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Sommaire Estonie Automne 2002 - Tishri 5763

Éditorial – Septembre 2002
    • Éditorial

Roch Hachanah 5763
    • Nouvelle vie - Nouveaux espoirs

Politique
    • L'attente d'un changement

Interview
    • Fermeté et pragmatisme
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Stratégie
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Médecine
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Reportage
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    • Dilemme et loyauté
    • Le sort des prisonniers de guerre juifs

Art et Culture
    • Le coeur perse

Éthique et Judaïsme
    • L'obligation de solidarité

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Esti Pea Rabi

Par Roland S. Süssmann
Dix ans après l'écroulement du communisme, les communautés juives des pays de l'Est qui ont recouvré la liberté et l'indépendance ont un point commun: leurs membres qui désiraient émigrer sont partis dès qu'ils en ont eu la possibilité. Ceux qui sont restés tentent d'établir une vie juive et des structures communautaires leur permettant de vivre pleinement leur identité juive.
L'histoire de la présence juive en Estonie remonte pratiquement au XVIe siècle et, comme dans tous les pays baltes, les Juifs ont souffert du nazisme et du communisme. Mais contrairement à la Lituanie et à la Lettonie, la communauté juive estonienne n'a pas de tradition orthodoxe et s'est toujours située entre le judaïsme traditionnel et libéral.
Sous l'occupation soviétique, aucune forme de vie juive n'était tolérée, seule une petite synagogue avait le droit de fonctionner dans un vieil immeuble mis à disposition par les autorités. C'est la raison majeure pour laquelle les Juifs vivant en Estonie ont perdu leur identité juive, oubliant leur langue, leur culture et leur histoire. Le dernier rabbin d'Estonie, M. Aba Gomer szl., a été assassiné par les nazis en 1941 et depuis, le pays a vécu sans aucune présence rabbinique. Avec l'avènement de la glasnost et de la perestroïka, un timide regain de vie juive s'est progressivement remis en place.
Tout ceci fait partie d'un passé, certes douloureux, mais qui heureusement aujourd'hui prend une direction différente et bien plus heureuse. En effet, il y a un an et demi, un homme de 25 ans, sympathique et surtout fort dynamique, le grand-rabbin SHMUEL E. KOT, adepte du mouvement Loubavitch, est venu s'établir à Tallinn. Nous lui avons demandé dans quel esprit il remplit sa nouvelle tache qui, au demeurant, s'annonce assez difficile. En effet, comme toujours, une communauté au leadership habitué à mener les affaires à sa guise n'aime pas voir l'arrivée d'un rabbin. En général, ceci implique des complications, des limitations, voire des changements dans les habitudes confortables. Le grand-rabbin Kot n'a d'ailleurs pas été engagé par la communauté locale, son travail est financé par des donateurs américains et israéliens, les familles Rohr et Levaïew. Cela dit, il est tombé sur une direction communautaire qui, en définitive, a compris que sa présence et son activité constituaient une grande chance pour sa pérennité et qui l'a accueilli dans un esprit d'ouverture et de coopération.

Vous vous êtes installé avec votre jeune épouse à Tallinn il y a environ deux ans. Quelle est la première activité que vous avez entreprise et dans quel esprit travaillez-vous ?

Avant de répondre à votre question, je voudrais rendre ici un hommage aux dirigeants communautaires qui non seulement m'ont accueilli, mais qui m'apportent une aide considérable dans mon travail.
Lors de mon arrivée, il existait une toute petite synagogue située dans un vieil immeuble dont une partie avait brûlé et qui sentait fortement le roussi. Or le judaïsme est trop beau pour être pratiqué dans de telles conditions. Désirant rendre l'accès à nos différentes rencontres plaisant et accessible à tous, j'ai demandé de l'aide à la communauté qui a accepté de libérer le deuxième étage du centre communautaire et de me donner un grand local pour y installer une nouvelle synagogue. Le 21 décembre 2000, le premier soir de Hanoucah, nous avons fêté l'inauguration en présence du Premier ministre estonien. Pour l'instant, mon but est de faire participer un maximum de gens à la vie communautaire. Je suis tout à fait conscient de la situation, je sais qu'un grand nombre de choses ne sont pas conformes à la législation juive et même aux traditions, ne serait-ce que le fait que l'école juive fonctionne pendant les fêtes, mais je ne peux ni ne veux révolutionner le monde. Il faut bien comprendre que j'ai été accepté avec "des pincettes" et que ma présence ici inquiète. En définitive, mon action se résume à donner à chacun la possibilité de participer à des activités qui lui permettront de vivre une vie juive authentique. Pour cela, il n'y a qu'une seule façon, acquérir un minimum de connaissances. Il est facile de rejeter le judaïsme lorsque l'on ne le connaît pas, mais lorsque l'on sait de quoi il s'agit, alors chacun est libre de faire son choix en toute connaissance de cause. C'est ce que je propose et c'est ainsi que mon travail est perçu et accepté. Aujourd'hui, tout le monde sait que ma porte est ouverte en permanence, j'ai appris à parler russe et je prends des cours d'estonien. Il est très important de converser dans cette langue, car bien qu'une grande partie de la communauté juive soit d'origine russe, les Soviétiques ont laissé un mauvais souvenir. Le fait d'apprendre l'estonien constitue un acte symbolique d'allégeance à l'indépendance du pays. Au début, seules quelques personnes âgées venaient à la synagogue, car elles se souvenaient de leur jeunesse. Aujourd'hui, chaque shabbat, nous recevons entre 40 et 50 personnes et pendant les fêtes, ce nombre est en nette augmentation puisque à Roch Hachanah dernier, nous en avons accueilli 250 et fin mai, nous avons célébré plusieurs Bar- et Bnot-Mitsvoth. J'organise des dîners sabbatiques, des déjeuners de Kidouch, etc. Naturellement, la majorité des personnes qui participent à nos offices ne lisant pas l'hébreu, j'ai donc publié un petit fascicule translittéré et traduit, afin que chacun puisse suivre les offices sans se sentir exclu. De plus, comme nous avons une grande communauté russophone, nous bénéficions de toutes les publications éditées en Russie, en particulier les livres de l'organisation SHAMIR (voir SHALOM Vol. 8) du professeur Hermann Branover, qui produit un nombre extraordinaire de livres juifs et religieux.
A Pessah, j'ai organisé un séder dans une grande salle, à laquelle 650 personnes ont participé. A Pourim, j'ai demandé à une troupe théâtrale estonienne de nous jouer l'histoire du miracle de Pourim. J'ai annoncé la soirée dans la presse locale en russe et en estonien et environ 850 personnes se sont jointes à nous. Mais notre plus grande célébration s'est tenue le 24 octobre 2001. Ce jour-là, nous avons inauguré notre nouveau Sefer Torah. Ce fut une fête très digne à laquelle étaient présents l'Ambassadeur d'Israël, le Président de l'Estonie, le Premier ministre, des ministres, le Président du parlement, des députés, différents Grands rabbins et rabbins venus des diverses anciennes républiques de l'ex-URSS, l'Ambassadeur d'Allemagne, l'Archevêque et bien entendu tous nos dignitaires communautaires. Ce fut un grand moment.

Estimez-vous que, grâce à votre présence, aujourd'hui chaque Juif en Estonie sait qu'il a une adresse pour tout ce qui touche à des questions relatives à la vie juive ?

Absolument et d'ailleurs, je reçois des demandes qui vont du simple renseignement sur une date juive de Yahrzeit (jour du souvenir du décès d'un parent proche) à des questions bien plus complexes sur le judaïsme en général ou se rapportant à la vie privée des gens. Ceci est particulièrement important lorsque des personnes ayant contracté des mariages mixtes et dont, par conséquent, les enfants ne sont pas juifs, souhaitent régulariser leur situation. D'autres sont simplement à la recherche de cours pour connaître les traditions et leurs significations.

Avez-vous des demandes de conversions et si oui, acceptez-vous de les faire ?

Jusqu'à présent, je n'ai eu qu'un seul cas, celui d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, actif dans la communauté et dont la mère n'est pas juive. Il est récemment venu me voir pour me dire qu'il voulait se convertir. Je lui ai donné un livre sur le judaïsme et les conditions de la conversion en lui demandant de le lire, de bien réfléchir avant de se lancer et de revenir s'entretenir avec moi au fur et à mesure de la progression de sa réflexion. Il se sent juif. Si en plus il veut devenir un juif accepté selon les règles de la Halakah (législation), il fera son choix et je l'aiderai à le réaliser. Sinon, il continuera à se sentir juif sans l'être vraiment. Nous resterons de bons amis. Cela dit, je ne procède pas personnellement à des conversions. Je peux préparer la personne puis la diriger sur l'un des grands centres européens où cela peut se faire sur ma recommandation.

Sur un plan plus pratique, êtes-vous actif dans la Hevrah Kadisha (compagnie mortuaire) ?

Ce qui entoure le deuil n'est pas encore tout à fait effectué selon le règles les plus strictes, en particulier en ce qui concerne la toilette des morts (Taharah). Je tente d'établir une coopération avec les responsables afin de faire changer un certain nombre de choses mais, pour l'instant, nous n'en sommes qu'au début de nos conversations. De cas en cas, si la famille le souhaite, je peux procéder à une Taharah traditionnelle. Toutefois, les enterrements à proprement parler sont conduits de la manière la plus strictement traditionnelle.

Quels sont vos rapports avec l'école et quelles sont vos activités éducatives en général ?

L'école est une institution d'état ouverte à tous. Les jeunes qui la fréquentent reçoivent une initiation aux coutumes juives et quelques heures d'hébreu. Ma femme y enseigne l'hébreu et le judaïsme en étroite coopération avec les deux professeurs délégués par le Ministère israélien de l'Éducation. J'y donne aussi des cours, surtout à des jeunes en âge de préparer leur Bar- ou Bat-Mitsvah. La situation est très complexe puisque la majorité des enfants ne sont simplement pas juifs, les parents les envoient dans cette école parce qu'elle est petite et qu'il n'y a pas de violence. Il est bien entendu que je ne vais pas désigner ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas. Je travaille avec tous et le choix se fait naturellement. Cela dit, les enfants apprennent l'hébreu de manière assez efficace. En plus, pour ceux qui le souhaitent ou qui ne vont pas à l'école juive, j'ai créé une série de cours le dimanche, où j'enseigne les rudiments du judaïsme. Sur un plan plus large, j'ai organisé l'année dernière un camp de vacances pour adolescents. Bien entendu, lorsque j'ai annoncé qu'il ne serait pas mixte mais qu'il y aurait un camp pour garçons et un autre pour filles, cela a déclenché l'hilarité générale. Mais, curieusement, j'ai eu beaucoup d'inscriptions et tous ont passé d'excellentes vacances. Mon action éducative est également dirigée vers deux autres fractions de la société. Une fois par semaine, le vendredi soir, avant l'office, je réunis les étudiants pour leur parler de judaïsme et accueillir le shabbat ensemble. D'autre part, comme je vous l'ai dit, les gens âgés se souviennent encore de leur judaïsme, alors que la jeunesse le découvre. Mais il y a une génération entre les deux, les personnes entre 30 et 55 ans, qui ont reçu une éducation soviétique, donc totalement dépourvue de judaïsme. Une fois par semaine, j'organise à leur intention une série de cours et de conférences. J'y traite aussi bien des questions purement techniques comme la structure de la prière et ses significations, la construction d'une boîte de tefillines (phylactères) que des sujets philosophiques.

Comment vous organisez-vous pour obtenir de la nourriture cachère ?

Très peu de monde est concerné par cette question. J'ai une formation de shohet (abatteur rituel), mais il n'est pas possible, pour l'instant, d'organiser un abattage rituel pour deux poulets. La viande et le poulet proviennent de Riga ou de Helsinki et nous faisons venir un certain nombre de denrées d'Israël et de France. Dans une pièce adjacente à la synagogue, j'ai arrangé une salle de réunions dotée d'une cuisine strictement cachère car, malheureusement, je ne peux pas faire appel aux cuisines de l'école, celles-ci n'étant pas encore cachères. Nous avons inauguré notre nouvelle cuisine avec la visite de la délégation israélienne à l'Eurovision, et notamment avec la vedette Sarit Haddad, avec qui nous avons passé un moment magnifique. De plus, il est important de souligner qu'à tous les niveaux, que je travaille en coopération directe avec les autres rabbins de la région, que ce soit à Riga, Vilna, Helsinki ou St. Petersbourg. Pour les circoncisions, nous faisons venir un médecin spécialisé d'Israël ou un mohel de Moscou.

Nous le voyons, l'enthousiasme du grand-rabbin Kot n'a d'égal que sa gentillesse et son sens profond de l'initiative. Il sait très bien qu'il est condamné à réussir, car le défi auquel il est confronté réside en fait dans l'établissement et la construction d'une véritable vie juive qui permettrait à cette communauté d'envisager un certain avenir. Avec des moyens limités, il réussit à faire beaucoup de choses et surtout à se faire aider par ceux qui n'étaient pas franchement enchantés par sa venue.

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