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Sommaire Interview Printemps 1997 - Pessah 5757

Éditorial - Avril 1997
    • Éditorial

Hanoucah 5757
    • Une petite lumiere suffit

Politique
    • La fuite en avant

Interview
    • Entretien avec S.E.M. Arnold Koller, président de la Confédération helvétique

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Reportage
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Portrait
    • Le couple magique

Destin
    • De Nedjo à Princeton

Éthique et Judaïsme
    • Découvertes et ingérences

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Entretien avec S.E.M. Arnold Koller, président de la Confédération helvétique

Par Roland S. Süssmann
La question du comportement de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale a créé une sorte de "petite révolution" dans cette Suisse que nous connaissons pourtant si paisible. Le processus de remise en question et de recherche de la vérité n'en est en fait qu'à ses débuts. Afin d'avoir une image de la situation actuelle, nous nous sommes adressés au plus haut personnage de l'État, S.E.M. ARNOLD D. KOLLER, président de la Confédération helvétique, qui nous a très chaleureusement reçus dans son agréable bureau du Palais fédéral.

Depuis un peu plus d'un an, la question des fonds en déshérence et plus généralement toute l'attitude de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale dominent l'actualité dans notre pays. On a toutefois l'impression que beaucoup de choses ont été dites et écrites mais que, sur le fond, rien n'a vraiment bougé. Pouvez-vous nous dire en quelques mots comment la Suisse est aujourd'hui perçue à l'étranger, ce qui a vraiment été réalisé et surtout si le "Fond humanitaire" et la "Fondation pour la solidarité" constituent les réponses justes aux problèmes qui se posent ?

L'image de la Suisse a bien entendu souffert aux USA (surtout à New York), en Grande-Bretagne (un peu moins) et en Israël. En fait, les actions positives entreprises par la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale ont été totalement occultées. Je pense par exemple au sauvetage de la liberté et de la démocratie en Europe continentale ainsi qu'à la protection étendue à près de 300'000 réfugiés. Cela dit, je suis bien conscient du fait que la politique face aux réfugiés comportait également des aspects négatifs. Notre philosophie actuelle consiste à démontrer les aspects positifs et négatifs de toute cette question et à ramener chaque événement à sa juste valeur.
Quant à ce qui a été réalisé depuis que ce débat a commencé, je rappellerai la mise en place d'un ombudsman bancaire, de la commission Volcker (mémorandum entre l'Association des Banquiers et le Congrès juif mondial du mois de mai 1996) ainsi que la création de la commission Bergier, selon une décision unanime du Conseil fédéral du 19 décembre 1996. Celle-ci est composée de cinq Suisses et quatre étrangers, et jouit d'une indépendance totale. J'évoquerai aussi la création du fond spécial en faveur des survivants de la Shoa qui s'élève à 265 millions de francs, financé en collaboration par les banques (100 millions), les milieux économiques (65 millions) et la Banque nationale (100 millions) ainsi que la proposition d'établir la "Fondation pour la solidarité". Toutefois, je pense que ni le fond spécial, ni la "Fondation pour la solidarité" ne constituent la réponse aux questions que se pose aujourd'hui la Suisse sur les zones d'ombres qui la concernent par rapport à la Seconde Guerre mondiale. Cette réponse réside dans la mise à jour de la vérité, raison pour laquelle les deux commissions susmentionnées ont été créées. Ce sont elles qui analyseront en définitive les questions relatives aux réfugiés, à l'or volé, aux fonds en déshérence et à notre comportement pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce fond spécial est destiné à soulager immédiatement la misère de certains survivants de la Shoa. Quant à la "Fondation pour la solidarité", il s'agit d'un projet devant donner un nouveau sens et un nouveau rayonnement au principe de la politique d'État se rapportant à la solidarité.

Le professeur Jean-François Bergier a récemment déclaré que son rapport ne serait publié que dans huit à dix mois. Pensez-vous que cette commission, telle la commission Volcker, dispose de suffisamment de moyens, de personnel, d'autorité et d'indépendance politique pour travailler de façon juste et rapide ? Si oui, estimez-vous que le retard apporté à la publication du rapport nuit à sa crédibilité ainsi qu'à l'image de la Suisse ?

L'indépendance de la commission Bergier implique aussi qu'elle décide elle-même de la manière dont elle remplit le mandat qui lui a été assigné. Elle a toute latitude pour engager librement des chercheurs et déléguer certains travaux. Il en va d'ailleurs de même avec la commission Volcker. L'autorité morale et politique de ces deux organes est au-dessus de tout soupçon. Les médias contribuent d'ailleurs à ce que la transparence et l'autorité de ces deux commissions soient bien préservées. L'annonce faite par le professeur Bergier relative à la remise à une date ultérieure de la publication de son rapport n'a rien à voir avec un manque de crédibilité. Une tâche aussi importante ne peut être bâclée, elle nécessite non seulement le concours d'excellents professionnels mais aussi de beaucoup de temps. Le fait que la commission Bergier démontre combien elle prend sa tâche au sérieux ne peut en définitive qu'être bénéfique pour la Suisse. La composition même de cette commission garantit sa crédibilité; quel savant serait intéressé à mettre sa réputation en jeu ?


Vous avez proposé la création de la "Fondation pour la solidarité". S'agit-il d'une simple manoeuvre politique ou d'un geste disant: "Nous, Suisses, devons faire preuve de bonne volonté afin de mieux surmonter notre passé". Quelles sont vos véritables intentions ?

"La Fondation pour la solidarité" n'est certainement pas une manoeuvre politique, ce n'est pas non plus un simple geste de bonne volonté. Les traditions humanitaires de la Suisse doivent prendre une forme nouvelle, mieux adaptée à notre époque. En un temps où tellement de choses sont remises en question, nos valeurs fondamentales - solidarité et humanité - doivent être matérialisées par une importante oeuvre nationale. Il est évident que la concrétisation de ce projet exigera un grand travail de persuasion.


Pouvez-vous préciser et développer votre idée ?

La solidarité fait partie depuis très longtemps des principes fondamentaux de notre politique d'État. Feu le Conseiller fédéral M. Petitpierre avait reformulé ces principes après la Seconde Guerre mondiale: la neutralité - la solidarité - la disponibilité et l'universalité de nos relations internationales. Pour moi, il est évident que la solidarité est la "soeur jumelle" de la neutralité. Je pense que cette perception des valeurs s'est un peu perdue ces derniers temps, notamment après les résultats négatifs des consultations concernant l'adhésion à l'ONU et à l'EEE. La Suisse a donc de nouveau cette réputation négative de "pique-assiettes". Le Conseil fédéral est d'avis qu'il faut contrer cette situation de manière extrêmement sérieuse et concrète. La création de la "Fondation suisse pour la solidarité" s'inscrit également dans cette démarche.


Si la question de la "Fondation pour la solidarité" devait être soumise au peuple et rejetée, quelle alternative proposeriez-vous ? Si le résultat était positif, en combien de temps les premiers paiements seraient-ils effectués ? Qui seraient les bénéficiaires ? Les survivants de la Shoa seraient-ils pris en considération ?

La mise en place concrète de la "Fondation pour la solidarité" sera le résultat d'une très large opération de sensibilisation et de formation de l'opinion publique. Je ne peux donc pas encore répondre directement à votre question. Le but de la Fondation n'a pour l'instant été défini que dans ses très grandes lignes. Lors de la mise en place définitive de la Fondation, le revenu annuel de son capital s'élèvera à environ 300-400 millions de francs et devra être utilisé à moitié en Suisse et à moitié à l'étranger. Les bénéficiaires seront les victimes de pénuries, de pauvreté extrême, de violences, de génocides, de tortures et de violations graves des droits de l'homme, y compris les survivants du pire de tous les génocides, la Shoa, et leurs descendants nécessiteux. Sur le plan intérieur, je pense que ceux qui ont subi les effets de catastrophes naturelles seront parmi les bénéficiaires de ce fond ainsi que ceux, plus nombreux que nous le pensons, qui passent à travers les mailles du filet de notre protection sociale. J'espère que la Fondation pourra voir le jour en 1998, à l'occasion des 150 ans de l'État fédéral. Pour ce faire, il faudra que la prescription de la constitution ayant trait aux questions monétaires ainsi que la loi sur la Banque nationale soient amendées. Le Conseil fédéral s'attend à un résultat positif de la consultation nationale. Nous sommes persuadés de la justesse de cette fondation et nous mettrons tout en oeuvre pour qu'elle soit établie.

Auriez-vous proposé la création de cette fondation si toute la controverse au sujet des fonds juifs ne s'était pas développée ?

Comme vous le savez, en politique, il faut toujours un "déclic", l'acte gratuit n'existe pas. Dans le cas présent, c'est bien cette question qui a joué le rôle de détonateur, mais l'idée même de la Fondation va beaucoup plus loin, elle est tournée vers l'avenir et non vers le passé.


Vous ne m'avez pas répondu sur la question de l'alternative en cas de rejet.

Lorsque nous avons une idée, nous nous battons pour qu'elle aboutisse. Avant d'avoir gagné ou perdu, nous ne présentons pas d'alternative, car celle-ci ne ferait que nuire à notre idée.

Toute la controverse a mené à ce qu'un certain nombre de voix antisémites se font entendre et des dessins "humoristiques" apparaissent régulièrement. Vous-même n'avez d'ailleurs pas été épargné. Parallèlement, de plus en plus de personnes en Suisse, surtout des jeunes, souhaitent connaître la vérité sur ce qui s'est passé pendant ces années noires. Pensez-vous lancer une grande campagne éducative dans les écoles et les médias en Suisse ? Si oui, sous quelle forme, si non, pourquoi pas ? De plus, il se trouve que les organes suisses qui se préoccupent de la controverse actuelle sont entrés dans une phase de coopération plutôt que de confrontation avec les organisations juives. Pensez-vous entreprendre un travail d'information du grand public en coopération avec ces organisations, voire avec Israël ?

Ce n'est pas en raison de la récente évolution des événements que la Suisse a été sensibilisée par la question de l'antisémitisme. En 1994, le peuple a accepté une nouvelle loi punitive relative à des actes racistes. De plus, nous avons fondé une commission contre le racisme qui agit aussi contre l'antisémitisme. Celle-ci est surtout active au niveau des médias et met du matériel à la disposition des écoles. Toutefois, la Confédération ne peut pas lancer une campagne éducative à proprement parler car, selon la loi, ce sont les cantons qui sont responsables des questions pédagogiques. Bien entendu, nous ne pouvons que saluer les efforts entrepris par les cantons dans ce domaine.


Ne croyez-vous pas que la stimulation doit venir d'en haut, donc du Conseil fédéral ?

Bien entendu, c'est à nous de donner l'inspiration nécessaire au peuple, c'est ce que nous avons déjà entrepris. D'ailleurs, dans mon discours, j'ai fermement condamné toute forme d'antisémitisme.
Quant à votre question sur la coopération avec les organisations juives, je pense que dans le cadre de la lutte contre l'antisémitisme, elle est tout à fait envisageable et devrait se faire avec des organisations juives suisses, car elles connaissent le mieux notre situation spécifique. Je rappellerai également que dans mon discours du 5 mars 1997 devant l'Assemblée nationale, j'ai clairement fait comprendre la volonté du Conseil fédéral d'établir la vérité. C'est pourquoi nous avons créé la commission d'historiens dirigée par le professeur Jean-François Bergier. Il ne fait aucun doute que les résultats de ses travaux feront l'objet d'une importante discussion aussi bien auprès d'un large public que dans les écoles.


Avez-vous été étonné de la tournure des événements, notamment au niveau de la rhétorique, je pense en particulier à l'action de M. Blocher ?

En ma qualité de responsable de la politique des réfugiés en Suisse, je suis malheureusement habitué à ce genre de réactions et même à pire. Cela dit, sans vouloir rien excuser, je pense que des erreurs ont été commises de part et d'autre et certaines attaques inqualifiables contre la Suisse ont malheureusement provoqué ces remarques antisémites.
Voyez-vous, mon principal souci était de dédramatiser la situation afin que nous puissions nous attaquer au problème avec calme et objectivité. Il ne s'agit pas de réécrire l'Histoire, mais de faire face aux zones d'ombres où nous nous sommes trop facilités la tâche. Nous devons analyser avant tout les questions de la politique des réfugiés, de certaines transactions d'or de la Banque nationale et de la conduite "sans coeur" de quelques banques lors de l'identification de fonds en déshérence.


Cinquante années se sont écoulées, c'est très long. Ne pensez-vous pas que la question financière n'est finalement que secondaire et que c'est l'aspect moral qui doit prévaloir ?

La question de l'argent est effectivement problématique. Si, grâce au fond spécial, il est possible d'apporter une aide immédiate à ces survivants âgés, cela constitue un élément positif en soi. Il serait bien entendu totalement faux de penser qu'il suffit de débourser pour régler le problème.


Je suis en possession d'une lettre que le Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles vous a envoyée le 12 février 1997, vous interpellant sur la question de comptes détenus par des nazis en Suisse. Estimez-vous que ce genre d'enquête devrait être soumise à une procédure spéciale et rapide ?

Les questions soulevées par le Centre Simon Wiesenthal tombent sous le coup de la décision confédérale du 12 décembre 1996 (Art. Abs 1 Bst c). Dans ce cas comme dans toute la question qui touche à la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles normes s'imposent pour trouver des solutions. C'est d'ailleurs pour cette raison que le Parlement a voté cette nouvelle loi. Si, pour constater que des fonds nazis ont effectivement été mis en sécurité en Suisse, nous estimions utile de créer de nouveaux organes, je pense que nous n'accélérerions pas le processus permettant de faire toute la lumière sur ce problème précis. Bien au contraire, nous y ajouterions une confusion inutile. Je serais heureux si les commissions d'historiens à l'étranger coopéraient avec la commission Bergier car là aussi, il s'agit d'une question qui doit être étudiée avec le plus grand sérieux et qui demande du temps.


Les banques ont créé un fond "humanitaire". Pensez-vous qu'il s'agit d'un terme approprié pour le remboursement de fonds confiés ? Ne trouvez-vous pas le terme "humanitaire" choquant ?

Les 100 millions de francs que les banques ont versés au fond spécial ne constituent pas une forme de réparation ou de dédommagement pour d'éventuels avoirs qu'elles détiennent encore. Il ne s'agit pas non plus de dédommagements pour des demandes faites par des clients dont les traces restent introuvables. Ils ne constituent en aucun cas un paiement pour solde de tout compte. D'ailleurs, les recherches concernant les fonds en déshérence (l'ombudsman bancaire et la commission Volcker) continuent leurs activités tout à fait indépendamment de la création de ce fond. Ce dernier constitue avant tout une action immédiate dans le sens d'un geste de nature humanitaire aux victimes de la Shoa. Je ne saurais bien évidemment rien avoir à redire quant à l'expression d'une forme de solidarité ou d'une aide humanitaire en faveur de ceux qui sont passés par ces épreuves si difficiles. En ce qui concerne des prétentions légitimes existantes tant face à des individuels qu'à des États, il faut que celles-ci soient satisfaites. J'ai d'ailleurs souligné cet aspect évident du problème dans ma déclaration devant le Parlement.


Pensez-vous que l'antisémitisme ira en s'amplifiant en Suisse ?

Cela dépend de la manière dont tous les intéressés traiteront le sujet. Pour ma part, j'ai toujours apprécié la position du leadership juif en Suisse qui s'est toujours efforcé d'apporter un élément de modération et d'objectivité dans le débat.
Certaines attaques inqualifiables venues d'Outre-Atlantique étaient certainement contre-productives. Toutefois, du côté Suisse, nous avons au début manqué de sensibilité sur toute cette question de la Shoa, car nous n'av»ons pas vraiment évalué combien de familles juives ont été durement touchées par ce terrible génocide.

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