Jérusalem et Tbilissi

S.E.M. Shabtaï Tsur. (Photo: Bethsabée Süssmann)
Par Roland S. Süssmann
Dans l’avion des Georgian Airways qui nous menait de Tel-Aviv à Tbilissi, l’hôtesse m’a offert un hebdomadaire économique géorgien, le Georgian Business Week. L’une des nouvelles principales figurait sous le titre: «Des hommes d’affaires géorgiens participent au Business Forum Géorgie - Israël de Tel-Aviv !» Suivait un article disant que cette réunion avait offert des opportunités uniques afin de développer des projets communs dans les domaines bancaires, du transport, de la santé et du tourisme. L’accent était mis sur le fait que la très importante délégation commerciale géorgienne était dirigée par le ministre du développement économique et que le maire de Tbilissi ainsi qu’un grand nombre d’officiels s’étaient rendus en Israël pour l’occasion.
Cet article résume en fait l’esprit dans lequel les relations entre Israël et la Géorgie évoluent et ce de manière très dynamique et déterminée.
Dans notre périple à travers le monde juif, et après notre halte en Azerbaïdjan (voir Shalom Vol.47), la suite logique était de rendre visite aux Juifs de Géorgie. Bordée au nord par le Caucase et baignée à l’ouest par la mer Noire, la Géorgie a une frontière commune avec la Fédération de Russie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Turquie. En raison de la situation géopolitique de ce pays, la position de l’ambassade d’Israël est donc de toute première importance. A Tbilissi, nous avons rencontré S.E.M. SHABTAÏ TSUR, ambassadeur plénipotentiaire et extraordinaire d’Israël, lui-même originaire de Géorgie. Nous lui avons demandé de bien vouloir nous dire dans quel esprit se déroulent les relations entre les deux États.

Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de l’historique des relations entre la Géorgie et Israël et brosser un tableau des relations actuelles entre les deux pays ?

Avant de répondre à votre question, je voudrais souligner ici combien je suis profondément honoré de représenter l’État d’Israël et le peuple juif dans le pays où mon épouse et moi-même sommes nés et que nous avons quitté en 1972. Pour moi, le fait de revenir ici avec une mission d’une telle importance constitue naturellement un événement primordial dans ma vie et implique un grand nombre de responsabilités. Je suis donc le premier ambassadeur d’Israël originaire de Géorgie, comme j’ai été le premier maire issu de ce pays puisque j’ai eu le privilège de diriger la ville d’Ashqelon dont j’ai été élu maire en 2003. En 2004, j’ai été nommé par le Premier ministre d’alors, M. Ariel Sharon, à mon poste à Tbilissi. Depuis, je fais tout mon possible afin de remplir ma mission avec succès. Ceci semble être le cas puisque j’avais été nommé pour deux ans et qu’à l’issue de cette période, mon contrat a été renouvelé.
En ce qui concerne les relations entre les deux États, il faut savoir qu’au mois d’avril 2007, nous avons célébré les 15 années d’échanges diplomatiques. Je tiens à dire que ceux-ci sont excellents à tous les niveaux et s’améliorent de jour en jour. Les relations sont très dynamiques, notamment du fait que depuis la révolution de 2003, les hommes au pouvoir ont entre 28 et 40 ans, ce qui donne une vitalité toute particulière à la Géorgie. Il faut bien comprendre que ce que l’on a appelé en novembre 2003 la «révolution des roses» constituait en fait un bouleversement très profond. Ainsi, par exemple aujourd’hui, 90% des écoliers apprennent l’anglais et non plus le russe, et tout le système économique est radicalement capitaliste, à l’américaine. La présence des États-Unis dans le pays est très importante et ce non seulement du point de vue économique mais aussi sur le plan militaire. La nouvelle ambassade américaine compte 650 employés, dont 400 Géorgiens. De plus, la Géorgie a envoyé 2000 soldats en Iraq. Toute l’armée géorgienne est réorganisée par l’Amérique qui a obtenu l’autorisation d’établir un certain nombre de bases militaires dans le pays.

Comment expliquez-vous que l’Amérique entreprenne de tels efforts pour renforcer sa présence en Géorgie ?

Il suffit de regarder la carte de la région pour comprendre l’importance de la Géorgie. Aujourd’hui, celle-ci se trouve engagée dans une alliance étroite avec l’Azerbaïdjan et l’Ukraine pour contrer la Russie sur le plan énergétique. Les chefs d’État des pays de la région comme l’Azerbaïdjan, l’Ukraine, la Turquie, la Géorgie et quelques autres sont d’excellents amis et présentent un front uni, surtout en ce qui concerne la question du pétrole, du gaz et évidemment de la protection et du développement des oléoducs qui fonctionnent indépendamment de l’Iran et de la Russie.

Pensez-vous que le fait que vous soyez arrivé à Tbilissi tout juste après la révolution constitue un avantage ou un inconvénient pour remplir votre mission ?

Tout d’abord, je dois dire que je connaissais bien Edouard Chevardnadze qui a dû quitter le pouvoir et avec lequel j’avais de bonnes relations lorsque j’étais conseiller du Premier ministre Ariel Sharon aux affaires géorgiennes. Cela étant dit, j’estime que mon installation ici immédiatement après la révolution a été en fait très bénéfique pour nos deux pays. J’ai été très bien reçu et en raison du dynamisme de la nouvelle équipe gouvernante en place, la réalisation d’un certain nombre de projets en commun a été très rapide, tant sur le plan économique que culturel. Il faut savoir qu’il y a deux ans encore, la Géorgie se trouvait en 137ème position sur le plan mondial et qu’aujourd’hui, elle est au 24ème rang ! Un autre développement intéressant et important réside dans la lutte contre la corruption. En effet, encore très récemment, lorsque l’on évoquait la Géorgie, tout le monde pensait immédiatement à un État corrompu. Aujourd’hui, il existe une loi qui punit de 7 années de prison toute personne qui propose des dessous-de-table et de 14 ans celle qui les accepte ! Je peux vous dire que ceci a calmé radicalement toutes formes de velléités… et rempli les prisons. Il faut bien comprendre combien cette nouvelle situation dynamise les affaires en général et celles entre nos deux pays en particulier. Dans le temps, il existait toute une cohorte d’intermédiaires qui se faisaient copieusement arroser afin de faciliter l’accès aux responsables commerciaux et politiques qui avaient pouvoir de décision. Aujourd’hui, les contacts sont directs et les hommes d’affaires israéliens qui viennent ici n’ont aucune difficulté à rencontrer ceux qui peuvent effectivement faire avancer un projet. D’ailleurs, à peine une semaine après le Forum des affaires de Tel-Aviv, une importante délégation d’hommes d’affaires israéliens a débarqué à Tbilissi, parmi eux de nombreux promoteurs immobiliers.

Comment se présente la situation sur le plan politique ?

Le président Mikheil Saakashvili a réussi ce tour de force formidable d’établir d’excellentes relations avec l’ensemble de ses voisins directs. Il est intéressant de constater que malgré l’américanisation du pays et malgré l’intensification quotidienne des échanges avec Israël et du soutien politique que la Géorgie nous apporte dans le cadre des organisations internationales, ses relations avec l’Iran sont excellentes. Cette évolution résulte de la mentalité géorgienne qui en général ne se préoccupe pas des origines ou de la religion d’une personne, mais de la manière dont elle se conduit et des projets pouvant être réalisés en commun. En fait, les Géorgiens n’ont pour ainsi dire pas de préjugés raciaux et aujourd’hui, la population est très mélangée et des gens de tous les pays avoisinants, souvent musulmans, sont installés ici.
Dans ce même esprit, il n’y a pas d’antisémitisme en Géorgie, même le clergé pourtant orthodoxe fait preuve de sympathie à notre égard. J’entretiens d’excellentes relations avec le patriarche qui vient chaque année à notre fête de Yom Haatsmaouth et qui encourage ses fidèles à se rendre régulièrement à Jérusalem. D’ailleurs, la présence juive en Géorgie remonte à 2600 ans ! Quand je dis qu’il n’y a pas d’antisémitisme, j’entends qu’il est possible de se promener avec une kippah sans la moindre hésitation partout dans le pays. Bien que la population juive soit réduite aujourd’hui à une portion congrue, tous les cimetières ont été maintenus et entretenus. De plus, la présence juive est très forte dans tous les secteurs: le ministre de la Défense, qui a 29 ans, est juif, tout comme de nombreux hommes d’affaires importants, le directeur de la chaîne de la plus grande télévision du pays, il y a aussi trois députés juifs au parlement. Tous ces éléments combinés font que non seulement la population peut vivre pleinement son identité ici, mais aussi que sur le plan politique, la Géorgie est rapidement devenue bien plus qu’un pays ami, elle est aujourd’hui un véritable allié.

Il n’en reste pas moins que la Géorgie entretient d’excellentes relations avec l’Iran. Cette réalité a-t-elle une influence sur les relations avec Israël ?

Absolument pas, bien au contraire. Il n’est pas rare que l’ambassadeur d’Iran soit convoqué au ministère des Affaires étrangères pour transmettre la désapprobation de la Géorgie face à des propos anti-israéliens ou antisémites du président iranien. Comme je vous l’ai dit, cela fait trois ans que je suis en poste ici et je n’ai jamais entendu la moindre allusion disant que les relations avec Israël devaient être limitées afin de satisfaire l’Iran, bien au contraire. Il n’y a pas de nuages entre nos deux pays. Afin d’illustrer cette réalité, je vous dirai que lors de notre réception de Yom Haatsmaouth, tous les 235 députés du parlement nous ont fait l’honneur de venir célébrer l’indépendance d’Israël avec nous. De plus, depuis le peu de temps que le président est au pouvoir, il a déjà effectué deux visites en Israël. Pour résumer l’état des relations entre la Géorgie et Israël, je dirai que leur amélioration et leur développement passent avant tout par l’essor économique qui leur sera apporté de part et d’autre. C’est dans ce domaine que nous faisons le plus d’efforts et que nous mettons tout en œuvre afin de promouvoir non seulement le monde des affaires, mais aussi les échanges académiques et culturels.

L’ambassadeur d’Israël en poste dans un pays y est certes présent pour développer les relations entre les deux États et pour défendre les intérêts de l’État hébreu, mais il est aussi l’envoyé de Jérusalem auprès de la communauté juive. En tant que Juif géorgien, de quel œil voyez-vous aujourd’hui la communauté de Géorgie ?

En fait, je suis très impliqué dans la vie communautaire. Étant Juif pratiquant, je me rends le shabbat à pied à la synagogue ce qui, depuis mon domicile, constitue une marche de 30 minutes en aval et de 45 minutes en amont, le tout entouré d’un dispositif de sécurité puissant. Je participe aussi très activement à la vie communautaire, j’ai déjà fait inaugurer deux Sifreï Torah et me préoccupe des problèmes qui se posent. De plus, j’ai été très actif dans le projet de rénovation de la synagogue centrale. Depuis 2002, je suis le président du Congrès mondial des Juifs de Géorgie.