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Sommaire Reportage Printemps 1997 - Pessah 5757

Éditorial - Avril 1997
    • Éditorial

Hanoucah 5757
    • Une petite lumiere suffit

Politique
    • La fuite en avant

Interview
    • Entretien avec S.E.M. Arnold Koller, président de la Confédération helvétique

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Judée - Samarie - Gaza
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Reportage
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Destin
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Éthique et Judaïsme
    • Découvertes et ingérences

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Le Musée juif de Prague

Par Roland S. Süssmann
Les Juifs ont été les témoins de l'apogée de la ville de Prague et de son déclin. N'étant pas égaux en droit avec les autres habitants, ils ne se sentirent jamais libres et souffrirent deux fois plus que les autres dans les périodes de difficultés. C'est un peu ce sentiment ambigu qui envahit le visiteur lorsqu'il se rend dans l'ancienne ville juive de Prague, dans ce qui reste du Quartier juif de la ville. Bien que la majorité du Ghetto de jadis ait été rasé pour des raisons d'hygiène, "la Cité juive de Prague" est bien représentée en un ensemble unique de bâtiments et de monuments juifs: le Vieux cimetière juif avec ses 12 000 pierres tombales (près de 80 000 corps inhumés par couches), la synagogue Vieille-Nouvelle (Alt-Neuschul) construite en 1270 et la plus ancienne des synagogues d'Europe encore en activité, la synagogue Espagnole, la Salle des cérémonies, la synagogue Maiselova, la synagogue Haute, l'Hôtel de Ville juif, la synagogue Pinkasova et la synagogue Klausova. Tous ces monuments constituent l'essentiel de ce qui est aujourd'hui rassemblé sous un seul label, "LE MUSÉE JUIF DE PRAGUE".
Nous ne nous lancerons pas ici dans la description de chacune des merveilles que contient ce musée juif unique au monde, car des guides touristiques sont en vente pour cela. Nous nous sommes entretenus avec le Dr LEO PAVLAT, directeur du Musée, ancien éditeur et diplomate. Sous le régime communiste, le Dr Pavlat était dans la résistance intellectuelle juive du pays. Alors que la communauté juive en tant qu'institution avait été infiltrée par la police secrète, l'étudiant dissident Leo Pavlat et ses amis apprenaient secrètement l'hébreu et publiaient les seuls "Samisdat" juifs en hébreu et en tchèque qui existaient en Europe de l'Est. C'est ainsi qu'ils ont fait circuler les ýuvres sur Rashi, des écrits de Isaac Barshevis Singer et de nombreux autres. Dès la fin de la "Révolution de velours', le Dr Leo Pavlat a été nommé Second secrétaire de l'Ambassade de Tchécoslovaquie en...Israël, où il a résidé pendant quatre ans et où est née sa deuxième fille. Dès son retour en République tchèque en 1994, il a été nommé à la tête du Musée juif de Prague, fonction qu'il détient à ce jour.


L'histoire de la collection du Musée juif de Prague est assez extraordinaire. Pouvez-vous en quelques mots nous en retracer l'essentiel ?

Le Musée en tant que tel a été fondé en 1906, mais sa véritable particularité s'est développée au cours de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les Allemands ont réuni à Prague tous les objets juifs collectés dans les synagogues et communautés qu'ils avaient détruites, totalisant un ensemble impressionnant de plusieurs milliers d'objets. En fait, il s'agit de la plus grande collection de judaïca au monde en dehors d'Israël. On pense généralement que les Allemands amassaient cette collection dans le but de créer après la guerre un musée sur la race juive éteinte et disparue. Il n'est pas démontré que telle fut véritablement leur intention. Certaines hypothèses disent que, voyant que tous ces objets allaient être confisqués par les Allemands, la Communauté juive leur proposa de "s'en charger" et que pour une raison indéterminée, les Allemands avaient accepté cette offre. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une collection unique au monde tant par sa beauté que par sa diversité et surtout son ampleur. Mais un aspect plus émouvant et plus profond rend notre Musée véritablement unique. En effet, les Allemands ont tout d'abord numéroté et répertorié les objets... puis les hommes, les femmes et les enfants qui souvent étaient les propriétaires de ces mêmes objets. C'est ainsi que nous sommes nombreux à considérer le Musée juif de Prague non pas comme un simple musée, mais comme un grand monument vivant à la mémoire des victimes de la barbarie allemande. Tous les objets de notre collection proviennent d'une communauté ou d'une famille juive de Bohême ou de Moravie. Nous ne savons pas toujours qui étaient les propriétaires individuels, mais en ce qui concerne les pièces en provenance de synagogues, les Sifreï Torah et leurs ornements ou les textiles, nous pouvons en général en retracer l'origine. D'ailleurs, en ce qui concerne les textiles, nous avons le plus ancien Parohet (rideau d'arche sainte) connu au monde puisqu'il date de 1592, ainsi qu'une lignée d'objets de textiles cultuels ininterrompue jusqu'au XIXe siècle. De plus, notre collection d'imprimés et de manuscrits est fabuleuse.


Que s'est-il passé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ?

«MDNM»@tn:Pendant la Shoa, 77 297 Juifs tchèques, soit 90% de nos effectifs, ont été massacrés. Immédiatement après la guerre et jusqu'en 1950, le Musée était contrôlé par la Fédération des Communautés juives. En 1948, les communistes ont pris le pouvoir en Tchécoslovaquie et deux ans après, le Musée a été confisqué par les autorités, la version officielle étant que le Musée avait été "donné par la Fédération à l'État" ! En 1950, il est devenu "le Musée juif d'État". Il n'est de secret pour personne que le Musée a été très négligé et qu'aujourd'hui, il y a un grand nombre d'objets de grande valeur "que nous ne pouvons plus retrouver". Nous savons qu'ils apparaissent régulièrement sur les marchés noirs de judaïca en Europe occidentale et il n'est pas rare que des vendeurs viennent me proposer des pièces portant encore les numéros de collection de notre catalogue. Je ne peux évidemment pas prouver qu'elles ont été dérobées, car elles ont souvent été achetées en toute bonne foi. Il s'agit d'une expérience très amère et désagréable. Il ne fait aucun doute que notre collection actuelle est appauvrie par rapport à l'inventaire établi avant la prise en main de notre Musée par l'Administration communiste. En 1994, soit cinq ans après la chute du régime communiste, le Parlement tchèque a rejeté la loi sur la restitution de la propriété juive. Néanmoins, sur base d'une décision gouvernementale, une partie de ces biens a été restituée et c'est ainsi que le Musée a été rendu à la Communauté. Le 1er octobre 1994, le Musée a été nommé officiellement "le Musée juif de Prague" et non plus "le Musée juif d'État". Nous sommes une institution totalement indépendante, légalement enregistrée, «MDNM»et surtout non gouvernementale. Le Conseil d'administration est constitué de cinq personnes: deux délégués de la Communauté juive de Prague, deux délégués de la Fédération des Communautés juives de la République tchèque et un représentant du Ministère de la culture. Notre Musée ne se trouve pas sous un seul toit, il est dispersé dans l'ensemble des synagogues historiques du quartier juif. Nous avons la charge de ces immeubles, y compris du Vieux cimetière, mais en réalité, tout appartient à la Communauté israélite de Prague. L'immeuble où se trouve l'administration du Musée abritait l'École juive avant la Deuxième Guerre mondiale et pendant la guerre servait de bureaux à l'Administration nazie pour tout ce qui avait trait au contrôle du Musée central juif. La collection en tant que telle appartient à la Fédération des Communautés juives de la République tchèque. A ce sujet, il faut savoir qu'avant la guerre, il y avait 202 entités communautaires juives en Bohême et en Moravie, et que 153 d'entre elles n'ont pas pu reprendre leur activité après la guerre, car elles avaient été annihilées. Aujourd'hui, il n'y a plus que 10 communautés mais, en réalité, nous ne pouvons plus parler que d'une seule, celle de Prague, c'est la seule offrant les trois piliers qui sont les fondements d'une communauté: l'étude, la mikveh (bain rituel) et la cacherouth.
Techniquement et légalement, la collection du Musée appartient au judaïsme tchèque, mais nous considérons qu'il s'agit d'un élément précieux et essentiel du patrimoine du peuple juif. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour entretenir la collection et rénover les immeubles, ce qui n'est pas toujours évident financièrement. Nous recevons plus de 600 000 touristes par an, ce qui apporte une contribution importante à notre fond de roulement.


Sous le régime communiste, ce "Musée d'État" avait malgré tout une forte identité juive. Comment était-ce compatible avec l'idéologie du Parti ?

Les communistes avaient bien compris qu'il existait une clientèle touristique pour ce genre de musée. Ils ont trouvé le moyen de "déjudaïser" la collection. Par exemple, les couronnes de Torah étaient présentées dans le cadre d'une exposition générale sur l'argenterie, les Parohet faisaient partie d'une présentation globale sur les textiles, etc. C'est ainsi que les objets les plus fabuleux de notre collection étaient exposés comme de simples matériaux, sans aucune connotation juive et sortis totalement de leur véritable contexte spirituel et historique.


En plus du musée à proprement parlé, organisez-vous des expositions temporaires ?

Absolument. Nous allons présenter très prochainement une première exposition sur l'histoire des Juifs de Tchéquie et de Moravie, avec des objets issus de notre collection. La seconde exposition sera consacrée aux coutumes et traditions juives. En 1994, j'ai mis en place un programme de rénovation complet qui s'étend sur une durée de quatre ans et qui, pour l'instant, avance selon mes prévisions.


Estimez-vous que le Musée doit jouer un rôle éducatif spécifique ?

Oui, et à ce sujet je suis heureux de vous dire qu'à l'occasion des 90 ans de l'existence de notre Musée, nous avons ouvert un nouveau centre éducatif et culturel. Il est bien entendu très important de montrer les objets dans le cadre du musée, mais nous estimons qu'une simple visite de notre collection n'a pas d'influence directe sur nos visiteurs. Nous souhaitons jouer un rôle plus profond et plus actif non seulement envers la population juive, mais pour le bien de l'ensemble de notre société post-communiste. Il est très important de parler des Juifs, et ce pas seulement par le biais de la Shoa, mais aussi de démontrer la richesse et l'ancienneté de notre culture et son actualité permanente. Le centre a été inauguré par le président Vaclav Havel et pour son financement nous bénéficions de l'aide de diverses organisations juives. Toute la partie informatique a été offerte par l'ORT. Ce centre est ouvert aussi bien aux écoles qu'aux professeurs et à des individuels et actuellement, nous y traitons cinq sujets: l'histoire des Juifs en général; l'histoire des Juifs de Tchéquie et de Moravie; la Shoa en Tchéquie; l'histoire de l'antisémitisme et les coutumes et traditions juives. Il existe plusieurs programmes en fonction de l'âge et du niveau des connaissances et le centre est officiellement reconnu comme faisant partie de l'un des cours de formation des instituteurs. Nous allons aussi organiser des séminaires à divers degrés destinés à de jeunes israéliens. Bref, il s'agit d'un centre ouvert à tous ceux qui veulent en savoir plus sur le judaïsme mais je crois aussi qu'il offre une excellente source d'information à tous ces Tchèques qui aujourd'hui se découvrent des origines juives et qui souhaitent être informés de façon non contraignante sur leurs racines.


Votre collection est énorme. Comment la conservez-vous ?

Nous sommes en train de mettre en place des entrepôts qui nous permettent de protéger les objets contre l'humidité et la pollution. Comme je vous l'ai dit, sous le régime communiste, le Musée était très négligé et un très grand travail de restauration a dû être entrepris. Nous nous en occupons activement. Il s'agit d'un procédé long et coûteux. Quant aux Sifreï Toroth de notre collection, elles sont toutes parties en Grande-Bretagne en 1984 et sont aujourd'hui utilisées régulièrement dans des synagogues un peu partout à travers le monde.


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