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Sommaire Reportage Automne 1998 - Tishri 5759

Éditorial - Automne 1998
    • Éditorial

Roch Hachanah 5759
    • Crainte et joie

Politique
    • On connaît le coupable

Interview
    • Témoignage de la première dame d'Israël
    • Jérusalem

Judée-Samarie-Gaza
    • Escale à Beth El

Analyse
    • La Guerre du Kippour 25 ans déja

Art et Culture
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Jeunes Leaders
    • Tzachi Hanegbi

Reportage
    • Yéroushalayim et Bucuresti
    • Survivre
    • Rencontres roumaines
    • Dynamisme et efficacité

Shalom Tsedaka
    • S.O.S. Femmes orthodoxes

Éthique et Judaïsme
    • Soulager les souffrances à quels risques ?

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Survivre

Par Roland S. Süssmann
La présence juive en Roumanie remonte très loin dans l'histoire. Certains estiment que la Roumanie constituait la toute première halte des Juifs fuyant les hordes romaines immédiatement après la destruction du Deuxième Temple en l'an 70 avant notre ère. Aujourd'hui, la Roumanie compte environ 13 000 à 14 000 Juifs et ses communautés, réparties un peu partout dans le pays, sont regroupées en une fédération dirigée par une éminente personnalité, le professeur NICOLAE CAJAL. Médecin spécialisé en virologie, membre du comité directeur de l'Académie et président de l'Association des médecins, le professeur Cajal est très apprécié dans tous les milieux et à tous les niveaux. A 77 ans, il a décidé de consacrer la majeure partie de son temps au bien-être de la communauté juive. Le professeur Cajal nous a très chaleureusement reçus dans son bureau présidentiel situé dans les locaux communautaires juste à côté de la superbe Grande synagogue de Bucarest.

Pouvez-vous en quelques mots nous brosser un tableau de la communauté juive roumaine de 1998 ?

Avant la Deuxième Guerre mondiale, la communauté juive de Roumanie comptait pratiquement 800 000 membres répertoriés. Après la guerre, il restait encore 400 000 et aujourd'hui, nous ne sommes plus qu'une toute petite communauté très réduite. L'année dernière, nos registres comptaient environ 13 000 noms et je pense qu'aujourd'hui, nous sommes 14 000. Cela étant dit, je suis convaincu qu'en fait nous sommes plus nombreux et qu'il existe encore peut-être un millier de Juifs non inscrits. En effet, lorsque nous avons publié des avis de recherche concernant les fonds en déshérence en Suisse, en une semaine 360 Juifs qui n'avaient jamais été enregistrés dans une communautée se sont présentés. Ce qui rend notre situation particulièrement difficile est le fait que la majeure partie de nos membres, soit 70% de notre communauté, a plus de 65 ans. Seulement 800 Juifs ont entre 0 et 35 ans. Vous pouvez bien imaginer qu'en raison de l'âge avancé de nos adhérents et du fait que nous déplorons 300 à 400 décès par an, les perspectives d'avenir sont plutôt sombres. J'estime raisonnablement que d'ici 15 à 20 ans, il n'y aura plus de Juifs en Roumanie. Je ne crois pas aux miracles et je ne pense pas qu'un jour des Juifs reviendront s'établir massivement ici. Ce qui est très intéressant aujourd'hui, c'est le fait que malgré que notre communauté soit réduite à une portion congrue, la vie juive est actuellement plus intense et plus riche qu'avant la guerre, lorsque nous étions 800 000. En effet, cela peut sembler paradoxal de voir qu'au moment où le nombre de Juifs décroît, l'activité communautaire augmente. Du point de vue culturel par exemple, nous avons un journal remarquable, "Realitatea Evreiasca", d'un haut niveau et qui est très apprécié de nos concitoyens. Il contribue largement à une meilleure entente entre notre communauté, la population majoritaire et les autres minorités, mais je dois admettre que nous entretenons de toute façon d'excellents rapports avec ces communautés.

Qu'en est-il de l'antisémitisme ?

Pour ma part, je réfute totalement l'idée qu'il existe de l'antisémitisme en Roumanie. Certes il y a des individus qui sont antisémites et il est regrettable que leur nombre soit en augmentation, mais on ne peut pas dire qu'il y ait une activité antisémite massive ou violente en Roumanie.

Malgré tout, votre idée voulant qu'il existe des antisémites sans antisémitisme semble difficilement compréhensible et acceptable. Pouvez-vous développer et expliquer votre vision des choses ?

En général, le peuple roumain n'est pas antisémite, nous ne pouvons donc pas l'accuser dans son ensemble d'antisémitisme. Comme partout ailleurs, il existe des antisémites mais en Roumanie, leur nombre est relativement limité. Au cours des dernières années, nous n'avons vécu aucun incident brutal ni aucune destruction de monument ou d'immeuble. Les partis nationaux de l'extrême droite sont effectivement très actifs dans leurs publications antisémites et c'est à ce niveau que je les combats.

Comment ?

J'estime qu'en Roumanie, les personnes qui sont antisémites le sont avant tout par ignorance, par primitivisme et par manque d'éducation. Par opposition à l'antisémitisme, j'oppose l'idée du "réalsémitisme". Il s'agit d'un terme que j'ai inventé et qui en fait décrit l'action de combattre l'antisémitisme par l'éducation, l'instruction et le savoir. Je mets tout en ýuvre pour faire connaître la contribution juive à l'évolution de l'humanité. Prenons un exemple dans mon métier, la virologie. De nombreuses grandes percées et découvertes sont dues aux Juifs, je pense en particulier à la poliomyélite, à l'hépatite, à la rage, etc. Le "réalsémitisme" a donc pour but de faire connaître les réalités juives, notamment par le biais d'activités éducatives. Dans le cadre de notre maison d'édition "Hasefer", nous avons publié 84 livres qui traitent du sujet. Les titres sont aussi variés que "Les peintres juifs d'origine roumaine", "La contribution juive à l'industrie roumaine", "La contribution des Juifs de Roumanie à la culture et à la civilisation", etc. Tous les dimanches matins, nous organisons des conférences publiques dont le sujet traite soit du judaïsme en général soit de la contribution des Juifs à la science, à la culture et à la civilisation. Nous n'intervenons jamais directement et nous ne nous lançons pas non plus dans des dialogues publics avec des tribuns ouvertement antisémites, comme M. Vadim Tudor. Ce dernier ne cesse d'ailleurs de dire: "Je ne suis pas antisémite, mais je déteste les Juifs affairistes et mafieux. Toutefois, j'aime bien les intellectuels juifs de Roumanie." Bien entendu, nous ne sommes pas dupes. Étant optimiste de nature, je suis profondément convaincu qu'avec le "réalsémitisme", nous arriverons progressivement à combattre l'antisémitisme. Le peuple roumain est constitué d'une population qui aime lire et mon expérience m'a démontré que nous sommes sur la bonne voie. Le fait est que nos conférences sont suivies par de nombreux intellectuels non-Juifs, que la souscription à notre journal est presque plus grande parmi les non-Juifs que parmi les Juifs et que nos livres sont épuisés dans les 3 à 4 semaines suivant leur publication. J'ai donc quelques bonnes raisons de croire que mon projet de "réalsémitisme" va porter ses fruits.

Ne pensez-vous pas que la situation économique précaire de la Roumanie va au contraire favoriser le développement de l'activité antisémite, ce indépendamment du fait de la contribution juive extraordinaire dans tous les domaines ?

Les difficultés économiques que nous connaissons actuellement constituent un réel danger non pas pour les Juifs, mais pour la démocratie. Les problèmes économiques ne constituent pas une source d'antisémitisme, car il s'agit de questions d'ordre général tant en ce qui concerne la corruption galopante que l'extrême pauvreté.

Vous parlez de "pauvreté". Quelle est la condition des Juifs ?

Nous sommes une communauté vieillissante, mais pas sénile. Par conséquent, nos personnes âgées souffrent beaucoup de leur pauvreté. Grâce à l'aide importante du "Joint" américain, nous sommes à même d'alléger les souffrances de nos coreligionnaires qui vivent ou survivent un peu moins mal que le reste de la population. L'activité médico-sociale est importante et nous disposons d'une polyclinique ouverte uniquement aux Juifs, d'un réseau de cabinets médicaux ainsi que de trois foyers pour personnes âgées à Bucarest, Arad et Timisoara. De plus, des équipes d'ophtalmologues américains et israéliens (il existe une excellente coopération scientifique entre les académies israéliennes, l'Institut Weizmann et les facultés roumaines ) viennent régulièrement en Roumanie pour des périodes de deux mois afin de procéder à des opérations de la cataracte, de glaucomes, etc. Nous pouvons ainsi atténuer quelque peu les difficultés quotidiennes de nos membres qui vivent dans l'ensemble dans une pauvreté extrême.

Y a-t-il encore de nombreux médecins juifs en Roumanie ?

Malheureusement pas. Contrairement à ce que nous avons connu dans le temps, il ne reste aujourd'hui qu'un ou deux étudiants juifs en médecine. D'ailleurs, dans le cadre de nos diverses activités socio-médicales, presque tout le personnel est non-Juif.


Le professeur Nicolae Cajal est très conscient des réalités qui frappent aujourd'hui la communauté juive de Roumanie. Avec des moyens relativement limités, il réalise beaucoup de choses mais, malheureusement, l'activité principale des institutions communautaires se limite aujourd'hui à gérer et à tenter de soulager la pauvreté de près de 50% de la population juive. Sa façon de lutter contre l'antisémitisme en démontrant en quelque sorte que les Juifs sont d'utilité publique et qu'ils ont contribué de façon extraordinaire à l'essor de la Roumanie permettra-t-elle de sauver les Juifs si la population locale décide de s'attaquer à eux, considérant qu'ils sont responsables de la situation économique catastrophique du pays ? Mû par un optimisme imperturbable, le professeur Cajal a décidé d'y croire.

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