Gaza - Une idée réaliste ?

Le général Shaul Mofaz, Ministre israélien de la Défense. (Photo: Bethsabée Süssmann)
Par Roland S. Süssmann
Tout indique qu’Israël est à la croisée des chemins, que tout a changé, que ce qui était considéré comme vérité première il y a trois mois encore est passé aux oubliettes. C’est ainsi par exemple que la présence juive dans la bande de Gaza a perdu son importance stratégique en un clin d’œil. L’observateur averti va de surprise en surprise et a malgré tout non seulement l’obligation de s’y retrouver, mais d’expliquer ce qui se passe. Afin de nous permettre de remplir ce devoir, nous avons décidé de nous adresser directement à la source et avons été reçus par le Ministre de la Défense de l’État d’Israël, le Général SHAUL MOFAZ, ancien Chef d’état-major de l’Armée de défense israélienne (IDF).

Pouvez-vous en quelques mots brosser un tableau de la nouvelle situation stratégique du Moyen-Orient depuis l’installation des forces américaines en Irak ?

Il ne fait aucun doute que l’événement le plus important de l’année 2003 est la campagne militaire américaine en Irak. Celle-ci a eu un impact global et local qui a touché toute notre région. Un message très clair a ainsi été lancé aux pays aux régimes extrémistes dont le but est d’acquérir des armes nucléaires et qui aujourd’hui financent et soutiennent logistiquement le terrorisme. Il ne faut toutefois pas se faire d’illusions. Le fait que l’Iran, la Syrie et la Libye semblent mettre un frein à leurs activités ne constitue qu’un répit temporaire. Cette situation offre à Israël une possibilité de se concentrer directement sur ses priorités, soit sur les menaces les plus graves. Dans ce domaine, le plus grand danger est en Iran, qui met tout en œuvre pour gagner du temps et devenir une superpuissance militaire dans la région. Nous devons en permanence être alertes et observer ce que font les Iraniens, leur but étant de se procurer de l’uranium enrichi et de devenir une puissance nucléaire. Notre seconde priorité est d’assurer la sécurité de la vie quotidienne en Israël. Pour cela, nous entreprenons des actions antiterroristes. Abou Allah n’a rien tenté pour changer la situation sur le terrain ni pour que la fameuse «Feuille de route» ait une chance d’aboutir. Avant d’envisager des négociations, il a établi une liste de conditions préalables. Parmi cette dernière figure l’idée que nous nous retirions sur la ligne de feu du mois de septembre 2000, que nous détruisions la barrière de sécurité, etc. Devant cette réalité, le Premier ministre a décidé de prendre un certain nombre d’initiatives unilatérales pour débloquer la situation. Nous ne pouvons plus attendre que notre contrepartie veuille bien se décider de traiter avec nous. A ce jour, nous n’avons pas de partenaire et je ne vois personne qui puisse raisonnablement être considéré comme tel dans un avenir proche et œuvrer avec nous afin que la «Feuille de route» puisse être appliquée. C’est pourquoi nous avons pris la décision unilatérale de reloger les habitants juifs vivant à Gaza. Ce désengagement créera une meilleure situation sécuritaire pour Israël, réduira les tensions entre nous et la population arabe de cette région, donnera une nouvelle chance à l’application de la «Feuille de route» et nous offrira une plus grande facilité d’action dans la lutte contre le terrorisme. Si d’ici environ une année, nous arrivons à réaliser ce désengagement et par la même occasion à convaincre notre contrepartie de prendre effectivement la première mesure décrite dans la «Feuille de route», à savoir le démantèlement total des infrastructures terroristes, nous aurons fait un pas en avant vers une solution pacifique.

Croyez-vous vraiment qu’en quittant Gaza, vous obtiendrez un partenaire de négociation, voire de paix ?

Je crois que les Arabes comprendront que si nous prenons l’initiative de créer une meilleure situation sécuritaire pour Israël, nous serons installés dans une position que nous pourrons facilement tenir durant de nombreuses années. Par la même occasion, ils apprendront aussi qu’ils n’ont rien à gagner à s’obstiner dans leur refus de négocier avec nous. D’ailleurs, nous entendons déjà leurs premières réactions clairement hostiles à notre idée de désengagement unilatéral, car ils ne veulent en aucun cas que nous nous trouvions dans une situation confortable. Le grand problème est Arafat, qui contrôle tout, en particulier l’appareil sécuritaire de l’OLP. Il constitue un véritable obstacle à toute initiative. Nous ne pouvons pas attendre que notre contrepartie veuille bien prendre des initiatives créatives qui permettront à nos populations de vivre en coexistence pacifique, sans que ce soit le grand amour pour autant. C’est pourquoi je crois que notre idée de commencer par nous désengager de Gaza constitue une initiative constructive.

Lorsque vous dites «de commencer par Gaza», cela signifie-t-il que vous avez l’intention de démanteler d’autres agglomérations juives en Judée et en Samarie ?

Nos intérêts sécuritaires dans ces zones sont bien différents de ceux de la région de Gaza. Je pense qu’il y a certains blocs que nous devons renforcer, comme Maalé Adoumim, Goush Etzion, Ariel et d’autres régions où nous sommes établis pour toujours. Si nous arrivons à un accord de coexistence, voire de paix, il est essentiel que nous puissions établir des frontières viables et défendables. Or celles-ci se trouvent en Judée et en Samarie et non pas à Gaza. C’est dans cet esprit que je soutiens le plan de désengagement, car je pense que si nous arrivons à un accord, celui-ci impliquera inévitablement un redéploiement des populations juives qui vivent actuellement dans cette région.

Vous soutenez un retrait unilatéral de Gaza, mais je me souviens très bien que lorsque Tsahal s’est retiré unilatéralement du Sud-Liban, vous vous étiez ouvertement opposé à cette mesure. Pourquoi êtes-vous aujourd’hui en faveur d’une concession unilatérale majeure envers les Arabes ?

Les deux situations ne sont pas comparables. Au Liban, il n’y avait que l’armée sur le terrain pour combattre le terrorisme. Il n’y avait aucune installation juive. Je suis toujours persuadé qu’en nous retirant unilatéralement du Sud-Liban, nous avons commis une erreur. Concernant Gaza, l’IDF ne vas pas quitter la région. Il y aura toujours une présence militaire israélienne dans les alentours immédiats de cette zone, ce qui nous permettra de combattre le terrorisme dès que cela s’avérera nécessaire. De plus, nous garderons le contrôle total de l’air, de la mer et de la zone frontalière avec l’Égypte. Il en va tout autrement de la Judée et de la Samarie, y compris de la Vallée du Jourdain qui fait partie intégrante de nos intérêts nationaux et sécuritaires. Notre présence dans ces régions constitue donc un impératif.

Pratiquement, comment comptez-vous procéder ? Pensez-vous évacuer par la force des Juifs de leurs foyers ?

Nous devrons établir une négociation avec les dirigeants de ces régions pour arriver à un accord de relogement. Nous sommes au début de la planification et tous les problèmes qui se posent n’ont pas encore trouvé de solution…

Dans votre démarche, il y a malgré tout un problème fondamental. En effet, comment pensez-vous faire coexister le concept du sionisme avec celui de l’évacuation, visiblement au besoin par la force, de Juifs de leurs foyers ?

Nous sommes un peuple pacifique dont l’espoir le plus cher est de vivre en paix, élément qui constitue pratiquement la base de nos prières. Au cours des trois dernières années, nous avons tout mis en œuvre pour trouver une solution avec notre contrepartie, nous n’y sommes pas arrivés. Par conséquent, nous devons prendre des décisions qui nous coûtent cher sur de nombreux plans, mais qui constituent une base de sécurité pour notre avenir. Je pense que la majorité des Israéliens vont soutenir notre initiative. Nous avons prévu de soumettre cette question à la population, qui sera appelée à s’exprimer dans le cadre d’un référendum avant que le Cabinet et la Knesset ne prennent position.

Il est possible que ce plan réponde à une nécessité afin de protéger les générations à venir. Toutefois, vous n’avez pas expliqué pourquoi cette solution n’a pas été envisagée plus tôt. De nombreux civils et soldats israéliens ont sacrifié leurs vies pour maintenir une présence juive à Gaza qui, du jour au lendemain, est simplement superflue. Pouvez-vous nous dire clairement ce qui a déclenché le changement ?

C’est le résultat du processus d’Oslo et non pas son aboutissement. Nous avons compris que toutes les négociations qu’Arafat a menées avec nous n’avaient qu’un seul dessein: la concrétisation de ses buts politiques par le terrorisme et la violence. Ceux-ci sont bien connus et peuvent être résumés en quelques mots: établissement d’un état palestinien, division de Jérusalem dont la moitié serait la capitale de son état, retour aux frontières de 1967 et surtout retour des réfugiés arabes partis en 1948. Aujourd’hui, Arafat lui-même a réalisé qu’en procédant de cette manière, il n’avait aucune chance d’atteindre ses objectifs politiques. Le discours du président Bush du 24 juin 2002 a constitué un point tournant lorsqu’il a déclaré que «les palestiniens devaient choisir un leadership différent». Donc depuis Oslo, nous avons assisté à un processus de dégradation des relations et des intentions de notre contrepartie. Je pense que notre initiative de désengagement de Gaza créera, comme je vous l’ai dit, une nouvelle situation sécuritaire pour nous et une nouvelle source d’espoir pour la population israélienne tout en envoyant un message fort au leadership de l’Autorité palestinienne. C’est le rôle des dirigeants de prendre des décisions dont les effets bénéfiques ne sont souvent pas visibles à court terme mais qui, à long terme, s’avèrent positifs.
Au cours des dix dernières années, j’ai pratiqué cinq premiers ministres. Chacun d’eux, à sa manière, voulait établir la paix. Tous cherchaient des solutions et je suis persuadé que l’attitude que nous avons eue au cours des deux dernières années de ne pas négocier tant que les activités terroristes continuent, est juste. Notre plan de désengagement forcera notre contrepartie à prendre des mesures qui nous permettront, en définitive, de nous retrouver à la table des négociations.

Malgré tout, une bonne partie de la direction de l’armée a ouvertement déclaré son opposition à votre plan, le qualifiant même d’encouragement au terrorisme. Comment réagissez-vous à ces propos ?

Le rôle de l’armée est d’évaluer les avantages et les désavantages de notre idée, ce qu’elle a fait. Elle n’a pas le pouvoir de prendre une décision politique.

La dernière fois que je vous ai interviewé, vous étiez Chef d’état-major (voir SHALOM Vol. 35), vous dirigiez un organe qui, tout en prenant de nombreuses décisions, exécute en définitive les arrêtés gouvernementaux. Aujourd’hui, vous êtes passé de l’autre côté de la barrière, vous faites partie des leaders du pays, de ceux qui dictent ses actions à l’armée. Comment vivez-vous ce changement ?

Il est bien plus difficile de prendre des décisions au niveau auquel je me trouve actuellement que lors de notre dernière rencontre. La différence fondamentale entre les deux positions réside surtout dans le fait que je dois opérer des choix en tenant compte d’un plus grand nombre d’éléments et de paramètres. La population attend que ses leaders prennent des décisions, mais je suis conscient que celles-ci engagent souvent l’avenir du pays pour très longtemps. Prendre les bonnes décisions constitue la partie la plus difficile de ma mission. Notre plan de désengagement de Gaza n’a pas été pris de gaieté de cœur ou avec facilité. A court terme, l’idée de déloger des Israéliens est très douloureuse, mais je suis persuadé qu’à long terme, notre décision s’avérera non seulement juste mais également bénéfique pour notre population.