos shabbatique) afin de me demander de bien venir le lendemain matin à la synagogue afin d’assurer le mynian (quorum de dix hommes requis pour pouvoir célébrer un office en commun). Aujourd’hui, je ne reçois plus ce type d’appels non pas parce que les fidèles sont devenus plus religieux et ne téléphonent plus le jour du Shabbat, mais parce que la synagogue est pleine. Récemment, j’ai dit à une connaissance: «Samedi dernier, nous étions une bonne vingtaine» ce qui, dans notre situation, est énorme. La majorité des participants parle russe, le groupe des «russes» est très hétérogène: les uns viennent de Moscou et de St. Petersbourg, certains sont originaires des pays Baltes, d’autres d’Asie centrale. Le sort a voulu qu’ils atterrissent à Berlin. Ce sont des «Russes à Berlin», mais leurs enfants et leurs petits-enfants deviendront des Juifs berlinois et seront – du moins je l’espère – conscients de la grande responsabilité historique qui pèse sur leurs épaules.
Le souci et les craintes du rabbin Riesenburger, il y a plus de 42 ans, étaient donc infondées !


*Le Dr Hermann Simon est directeur de la fondation «Neue Synagoge Berlin – Centrum Judaicum ».

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