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Sommaire Shalom Tsedaka Automne 1998 - Tishri 5759

Éditorial - Automne 1998
    • Éditorial

Roch Hachanah 5759
    • Crainte et joie

Politique
    • On connaît le coupable

Interview
    • Témoignage de la première dame d'Israël
    • Jérusalem

Judée-Samarie-Gaza
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Analyse
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Jeunes Leaders
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Reportage
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Shalom Tsedaka
    • S.O.S. Femmes orthodoxes

Éthique et Judaïsme
    • Soulager les souffrances à quels risques ?

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S.O.S. Femmes orthodoxes

Par Roland S. Süssmann
"Violences, abus sexuels, pédophilie, brutalités et contraintes conjugales, drogues, gangs..." sont des termes que personne ne s'attend à entendre en relation directe avec les milieux juifs religieux ou orthodoxes. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'une amie m'a dit qu'il existait en Israël un centre d'urgence d'aide aux femmes orthodoxes et religieuses en détresse ! J'ai immédiatement contacté l'une des responsables de cet organisme, le "CRISIS CENTER FOR RELIGIOUS WOMEN", et, la discrétion étant de mise, rendez-vous m'a été fixé dans le hall anonyme d'un grand hôtel. C'est là que j'ai rencontré Mme DEBBIE GROSS qui m'a fait découvrir un monde aussi sordide que celui décrit par Zola, dans lequel toutefois la solidarité féminine constitue une source d'espoir et de soulagement.

Comment et pourquoi le "Crisis Center for Religious Women" a-t-il été fondé ?

En 1992, un groupe de femmes religieuses a eu connaissance de plusieurs cas d'abus sexuels perpétrés sur des enfants dans la communauté orthodoxe. Ces femmes se sont alors rendu compte que les mères des enfants molestés ne s'adressaient jamais à des centres d'aide publics, ceux-ci ne fonctionnant pas sous la surveillance d'une autorité rabbinique. Il en allait de même pour les personnes faisant partie de la société dite "nationale-religieuse", qui ne contactaient pas non plus les centres publics, estimant que des femmes non pratiquantes n'étaient pas à même de les comprendre. C'est donc sur ces bases que l'idée de fonder un centre d'aide pour femmes religieuses en détresse a vu le jour afin de répondre à tous les problèmes qui se posaient et pas uniquement à ceux ayant trait aux abus sexuels.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons commencé par faire savoir au sein de la communauté orthodoxe qu'un tel centre allait être créé et que nous étions à la recherche de volontaires disposées à travailler pour nous. Nous avons sélectionné douze femmes à qui nous avons dispensé une formation leur permettant de répondre à notre ligne téléphonique d'urgence. J'ai personnellement donné ces cours, étant psychologue de formation et ayant travaillé pendant cinq ans en tant que volontaire au centre de crise des viols à Jérusalem. Une fois nos volontaires formées, nous avons contacté les rabbins orthodoxes afin qu'ils nous accordent leur soutien et leur autorisation pour ouvrir un centre d'aide d'urgence pour femmes religieuses en détresse. Aucun rabbin, quel que soit son degré d'orthodoxie, ne s'est opposé à notre projet, la seule condition étant que nous agissions dans la discrétion. D'ailleurs, notre feuillet d'information est extrêmement neutre et n'utilise que des termes très généraux tels que: "Le centre a été établi afin d'apporter à chaque femme religieuse ou orthodoxe assistance et conseils en temps de crise..." ou encore "Le centre a pour but de redonner à chaque femme confiance en soi, la capacité de réagir et de faire face à l'adversité...", etc. Jamais des termes comme "brutalité" ou "viol" ne sont employés. Dans les milieux orthodoxes, la terminologie est assez spéciale, jamais nous n'utilisons le terme de "femme battue", par contre, nous parlons de "paix des foyers" ("shalom bayït"). Sur le plan pratique, l'hôpital Shaare Tsedek nous a gracieusement mis à disposition une pièce dans laquelle nous avons installé notre central téléphonique. Nous avons volontairement voulu travailler dans un milieu hospitalier, et Shaare Tsedek est non seulement connu, mais très respecté des orthodoxes. A ce jour, nous avons formé 150 volontaires polyglottes, dont 80 travaillent pour ainsi dire à plein temps. Nous avons ouvert nos portes en janvier 1993 et, depuis, nous avons été contactées par plus de 3000 femmes.

Comment vous êtes-vous fait connaître dans ces milieux si fermés ?

Nous avons fait imprimer des cartes de visite que nous avons déposées dans les lieux fréquentés par ces femmes, bains rituels, synagogues, hôpitaux, salles d'attente de médecins, etc. Nos volontaires se sont alors installées près des téléphones et ont attendu les premiers coups de fils qui n'ont pas tardé à venir. Les questions auxquelles nous devons faire face sont multiples: dépressions postnatales, femmes battues, viols, pédophilie, éducation des enfants, découverte d'une grosseur dans un sein, bref tous les problèmes auxquels une femme peut être confrontée.
Dans les milieux orthodoxes et religieux, les gens ont très peur que ce qui se passe chez eux soit connu du voisin. En effet, le secret est très cultivé, car tout défaut connu porte atteinte à la réputation de la famille et met en jeu à tout jamais les chances de pouvoir épouser quelqu'un de ce milieu. C'est d'ailleurs pour cette raison que de nombreuses femmes subissent leur sort et leurs souffrances sans chercher de l'aide. Grâce à notre centre, elles peuvent appeler notre ligne de secours tout en restant totalement anonymes. De plus, nous nous sommes organisées de façon à ce que la personne qui nous appelle puisse toujours être en contact avec la même interlocutrice qui, elle, opère naturellement sous un pseudonyme. Ceci est indispensable afin de permettre à nos volontaires de sauvegarder leur vie privée, de ne pas recevoir de coups de fils à la maison et surtout de ne pas être exposées à des maris vindicatifs.

Outre l'aide téléphonique, que proposez-vous ?

Nous disposons en fait de trois programmes. Le premier, l'aide par téléphone, est totalement anonyme. Nous ne rencontrons pratiquement jamais nos protégées bien que, dans des cas précis, nous organisions des rencontres généralement réservées à des filles de moins de 18 ans, qui se déroulent dans un endroit public et neutre. Par exemple, si une jeune fille de 15 ans a été violée par un membre de sa famille et qu'elle ne souhaite pas en parler à ses parents, nous la prenons en charge. Notre ligne téléphonique est ouverte de 8h00 à 22h00. Après 22h00, un répondeur donne le numéro d'un beeper et l'une de nos volontaires rappelle la victime dans les minutes qui suivent la réception du message de détresse, quelle que soit l'heure de la nuit. Notre but est d'aider et pour ce faire, nous écoutons les femmes, nous tentons de comprendre ce qu'elles souhaitent, comment elles comptent faire face et dans quelles conditions elles envisagent leur avenir. Si elles ont besoin d'une aide professionnelle, nous les guidons vers des spécialistes (médecin, psychologue, avocat, etc.) avec qui nous sommes en permanence en contact. Les choses ne sont jamais noires ou blanches, nous devons nous adapter de cas en cas. Il faut bien comprendre que nos volontaires interviennent lors de crise, mais elles ne font aucune thérapie. Notre deuxième programme, qui est aussi optimiste qu'ambitieux, est éducatif. Nous voulons croire que par le biais de l'éducation, nous pouvons prévenir un certain nombre de drames. Nous avons des ateliers de travail éducatifs qui s'adressent à tous les groupes d'âge dès trois ans. Il s'agit d'une nouveauté dans la communauté orthodoxe, car nous parlons aux enfants de la façon de savoir dire non et du fait que chaque personne qui les touche n'est pas absolument bien intentionnée, et ce sans jamais parler du corps, des membres ou d'abus sexuels. Nous enseignons aux enfants que c'est un commandement divin de savoir se protéger et que tout le monde ne sait pas contrôler ses mauvais instincts ("yetzer harah"). Nous avons des cours pour des jeunes filles de la communauté nationale religieuse qui, contrairement à celles des milieux orthodoxes, acceptent de sortir avec un garçon. Nous leur enseignons quelles sont les précautions à prendre pour éviter d'être violées lors d'un rendez-vous, nous leur recommandons de ne jamais se faire raccompagner seules si elles ont des doutes, etc. Nous leur apprenons aussi à reconnaître un homme potentiellement violent qui pourrait s'avérer être un mari qui les battra. Nous avons établi une liste de vingt-deux signes révélateurs et, si un candidat au mariage en possède sept ou huit, nous conseillons aux filles de réfléchir à deux fois avant de poursuivre cette relation. Dans de nombreux cas, la violence des individus peut être détectée avant le mariage. Pour les mères, nos ateliers d'information portent notamment sur la question de la prévention des enfants, que faire si l'enfant a subi des violences sexuelles, comment agir lors de violences conjugales, si elles entendent leur voisine crier pendant la nuit, etc. Aux filles orthodoxes, nous enseignons quelles questions poser à un éventuel futur époux, comment l'observer. Il faut bien comprendre que de nombreuses femmes battues ne se rendent pas compte qu'elles le sont. Par exemple, lorsqu'elles reçoivent une gifle de temps en temps, elles estiment simplement que leur mari a "exceptionnellement" perdu patience et que ce n'est pas grave. Nous leur enseignons que personne n'a le droit de les battre ou de les humilier, ne serait-ce qu'une seule fois. Si une telle chose se produit, elles doivent immédiatement se faire aider. Nous dispensons aussi un enseignement aux mères dont les filles se plaignent d'avoir été battues.
Nous leur apprenons comment parler à leurs filles et surtout comment les inciter à se faire assister. Nous recommandons vivement aux membres des familles qui savent que leurs proches subissent des sévisses de prendre contact avec nous. Notre troisième programme réside dans l'aide effective (financière, abris, etc.) que nous apportons temporairement à certains cas très désespérés.

Existe-t-il des différences entre les communautés ashkénazes et séfarades ?

La brutalité est partout, la seule chose qui diffère est de savoir à partir de quel point une femme considère être battue. S'agit-il de la première gifle, de l'isolement psychologique ou d'abus physiques graves ? Dans la communauté éthiopienne, il est généralement admis que les maris ont le droit de battre leurs épouses. Nous faisons un grand effort éducatif pour combattre cette triste réalité tacitement acceptée.

Comment votre activité est-elle perçue par le monde rabbinique ?

Comme je vous l'ai dit, nous avons obtenu la "bénédiction" de tous les rabbins orthodoxes. Il faut bien comprendre que cela constitue un très grand changement dans cette communauté. Il y a dix ans encore, une organisation comme la nôtre n'avait aucune chance d'être acceptée. Les rabbins ont compris l'urgence de la situation et que nous pouvions jouer un rôle positif. Nous servons souvent d'intermédiaire entre les femmes victimes de toutes sortes d'agressions et les rabbins orthodoxes. Cela évite souvent que des femmes, pensant agir en fonction de la "Halakha" (législation juive), s'imposent, par ignorance, des restrictions et souffrent inutilement alors qu'un simple avis rabbinique pourrait les soulager tout en leur garantissant l'anonymat. Afin d'illustrer mes propos, je vous citerai l'exemple de cette jeune fille de 13 ans qui a été violée par un membre de sa famille et qui s'est retrouvée enceinte. Nous avons alors contacté un rabbin dont l'autorité était acceptée par l'ensemble de l'orthodoxie et qui nous a donné l'autorisation de faire avorter cette jeune fille. Nous avons organisé l'avortement en toute légalité avec un excellent médecin exerçant au nord d'Israël, dans une région où personne ne connaissait la jeune fille en question ni sa famille. Dans quelques années, celle-ci pourra se marier sans qu'elle ni sa famille n'aient à subir les conséquences de ce drame. Cela étant, nous organisons des cours et des conférences pour les rabbins et leurs épouses où nous leur expliquons comment intervenir en cas de crise et surtout comment faire pression sur les maris qui battent leurs femmes afin qu'ils acceptent de se faire traiter.

Outre les violences familiales, quels sont les problèmes majeurs auxquels vous êtes confrontées ?

Il faut savoir qu'il existe un sérieux problème de toxicomanie dans la communauté religieuse. Les raisons sont multiples et, dans la plupart des cas, les jeunes s'adonnent à la marijuana ou à la cocaïne, deux drogues pouvant s'obtenir très facilement à Jérusalem. Le monde orthodoxe n'est absolument pas préparé à faire face à cette problématique. Nous allons créer un programme de formation pour les parents et les éducateurs afin qu'ils apprennent à traiter ce genre de questions. Il n'est pas rare que des adolescents (garçons et filles) ayant eu des problèmes d'ordre sexuel soient rejetés par le père et se retrouvent à la rue. Ils s'insèrent alors dans des gangs d'adolescents religieux et tombent dans la prostitution, la drogue, etc.

Comment êtes-vous financées ?

Nous avons un budget relativement bas et modeste. Nous ne payons pas de loyer à Shaare Tsedek et je suis la seule personne à être rémunérée, toute notre action étant basée sur le volontariat. J'ai quitté mon travail dans un hôpital afin de me consacrer à plein temps à l'organisation, ce qui en clair signifie que je suis chargée de toutes les tâches désagréables que les volontaires ne veulent pas faire. Nous obtenons diverses aides de fondations, de donations privées, nous faisons des appels de fonds, etc.

En fait, vous êtes confrontées à tous les problèmes graves qui peuvent se présenter dans une vie. Pouvez-vous les quantifier en pourcentages ?

C'est assez simple: 50% des appels que nous recevons concernent la violence domestique ou des problèmes de couple, quels qu'ils soient; 20% se rapportent aux abus sexuels sur enfants, le reste porte sur tous les autres genres de problèmes. Il faut bien comprendre que la pédophilie est une question particulièrement grave, car la communauté orthodoxe n'est pas prête à faire face à cette question en raison de la manie du secret qui gouverne cette société. Afin d'illustrer mes propos, je vous dirai qu'avant la création de notre organisation si, par exemple, une fillette de six ans était violée par son père, sa mère n'aurait jamais osé la faire traiter physiquement, médicalement ou psychologiquement: elle faisait ce qui "était bon pour sa fille" afin que douze ans plus tard, celle-ci puisse se marier sans problème, le "secret" étant bien gardé. Aujourd'hui, une telle femme peut nous appeler et nous parler de ce qui s'est passé, si elle souhaite en référer à la police, et nous pouvons la mettre en contact avec un gynécologue spécialisé dans les problèmes infantiles qui professe dans une autre région du pays, etc. Le "secret" reste bien gardé sans que l'enfant ne soit sacrifié.
En conclusion, je peux dire que si nous obtenons des résultats, c'est grâce à un travail quotidien où la patience fait lentement évoluer les mentalités dans un monde fermé et statique.

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