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Sommaire Antisémitisme Automne 2000 - Tishri 5761

Éditorial - Automne 2000
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Roch Hachanah 5761
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Sachsenhausen

Par Roland S. Süssmann
Pour la plupart d’entre nous, le terme «Baraque 38» ne signifie rien. Pourtant, nombreux sont ceux pour qui la seule évocation de ces mots fait frémir. Mais où donc se trouve cet endroit si épouvantable ? Au camp de concentration de Sachsenhausen, situé à environ 30 km de Berlin, près de la petite ville d’Oranienburg qui, dès l’avènement du nazisme, était fièrement surnommée «SS-Stadt». C’est d’ailleurs là que le tout premier camp de concentration, qui n’en portait pas encore le nom, avait été établi par les SS, dans une ancienne brasserie désaffectée où les opposants politiques étaient torturés et assassinés.
Les baraques 37, 38 et 39 étaient connues sous le nom des «baraques juives» de Sachsenhausen, camp qui fut établi en 1936, dès la nomination du Reichführer Heinrich Himmler au poste de Chef de la police. Des milliers de Juifs y furent entassés, à 400 dans des dortoirs prévus pour 140, avant d’être assassinés ou déportés vers Auschwitz. Aujourd’hui, la «Baraque 38» est transformée en musée, mais les responsables de ce lieu du souvenir refusent qu’un oratoire ou un lieu de recueillement spécifiquement juif y soit établi. Ils font totalement abstraction du fait que les milliers de Juifs qui y ont souffert le martyr et péri dans des conditions inhumaines indescriptibles, ont littéralement crevé en ayant les mots «Shema Israël» sur les lèvres. Dans une conversation avec le conservateur et directeur de l’ensemble des «Brandenburgische Gedenkstätten» (lieux du souvenir brandebourgeois) qui inclut le Camp de Sachsenhausen, le terrible Camp féminin de Ravensbrück et le Musée de la marche de la mort, le Dr Günter Morsch nous a expliqué qu’aujourd’hui, le camp est avant tout un grand cimetière et un centre d’instruction sur le passé et que par conséquent, un lieu de recueillement juif n’y a ni sa place ni sa raison d’être… Selon lui, ce sujet a été très débattu au sein même de son administration qui est arrivée à la conclusion «qu’il serait faux de mélanger souvenir, information et sentiments religieux»….
Il n’est donc pas étonnant qu’un lieu de la Mémoire administré dans un tel esprit soit la cible de néo-nazis. En effet, en l992, la «Baraque 38» a été incendié par un nazillon, officiellement «en état d’ébriété», et a été reconstruite tout en laissant apparaître les stigmates de l’incendie sur ses murs et ses portes. Aujourd’hui donc, dans ce lieu d’exposition et d’information présentant la vie quotidienne des Juifs dans le camp et les crimes des Allemands dont une partie des petits-fils veut démentir la Shoa, deux éléments sont réunis: la culpabilité des Allemands d’alors et les murs calcinés par leurs petits-enfants aujourd’hui. C’est là une indication claire que ceux-ci sont prêts à réitérer les actes de leurs grands-parents. De plus, bien que la presse allemande n’en parle pas, il n’est pas rare que des gens se rendant en visite à Sachsenhausen soient verbalement agressés à l’entrée du camp par des néo-nazis. Ce n’est pas pour rien que l’endroit est bien gardé et qu’une surveillance discrète (caméras disposées un peu partout ) a été mise en place.
Le camp fut construit en été 1936 par des prisonniers selon des plans dessinés par des architectes SS. Il devait servir d’exemple pour toutes les constructions des autres camps. Sachsenhausen n’était pas seulement un camp exemplaire, c’était aussi un centre où étaient formés et sélectionnés les meilleurs éléments, des tortionnaires et des criminels allemands qui allaient opérer dans tous les camps de concentration et d’extermination à travers le Reich.
Lorsque je me suis trouvé sur la tourelle de commandement située à l’entrée du camp, mon guide, un jeune prussien blond, m’expliqua que de ce lieu, il était possible «de contrôler pratiquement tous les mouvements du camp avec une seule mitrailleuse ! ».
Entre 1936 et 1945, plus de 200 000 personnes ont été internées à Sachsenhausen. Des dizaines de milliers y moururent de faim, de maladie, de mauvais traitements ou d’opérations systématiques d’anéantissements menées par les Allemands. Celles-ci étaient conduites de plusieurs manières. Les prisonniers étaient amenés à la station «Z», lieu portant ce nom car il était le dernier visité, l’entrée du camp étant désignée par la lettre «A». La station «Z» comportait la «Genickschussanlage» (installation pour tirer dans la nuque), une chambre à gaz et un four crématoire. Dans la «Genickschussanlage», le détenu était placé contre un mur, officiellement dans le but d’être mesuré. Une fois installé, une main invisible lui tirait une balle dans la nuque par une petite ouverture faite dans le mur. Le corps du supplicié était alors immédiatement transféré dans le four crématoire qui se trouvait à quelques mètres de là. Quant à la chambre à gaz, située au même endroit, elle servait de lieu d’expérimentation pour les assassinats par le gaz. C’est là que le Zyklon A, le gaz liquide, fut expérimenté, mais abandonné, les victimes mettant trop de temps à mourir…
Aujourd’hui, il ne reste rien de la fameuse station  «Z». Les Communistes ont fait détruire la «Genickschussanlage», le four crématoire et la chambre à gaz. Ils y ont laissé quelques vestiges recouverts d’un baldaquin en béton… un lieu de recueillement entouré de barbelés où s’amoncellent des fleurs, tel un torrent de larmes.
Lors de l’évacuation du camp fin avril 1945, des milliers de prisonniers périrent au cours des marches forcées. Finalement, c’est l’Armée rouge qui libéra le camp, y trouvant 3000 malades mourants ainsi que quelques médecins et aides-soignants.
Une visite de Sachsenhausen est particulièrement impressionnante parce qu’elle permet de ressentir la dimension scientifique, géométrique, méticuleuse et volontaire de l’horreur à l’allemande. La terreur national-socialiste a imprégné cette terre avec le sang de dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Après la guerre, les Soviétiques ont utilisé l’infrastructure existante pour en faire un campement spécial où, entre 1945 et 1946, 12 000 personnes sont mortes de faim et de maladie. Le charnier contenant ces corps ne fut découvert qu’après la réunification de l’Allemagne.
En visitant Sachsenhausen, on mesure la dimension économique du crime, le véritable vol qui était partie intégrante de la Shoa. Outre toutes les considérations antisémites et racistes, l’assassinat de six millions de Juifs en Europe constitue un crime dont le but était de déposséder les victimes de leurs pauvres biens, de supprimer les éléments de la société considérés comme improductifs ou dérangeants et, par la même occasion, d’assurer un bien-être et un enrichissement aux membres de la race supérieure et à leur descendance qui, dans de nombreux cas, en profitent encore aujourd’hui. Bien évidemment, pour les victimes des atrocités commises, pour les familles décimées, pour les hommes et les femmes estropiés et marqués à vie, les motivations sont en fait sans importance.
L’entrée du camp est fermée par un grillage portant les mots «Arbeit macht frei», le travail libère. Entre 1936 et 1939, les prisonniers internés étaient avant tout des opposants politiques. C’est après la Kristallnacht, ce pogrome du 9 novembre 1938, que ce fut au tour des Juifs, des Tsiganes, des homosexuels et de tous ceux que les Allemands estimaient de constitution biologique inférieure en provenance de toute l’Europe, de découvrir la réalité de Sachsenhausen. Au fur et à mesure que les nazis occupaient les différents pays, des milliers de prisonniers y étaient expédiés, pour y être exploités et assassinés par le travail forcé. Tout dans le camp démontre à quel point le calcul était froid et uniquement destiné au profit. Il existait par exemple des zones constituées de sols différents: de la boue, des cailloux, du gravier, etc. Les prisonniers devaient marcher toute la journée sur ces surfaces afin de tester les semelles pour l’armée. On imagine facilement du genre de torture qu’il s’agissait.
Dans la «Baraque 38», transformée en musée, il y a une vitrine contenant des morceaux de cuirs déchirés. Les Allemands savaient que les déportés cachaient de petits objets de valeur dans les semelles de leurs chaussures, les doublures de leurs habits ou dans des ceintures. Ils ont affecté tout un groupe de détenus pour dépiauter les oripeaux des prisonniers afin d’y trouver d’éventuels trésors cachés, puis ont créé une usine de recyclage afin de réutiliser chacun des objets volés aux déportés.
Dans le camp, il existait également un secteur annexe où vivaient ceux qui étaient affectés à un commando de travail intitulé «Klinkerwerk». Il s’agissait d’une section disciplinaire destinée aux «éléments dangereux, racialement ou biologiquement inférieurs», soit principalement les Juifs, les Sinti, les Romas, les homosexuels et les Témoins de Jéhovah, qui ne devaient pas survivre à leur incarcération. Un travail dur et dangereux effectué par tous les temps, une nourriture insuffisante, le manque de vêtements et d’hygiène, des punitions particulièrement sévères ainsi que des sévices et des brimades constantes vinrent rapidement à bout des détenus. Le témoignage d’un survivant, Arnold Weiss-Rüthel, décrit bien ce qui se passait au Klinkerwerk: « … tout se faisait au pas de course, tous devaient courir avec ou sans chargement. Les chefs de groupe hurlaient et frappaient avec de gros gourdins de bois sur les détenus qui ne couraient pas assez vite. Les hommes s’effondraient sous le poids des barres d’acier et se relevaient en gémissant sous la lourdeur de leur chargement.» Outre les ateliers, le Klinkerwerk avait un autre secteur de travail, l’assèchement d’un marécage, où les hommes mouraient d’épuisement ou de noyade lorsqu’ils n’étaient pas exécutés par leurs gardiens. Il n’y eut aucun survivant.
S’il est vrai qu’en tant que Juifs nous sommes tout d’abord sensibilisés par les baraques juives, la suite de la visite nous informe sur l’ampleur du camp et de l’horreur qui s’y déroulait au quotidien, quantifiée, organisée et contrôlée de manière systématique.
Après la visite de la «Baraque 38», on arrive au mitard. Cet ensemble de cellules, les «prisons du camp», est l’horreur dans l’horreur. Une exposition bien proprette y présente, cellule après cellule, des documents, des dessins, des explications sur ce qui s’y passait à l’époque et sur le sort réservé à certains prisonniers. C’est également dans ces cellules que les prisonniers étaient systématiquement torturés. Dans certains cas, des détenus juifs furent autorisés à écrire des lettres d’adieu à leurs parents avant d’être transférés vers l’est, c’est-à-dire à Auschwitz. Les lettres furent détruites dès leur départ.
A chaque pas, on peut ressentir quelle devait être la souffrance de ces hommes, mais rien ne déclenche autant de frissons que la baraque médicale, à l’inscription «Pathologie» bien révélatrice, qui détenait aussi l’hôpital du mitard où les prisonniers blessés étaient interrogés par la Gestapo avant d’être soignés.
A l’entrée se trouve un petit bureau où le médecin chef recevait ses «patients». La pièce suivante, la «salle de dissection», est constituée de deux tables d’autopsie où les médecins nazis effectuaient leurs expérimentations pseudo-médicales. Ce qui est frappant c’est que pour les besoins de l’exposition, tous les instruments dits médicaux sont exposés dans des vitrines… bref le tout est prêt à fonctionner à nouveau. La visite de cette baraque se termine par la descente à la morgue, une cave glaciale décorée de photos géantes de corps mutilés, où les cadavres étaient entassés !
Pour le visiteur normal, le tour se termine sur ces lieux, mais pas pour un journaliste. J’ai été invité à me rendre au siège de l’administration de la Fondation des «Brandenburgische Gedenkstätten», situé dans un énorme immeuble qui était le lieu dit de l’inspection des camps. C’est de ce site que l’ensemble des camps de la mort était administré. Toute la logistique, la gestion du gaz, les mouvements des trains, etc., tout était centralisé et décidé dans ces bureaux qui, aujourd’hui, sont proprets et modernes… C’est là que l’industrialisation du meurtre de six millions d’hommes, de femmes et d’enfants juifs peut être ressentie de façon concrète. Une petite exposition permanente est là pour rappeler les faits.
Comme tous les camps de concentration, Sachsenhausen doit être visité car si nous, Juifs, n’y allons pas, qui ira ?


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