Urgences
Par Roland S. Süssmann
Depuis près d’un an et demi, Arafat verse du sang juif en Israël et ce uniquement dans le but d’obtenir par ce qu’il appelle le «combat», à savoir le terrorisme, les avantages politiques qui lui permettront de mener à bien son rêve, la destruction de l’État juif. L’horreur est indescriptible, les morts se comptent par centaines et les blessés – souvent estropiés à vie – sont légion, sans parler des personnes psychologiquement ébranlées pour le restant de leurs jours. Face à cette situation, il existe un groupe d’hommes et de femmes profondément dévoués qui sont directement confrontés à la réalité des exactions d’Arafat, ce sont les équipes de soins des hôpitaux israéliens.
Afin d’illustrer la situation telle qu’elle se présente en cas de crise, la manière dont les salles d’urgences fonctionnent et dont les hôpitaux sont organisés, nous avons rencontré le professeur JONATHAN HALEVY, directeur-général de l’hôpital Shaare Tsedek, le seul grand centre hospitalier situé en plein cœur de Jérusalem.

En ces temps difficiles, votre hôpital est régulièrement mis à rude contribution en étant confronté à un flux de blessés plus ou moins graves. Comment gérez-vous ces situations d’urgence ?

Notre hôpital dispose malheureusement d’une grande expérience dans ce domaine au point qu’une certaine forme de routine s’est déjà installée dans nos équipes qui sont soigneusement préparées et entraînées. Lors d’un désastre majeur, chacun d’entre nous est immédiatement informé par un message informatisé et tous, soit mille personnes, savent immédiatement à quel poste se rendre afin de pouvoir agir utilement. Il faut bien comprendre qu’un grand nombre d’actions de sauvetage se déroulent simultanément en plusieurs lieux de l’hôpital où arrivent les victimes. En général, c’est le Maguen David Adom, c’est-à-dire les équipes d’ambulanciers de la Croix-Rouge israélienne, qui sont les premiers sur les lieux et qui alertent les quatre hôpitaux de Jérusalem, à savoir Hadassahh Ein Karem, Shaare Tsedek, Bikour Holim et le Mont Scopus. Hadassahh est situé un peu à l’extérieur de la ville, Bikour Holim est en ville mais n’a pas de secteur de grands brûlés, de chirurgie orthopédique ni d’ophtalmologie, trois départements essentiels lors d’attaques terroristes, et l’hôpital du Mont Scopus ne dispose que de 190 lits et n’a pas de département de traumatologie. Ainsi, les deux hôpitaux sur lesquels l’armée et la population civile peuvent compter en cas de catastrophe sont Hadassahh Ein Karem et Shaare Tsedek.
Une fois que nous avons été alertés par le Maguen David Adom, il ne faut que quelques minutes pour que toute notre organisation soit en place. Lors des attaques suicide de la rue Ben Yehoudahh en décembre dernier par exemple, je me trouvais à 12 minutes en voiture de notre hôpital et suis donc arrivé avec les premiers blessés. Une équipe de 150 personnes était déjà sur place, qui comprenait des médecins, des infirmières, etc. La procédure suivante est toujours la même. Les premiers blessés, passés par les urgences, sont immédiatement évacués afin de faire de la place pour les suivants. Ils sont alors amenés soit dans les étages, soit dans une salle spécialement aménagée, située derrière les urgences et équipée de prises à oxygène. Pendant ce temps, les équipes médicales se forment à travers tout l’hôpital. Nous avons également un département réservé uniquement aux personnes choquées, où tous nos psychiatres, psychologues et assistants sociaux sont prêts à les accueillir sans qu’elles transitent par la salle des urgences. Ces victimes paniquées représentent environ 30 à 40% des blessés. Parallèlement, nous avons un centre d’informations pour les familles, où se trouvent des assistants sociaux de l’hôpital même ainsi que des volontaires ayant suivi une formation spéciale. Ce centre comprend une centrale téléphonique pour répondre aux centaines de familles qui appellent afin de savoir si l’un des leurs qui n’est pas rentré se trouve parmi les victimes. Bien entendu, un échange permanent d’informations entre les hôpitaux est immédiatement activé et environ 15 minutes après une attaque terroriste, nous commençons à échanger les listes des noms.

Comment identifiez-vous les victimes ?

La majorité d’entre elles sont en état de décliner leur identité. Nous photographions toutes les personnes qui sont inconscientes bien que souvent, nous trouvions une forme d’identification dans leurs poches. Pour faire ce travail d’identification, nous avons formé une équipe particulière. Mais il y a toujours quelques victimes inanimées qui, au cours des premières heures, restent anonymes jusqu’à ce que la police ou un proche soit à même de les identifier.

Comment s’effectue le tri des blessés dans la salle des urgences ?

Une première sélection pour le choix de l’hôpital se fait sur les lieux mêmes du drame, qui a trait aux types de blessures. En effet, tous les traumatismes neurologiques sont automatiquement dirigés sur Hadassah car, contrairement à nous, ils disposent d’un service de neurochirurgie. Ici, à Shaare Tsedek, nous avons le meilleur service de chirurgie thoracique, où le Dr Maher Deeb, un Arabe israélien, fait des merveilles. Par conséquent, tous les blessés du thorax sont directement évacués vers notre hôpital. L’un de nos plus importants chirurgiens, qui en général a une très grande expérience de ce genre de situation, se place à l’ouverture de chaque ambulance et, d’un coup d’œil rapide, apprécie l’état de la personne. Si celle-ci est très grièvement atteinte, elle ne reste pas aux urgences, mais passe directement en salle d’opération où une équipe de chirurgiens, prête à agir, intervient immédiatement. Le diagnostic sur l’état précis du blessé se fait pendant l’opération. Si la victime est gravement touchée mais ne nécessite pas d’opération immédiate, elle est transférée dans le service de traumatologie des urgences où une évaluation de son état est réalisée. Les personnes modérément blessées sont dirigées vers un autre secteur des urgences et finalement, il y a les blessés légers qui peuvent rentrer chez eux après un examen rapide et un petit traitement local. Chaque personne qui sort d’une ambulance est accueillie par une équipe médicale comprenant une infirmière, un chirurgien et une secrétaire médicale qui note tous les détails se rapportant au blessé. Si ce dernier est un enfant, l’équipe est renforcée par un pédiatre. Nous disposons de douze salles d’opérations qui, en temps de calme, ont leurs fonctions spécifiques, gynécologie (nous comptons en moyenne 850 naissances par mois), cardiologie, etc.
Il faut bien comprendre que pendant que nous faisons le tri, la salle des urgences se remplit très vite. Lors des attaques suicide de Ben Yehoudahh, nous avons accueilli 84 personnes en 35 minutes. Dans ce cas, les «embouteillages» se déroulent toujours au niveau des services de radiologie, des scanners et des RMI, et les patients passent en fonction de la gravité de leur état. Ceux dont la tension est stable mais qui ont visiblement une fracture attendent, nous leur donnons de la morphine pour qu’ils ne souffrent pas. Dans le département de radiologie, les radiologues sont accompagnés de chirurgiens qui observent les patients et qui décident sur-le-champ si la victime doit ou non être immédiatement opérée ou si elle doit d’abord passer dans un service orthopédique, etc. Comme vous le savez, lors des dernières attaques, les kamikazes se sont fait sauter avec des bombes remplies de clous et de visses. Dans de nombreux cas, nous n’avons procédé à des opérations que trois à quatre jours plus tard. Il ne s’agissait pas de cas urgents, les corps étrangers n’étant pas placés dans une partie du corps qui mettait la personne en danger, il suffisait de surveiller et de désinfecter les plaies.

Si une personne inconsciente et gravement blessée nécessite d’être immédiatement opérée, comment savez-vous si elle est allergique à l’un ou l’autre des produits que vous allez lui administrer pendant l’opération ?

En premier lieu, nous ignorons volontairement ce genre de question, car il y a des priorités nettement plus importantes qui doivent être adressées immédiatement. Si un malade développe des signes d’allergies pendant l’intervention, nous lui administrons de la cortisone. Il faut bien comprendre que nous sommes dans des situations où chaque minute, voire chaque seconde compte. Il n’est pas rare que nous fassions des transfusions de sang O négatif sans avoir au préalable vérifié le groupe sanguin. En général, nous recommandons que toute personne atteinte d’une maladie grave et prenant des médicaments spécifiques porte un bracelet avec un minimum d’informations.

Vous nous avez dit que vous disposez d’un département spécialisé dans le traitement des personnes choquées. Comment se déroulent ces soins ?

Les victimes qui sont paniquées sont effectivement prises en charge par notre équipe de spécialistes constituée de nos trois psychiatres rattachés à l’hôpital et d’un groupe de psychiatres volontaires qui ont leur cabinet en ville. Ces médecins ont non seulement l’habitude de travailler avec nous dans des circonstances particulières, mais ont également une très grande expérience des traumatismes psychologiques. En effet, la plupart d’entre eux ont été confrontés à des cas de chocs pendant les guerres d’Israël ou au Liban, et ont traité des patients qui ont vu leurs meilleurs amis mourir ou être déchiquetés devant leurs yeux. Les techniques des soins appliqués à des personnes choquées suite à un acte de violence volontaire sont très spécifiques, elles impliquent par exemple un type d’hypnose particulier.

Il y a quelques mois à Jérusalem, une salle des fêtes au nom prestigieux de «Versailles», s’est écroulée pendant un mariage, faisant des dizaines de blessés et de nombreux morts. A cette occasion, avez-vous été confrontés à un type différent de blessures et de chocs ?

Lors de cette catastrophe, nous avons accueilli 110 des 340 victimes, et la différence majeure entre cet accident et une attaque terroriste est de deux natures. En Israël, lorsque quelqu’un se rend dans un lieu public très fréquenté, pour ne pas dire bondé, tout le monde sait qu’il y a un certain risque d’attentat. Mais les gens font leur possible pour continuer à vivre normalement, à sortir dans les cafés, au cinéma, etc. Lorsqu’une personne se rend à une fête, à un événement heureux, elle est dans un tout autre état d’esprit et ne pense pas à ce genre de risque, je dirais même que les participants sont en quelque sorte libérés. L’ampleur de l’effet de surprise a fait que les chocs étaient plus profonds et nettement différents. En ce qui concerne les blessés à proprement parler, il faut bien comprendre que contrairement à l’attaque terroriste où 84 personnes ont débarqué dans nos services en 35 minutes, lors des événements de «Versailles», il a fallu des heures pour dégager les blessés sous les décombres, si bien que leur arrivée chez nous s’est étendue sur une période de douze heures. En plus d’être blessées, ces personnes, restées bloquées sous les ruines, ont subi des chocs particuliers en voyant leurs proches morts ou souffrir autour d’eux, sans parler des moments, voire des heures de panique qu’ils ont vécus. Nous avons traité ici le jeune marié, son frère et ses parents ce qui, sur le plan émotionnel, était particulièrement difficile.

Pendant que vous soignez les victimes d’un désastre important, l’hôpital doit continuer à fonctionner normalement. Comment êtes-vous organisé pour faire face à ces événements ?

Ces situations d’urgence constituent effectivement une source de travail supplémentaire pour les hôpitaux, mais nous devons honorer les priorités. Par exemple, si quelqu’un attend depuis quelques mois pour se faire remplacer une hanche, nous lui demandons de patienter encore. Toutes les opérations qui n’ont pas de caractère d’urgence sont simplement reportées, mais ceci ne signifie pas que nous réduisions nos activités, bien au contraire. Nous augmentons le nombre de notre personnel, nous travaillons en équipes tournantes et nos salles d’opérations fonctionnent jour et nuit, 24 heures sur 24, les cas nécessitant plusieurs opérations de suite étant nombreux.

Nous avons visité votre salle des urgences qui, à première vue, n’est pas énorme. Pensez-vous l’agrandir ?

Oui, car même pendant les périodes calmes, nous sommes très à l’étroit. Par exemple, au cours de l’hiver dernier, une épidémie de grippe a sévi à Jérusalem. En un week-end, nous avons reçu près d’une cinquantaine de malades ayant développé des pneumonies et très rapidement, nous nous sommes retrouvés au complet. De plus, comme je vous l’ai dit, la population civile, et surtout l’armée, comptent sur nos services en cas de catastrophe. Les dernières attaques de kamikazes ainsi que la tragédie de «Versailles» ont démontré qu’il est essentiel que nous disposions de l’espace nécessaire afin d’être en mesure de faire face à nos obligations. Je dois également rappeler que l’armée se base sur notre aide afin que nous agissions en cas de guerre biologique ou chimique. Pour ce faire, nous venons d’installer une nouvelle zone de décontamination. Notre salle des urgences fait aujourd’hui environ 950 m2, où nous pouvons recevoir une quarantaine de patients. Nous avons l’intention de l’agrandir considérablement puisque nous allons construire dans un espace adjacent une annexe de 3000 m2 avec une zone d’attente et un système de radiologie digitalisé qui permettra aux chirurgiens situés dans chacune de nos douze salles d’opérations de visualiser immédiatement les radiographies sur leur ordinateur. Bien entendu, nous allons également développer tous les secteurs déjà existants, en particulier celui de la traumatologie.

Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots comment fonctionne la zone de décontamination ?

En cas d’attaque chimique ou biologique, tout traitement commence par une séance de décontamination. Dans le but d’éviter toute forme de contamination, chaque personne doit passer sous une douche puissante pendant environ 15 à 20 minutes avant de pouvoir entrer dans l’hôpital. Le blessé est placé dans un filet spécial où, à l’aide d’eau et de savon, toutes les parties de son corps sont décontaminées. Pour l’hiver, nous avons des douches d’eau chaude. Pour les personnes qui ne sont pas seulement blessées mais aussi contaminées, nous disposons d’une zone spéciale où elles sont préparées pour l’opération tout en étant décontaminées. A cet effet, nous avons entraîné des équipes spécialisées. Bien entendu, toutes les personnes chargées de la décontamination sont munies de vêtements de protections spécifiques. Comme il est difficile de travailler avec les gants et les habits requis, nous organisons chaque année des exercices à blanc à l’intention des équipes médicales.

Vous avez été médecin militaire, vous avez donc opéré dans des conditions extrêmes et dû voir beaucoup d’horreurs et de drames. Quel a été le blessé qui vous a le plus marqué ?

Toutes les victimes nous touchent et nous soignons tout le monde indépendamment du fait qu’il soit juif, arabe, chrétien ou terroriste. Toutefois, je n’oublierai jamais ce jeune homme d’environ 19 ans qui, suite à l’attaque de Ben Yehoudah, a été transporté chez nous avec trois blessures sévères, l’une abdominale, l’autre au thorax et la dernière à la tête. Nous avons tout fait pour le sauver, mais il est mort une demi-heure après son arrivée chez nous. Lorsqu’un jeune homme, sorti pour s’amuser avec ses amis, débarque à l’hôpital pratiquement en morceaux, les tripes à l’air, je peux vous dire que c’est très dur à supporter. Cela dit, lorsque je dirigeais un hôpital militaire de campagne au Liban, nous recevions de jeunes soldats grièvement blessés, nous devions les traiter dans des conditions bien plus difficiles que celles qui nous sont offertes ici, sans parler du fait que nous travaillions alors que les balles sifflaient autour de nos oreilles.

Après une attaque terroriste arabe, un climat de suspicion s’installe-t-il généralement entre les employés juifs et arabes de l’hôpital ?

Comme toujours, les choses ne sont ni noires ni blanches. Je pense qu’au niveau des médecins, chacun sait garder ses opinions pour lui-même, estimant qu’il a un travail à faire, celui de sauver et de soigner des êtres humains. A un échelon moins élevé, je pense que cette suspicion existe et nous prenons sans cesse des mesures de sécurité supplémentaires. Je saisis cette occasion pour souligner que dans l’ensemble, la coopération entre nos collaborateurs juifs et arabes se passe bien. Sur les 400 médecins, 15 sont des Arabes, et nous avons 30 infirmières arabes.

Une interview avec le Directeur-général de l’hôpital Shaare Tsedek de Jérusalem serait incomplète si vous ne nous disiez pas quelques mots sur votre institution. Comment êtes-vous structuré et comment fonctionne l’hôpital ?

Je suis gastro-entérologue et en tant que tel, je dirige l’un des services médicaux de l’hôpital. Cela dit, je consacre 30% de mon temps à mes patients, 10% à la recherche, 10% à l’enseignement et 50% à l’administration. Notre hôpital, qui n’obtient aucune aide financière gouvernementale, a de nombreuses activités, en particulier dans le domaine de la recherche génétique. Nous avons également un centre de recherche spécialisé dans la lutte contre la douleur.
Comme vous le voyez, nous sommes un hôpital très complet qui offre une large variété de services aussi bien à la population israélienne qu’aux Juifs qui décident de bénéficier de notre expérience médicale. Je ne peux donc qu’encourager vos lecteurs à nous apporter leur soutien.