Volonté - Endurance - Succès
Par Roland S. Süssmann
Le drapeau bleu et blanc frappé de l'étoile de David s'élève lentement, majestueusement vers un ciel radieux, surplombant légèrement ceux de deux autres pays. La Hatikvah, jouée par un orchestre, est reprise en chœur par tous les supporters juifs et israéliens et la nageuse Keren Leibovitch brandit sa troisième médaille d'or les larmes aux yeux. Nous sommes à Sydney aux Jeux Olympiques pour Handicapés, les fameux "Paralympic Games 2000".
Ce fabuleux événement, qui s'est déroulé aux abords d'une piscine olympique où 60'000 personnes étaient rassemblées et applaudissaient debout une jeune Israélienne handicapée, est l'aboutissement d'une somme d'efforts considérable de la part de l'athlète et de tous ceux qui travaillent dans le cadre de Beit Halochem, l'organisation des Vétérans handicapés de l'armée. Mais avant de faire plus ample connaissance avec cette organisation, un bref rappel de l'histoire du sport pour handicapés s'avère nécessaire, ce mouvement étant le résultat d'une initiative juive.
C'est un Juif allemand, le professeur Ludwig Gutmann, neurochirurgien de grande réputation réfugié en Angleterre avec son épouse et leurs deux enfants en bas âge quelques mois avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, qui est le père de cette véritable révolution. En 1942, le gouvernement anglais lui avait confié la tâche de fonder un centre national pour les blessés de la colonne vertébrale, qui acquit rapidement une réputation mondiale. Le professeur Gutmann fut le premier à introduire le sport comme thérapie intégrante du processus de rééducation. Progressivement, cette discipline se transforma en épreuve sportive. C'est encore lui qui eut l'idée de lancer et d'organiser des compétitions internationales et la première compétition internationale d'épreuves sportives en chaises roulantes s'est tenue en 1948 à Stoke Manderville, en Angleterre, où une délégation israélienne forte de deux vétérans handicapés participa il y a plus de 50 ans déjà. A cette première réunion internationale, des handicapés de toutes sortes s'affrontaient en chaises roulantes: amputés, infirmes locomoteurs, aveugles (goalball), etc. C'est en 1952 que le Comité Olympique International décida, suite à la proposition du professeur Gutmann, de créer des Jeux Paralympiques qui auraient lieu tous les quatre ans au même endroit que les Jeux Olympiques. Finalement, les premiers Jeux ne se sont tenus qu'en 1960 à Rome, où les sportifs israéliens ont remporté 4 médailles d'or, 3 d'argent et 4 de bronze. Depuis plus de quarante ans, les athlètes infirmes d'Israël ont été couronnés de succès et se sont fait connaître pour la qualité de leurs performances et leurs réussites successives. Leur triomphe est aussi celui d'Israël et le nombre de médailles qu'ils ont remportées ne font que confirmer le niveau de leurs exploits. La liste est bien entendu trop longue pour être citée ici, toutefois il est intéressant de savoir qu'aux Jeux de Montréal qui se sont en réalité déroulés à Toronto en 1976, ils ont obtenu 40 médailles d'or, 27 d'argent et 8 de bronze ! En 1960, Ludwig Gutmann, le petit réfugié Juif allemand, fut anobli par la Reine d'Angleterre, il obtint le titre de Sir et fut coopté comme membre de la Royal Academy. Grâce à lui, les Jeux Paralympiques, qui comptent des participants en provenance de 140 pays, sont devenus le deuxième événement sportif du monde après les Jeux Olympiques. Afin de bien comprendre l'ampleur de cette aventure exceptionnelle, il faut savoir qu'aux Jeux pour bien portants, environ 6500 athlètes participent et qu'aux Jeux Paralympiques, environ 5500 sportifs d'élite sont sélectionnés ! L'idée originale du professeur Ludwig Gutmann d'utiliser le sport comme thérapie de rééducation est plus actuelle que jamais, elle produit d'excellents résultats, en particulier auprès des enfants et des adolescents. Beit Halochem entraîne des sportifs infirmes de pointe dans une quinzaine de disciplines - sports individuels et sports d'équipe confondus: tir au fusil et à l'arc, levée de poids, voile, tennis, basket-ball, volley-ball et escrime en chaise roulante, natation, badminton, tennis de table, jeux de balles munies de clochettes à l'attention des aveugles, etc. Beit Halochem est une organisation avant tout réservée aux vétérans, mais elle entraîne aussi des sportifs infirmes qui ne sortent pas de l'armée. Il est intéressant de noter que tout l'entraînement sportif se fait dans un magnifique centre sportif de réhabilitation dans la banlieue de Tel-Aviv, qui a des dépendances à Jérusalem et à Haïfa.
Mais qu'offre exactement ce fameux centre ? Il s'agit d'un vaste complexe situé sur un terrain de 10'000 m2, doté d'installations sportives, de rééducation et d'activités sociales, qui a ouvert ses portes en 1974. L'ensemble des installations comprend un gymnase multifonctionnel, des salles d'étude, des cabines de traitement, des salles de repos, une cafétéria, un auditorium de 350 places, une piscine olympique intérieure pour handicapés, des unités de massage et d'hydrothérapie, des terrains de sport, etc. Limités par leur infirmité, de nombreux handicapés ont souvent des difficultés à se réinsérer dans une forme de vie routinière tant nécessaire pour leur bien-être physique et mental. La priorité principale de Beit Halochem est de leur offrir toute l'aide qu'ils méritent afin de parvenir à retrouver une vie familiale et professionnelle aussi équilibrée que possible. Dans ce but, toute une série de programmes sportifs adaptés à chaque type d'infirmité individuelle a été mise au point. Ceux-ci jouent un rôle majeur non seulement dans le processus de rééducation, mais ils permettent aux handicapés de rester en forme et d'empêcher une détérioration de leur santé. Parallèlement, le centre offre une grande variété d'activités culturelles, sociales et créatives en promouvant passe-temps et hobbies. Ceci permet aux infirmes d'enrichir leur vie et de renouer le contact avec la société en les sortant de l'isolement qui s'installe trop souvent lorsqu'une personne blessée est coupée de sa routine quotidienne. Le soutien psychologique est très développé et l'une des particularités de Beit Halochem réside dans les rencontres organisées entre les "générations". Des personnes handicapées depuis longtemps partagent leurs expériences avec celles qui viennent d'être touchées et qui doivent apprendre à vivre et à s'adapter au monde difficile et compliqué de l'infirmité. Les vétérans sont la preuve vivante que le fait de vivre avec un lourd handicap n'est pas "mission impossible" et que malgré les difficultés qui au début semblent insurmontables, il est possible de retourner à une vie pleine et productive. Les services spéciaux, la diversité des programmes, la modernité des équipements et bien entendu le très haut niveau de capacité de tous ceux qui y travaillent, ont fait de Beit Halochem un centre unique en son genre, qui sert d'exemple à travers le monde. En effet, toutes les facilités ont été conçues de manière à être spécialement adaptées à toutes les sortes d'infirmités et un effort particulier a été fait afin de permettre aux aveugles et à ceux confinés dans une chaise roulante de participer à un maximum d'activités. Ce regroupement d'infirmes permet aussi de faire avancer la recherche sur les plans de la rééducation, de la médecine et de la psychologie. Les nouvelles méthodes ainsi mises au point sont souvent directement appliquées dans le cadre de l'institution. De plus, les personnes sévèrement handicapées, aveugles, paraplégiques, amputées, etc., qui requièrent une attention individualisée, sont traitées dans une aile de rééducation spécialement aménagée. Beit Halochem est en contact permanent avec les services des hôpitaux qui traitent les soldats blessés de manière telle à ce qu'ils soient intégrés le plus rapidement possible aux programmes de rééducation de Beit Halochem.
Comment fonctionne l'organisation ? Afin de nous en parler, nous avons rencontré M. Moshé Mutz Matalon, président national de la "Zahal Disabled Veterans Organisation", qui nous a expliqué l'esprit, les buts et la structure de Beit Halochem. "Notre organisation a été fondée après la guerre d'Indépendance. David Ben Gourion estimait qu'il était urgent de tout mettre en œuvre afin d'aider les 6000 handicapés de cette guerre à trouver des solutions à leurs graves problèmes. Depuis lors, l'État d'Israël a souvent dû se battre pour protéger sa souveraineté et de ce fait, notre organisation a malheureusement connu un essor important. Nos rangs grandissent quotidiennement par de nouveaux membres qui ont été gravement blessés en protégeant leur patrie. Aujourd'hui, nous comptons plus de 48'000 adhérents ! Nous ne sommes pas une institution médicale, notre but majeur est d'assister nos membres à travers la difficile période de la rééducation jusqu'à ce qu'ils puissent à nouveau fonctionner aussi normalement que possible et ce tant sur le plan physique que moral et social. Chacun d'eux doit payer une cotisation symbolique ce qui donne un peu un statut de "country-club" à Beit Halochem. Mon désir le plus sincère est de voir le jour où il n'y aura plus de guerre ni de violence dans mon pays et que notre organisation cessera de croître. En attendant ce moment, nous mettons tout en œuvre afin d'apporter le soulagement qu'ils méritent à ceux qui souffrent dans leur chair pour la simple raison qu'ils ont fait leur devoir de citoyen. Depuis quelque temps, bien que notre organisation ne soit ouverte qu'aux vétérans blessés à l'armée, nous accueillons certains infirmes victimes du terrorisme."

UNE FEMME EN OR
"A Sydney, lorsque j'ai reçu ma première médaille d'or, j'étais très excitée, lorsque j'ai obtenu la deuxième, j'étais très heureuse et lorsque j'ai remporté la troisième, j'étais totalement épuisée..." C'est en ces termes aussi simples que réalistes que KEREN LEIBOVITCH, la nageuse israélienne, a résumé ses fabuleuses victoires à Sydney. Bien que toujours très présent à son esprit, Sydney est loin et depuis, elle a remporté de nouvelles victoires et distinctions dans des compétitions internationales, en particulier au Championnat du monde de natation pour handicapés qui s'est tenu en Argentine au début du mois de décembre 2002. Il faut savoir que les Jeux Paralympiques de Sydney constituaient à la fois un rêve et un défi pour Keren. Afin de réussir, elle s'est préparée pendant cinq ans en nageant au rythme de douze à quinze séances d'entraînement de deux heures par semaine. En plus de son défi personnel, Keren portait sur ses épaules tous les espoirs du sport israélien, ce qui pour elle constituait une forme de pression supplémentaire.
De tout temps, Keren était une fille sportive: elle faisait de la bicyclette, du tennis, du cheval, de l'athlétisme et avait même une ceinture brune en karaté et en judo. Sa mère lui interdisait de nager, car elle craignait que ce sport lui procurerait des épaules de "déménageur", ce qui lui enlèverait de sa grâce naturelle. Mais malgré l'interdiction, la petite Keren nageait quotidiennement ses dix kilomètres. Puis, un jour, à l'armée, elle a porté une charge trop lourde et s'est brisée cinq vertèbres. Partiellement paralysée pendant trois ans, Keren a fait plusieurs séjours à l'hôpital et a subi deux opérations de la colonne vertébrale. Après trois ans, elle a commencé des études de médecine à l'Université Hébraïque de Jérusalem qu'elle a abandonnées au bout d'un an. "J'ai dû mettre un terme à mes études, car je ne savais pas encore être une infirme. C'est un apprentissage à la fois long et dur", nous dit Keren d'un ton neutre et empreint de réalisme. Aujourd'hui, elle a retrouvé le chemin de l'académie, elle étudie la chimie afin de pouvoir reprendre ses études de médecine lorsqu'elle abandonnera la compétition. En raison de son infirmité, Keren ne pouvait plus pratiquer qu'un seul sport, la natation. Dès la reprise de cette activité, elle décida non seulement qu'elle serait sélectionnée pour les Jeux Paralympiques de Sydney, mais qu'elle en sortirait gagnante !
La lutte de Keren n'est de loin pas terminée. Après Sydney, elle a arrêté de nager pendant un an, elle est repartie en Australie où elle a progressivement repris la natation. Depuis, elle a participé à un grand nombre de compétitions internationales où elle s'est toujours trouvée parmi les premiers finalistes, remportant titres et médailles comme ce fut le cas au championnat du monde 2002 en Argentine, où elle a "raflé" quatre médailles d'or ! Lorsque j'ai demandé à Keren quels sont ses projets d'avenir, elle m'a répondu: "Tout d'abord, j'espère que je ne devrai pas subir d'autre opération dorsale. Aujourd'hui, je m'entraîne avec un groupe de gens bien portants, ce qui constitue à la fois un encouragement et un défi pour moi. Je sais ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire mais, parallèlement, et cela peut sembler paradoxal, c'est moi qui fixe mes limites. Mon prochain grand défi ? Gagner les Jeux Paralympiques d'Athènes en 2004 !".


Mais Keren Leibovitch mène encore un combat qui se situe sur un tout autre terrain: celui de la reconnaissance de la femme dans le sport d'élite en Israël et celui de la place du sport handicap dans le pays. Elle estime que les exploits féminins ne sont pas appréciés à leur juste valeur et que les jeunes filles ne sont pas suffisamment encouragées à s'engager dans la compétition. Quant au sport handicap, elle trouve qu'il ne jouit pas en Israël du même statut que le sport des bien portants et ce aussi bien sur le plan de l'appréciation que sur celui du financement et des subventions gouvernementales. "Voyez-vous, ma victoire de Sydney constituait un phénomène car elle offrait à la population israélienne qui venait de subir les premiers chocs de la reprise de l'Intifada une source de joie et de fierté. Je pense que si mes médailles avaient été remportées par un homme, qui de plus aurait été bien portant, l'impact aurait été bien plus fort."
Aujourd'hui, Keren Leibovitch va à la rencontre de jeunes infirmes israéliens à qui elle explique comment vivre et réussir lorsque l'on est gravement handicapé. Ses succès, sa détermination et sa volonté constituent un exemple vivant pour de nombreux jeunes Israéliens bien portants. Pour les jeunes handicapés, elle représente une énorme source d'encouragement.