La clef de la victoire
Par Roland S. Süssmann
L’une des personnalités marquantes du gouvernement d’Ariel Sharon est Mme LIMOR LIVNAT, sa bouillante Ministre de l’Éducation. Mère de deux enfants scolarisés et donc très au fait des carences du système éducatif israélien, elle mène, par le biais de l’éducation, un combat pour le renforcement de l’identité juive et israélienne, ce qui ne lui vaut pas que des amis. Dans le but d’offrir davantage de chances à un plus grand nombre d’étudiants, elle vient de briser le monopole du Conseil supérieur de l’Éducation, qui avait le contrôle total des universités et ce pratiquement depuis la fondation de l’État. Il s’agit là d’une victoire politique très importante. Mme Livnat a déjà une très riche carrière politique à son actif, mais ses capacités et sa popularité indiquent qu’elle a de très bonnes chances, à plus ou moins brève échéance, d’accéder à la fonction suprême de Premier ministre. Les derniers sondages ont démontré que dans le cadre du Likoud, elle vient en troisième position directement après Ariel Sharon et Benjamin Netanyahou.

Cela fait un peu plus d’un an que vous détenez le poste de Ministre de l’Éducation, dicastère très important pour le déroulement actuel de l’enseignement à tous les niveaux, mais aussi pour la préparation de l’avenir. Pouvez-vous en quelques mots brosser un tableau de votre activité et établir un premier bilan intermédiaire de votre action ?

Dès la victoire d’Ariel Sharon aux élections, nous avons eu un certain nombre de consultations pour définir le portefeuille qui allait m’être confié. Le Premier ministre hésitait entre deux postes: celui de Ministre de la Sécurité intérieure et celui que je détiens aujourd’hui. La première proposition constituait pour moi un immense avancement dans ma carrière, sans parler du fait qu'il est assez prestigieux pour une femme d’être à même de faire face aux responsabilités que requiert une telle position. Malgré tout, j’ai demandé à Ariel Sharon de bien vouloir me confier le Ministère de l’Éducation.

Pourquoi ?

J’estime que l’éducation constitue en fait la sécurité intérieure du peuple juif. D’autres candidats auraient été aussi qualifiés que moi pour faire ce travail, mais deux points me tiennent particulièrement à cœur: le renforcement du savoir juif et le sionisme. Or j’estime être mieux que quiconque à même de promouvoir ces deux éléments de notre patrimoine religieux et national, et c’est dans cet esprit que le Premier ministre m’a nommée à ce poste. Comme moi, il est conscient du fait que dans les écoles publiques israéliennes, l’accent est de moins en moins mis sur l’éducation juive, sur l’enseignement de notre histoire, de l’ensemble de notre héritage et de notre culture. Il en va de même pour la transmission des bases essentielles du sionisme, comme par exemple l’amour du pays et le respect du drapeau. De nos jours, nous vivons une véritable «crise des valeurs» et tous les éléments fondamentaux que je viens d’énumérer ont été progressivement abandonnés dans le cadre de l’enseignement au point que, lorsque je suis arrivée à mon poste, ils n’étaient pour ainsi dire pratiquement plus au programme. Je suis mère de deux adolescents qui vont à l’école publique et je vois ce qu’ils apprennent… et surtout ce qu’ils n’apprennent pas. Afin d’illustrer mes propos, je voudrais partager une expérience personnelle avec vous. Il y a deux ans, mon fils a fait sa Bar-Mitsvah. Il l’a faite en toute connaissance de cause. Il a été appelé à la Torah, a lu la Haftarah, bref, outre la fête à proprement parler, il a vécu un moment d’intense relation avec le Judaïsme. Il était l’un des rares de sa classe pour qui la Bar-Mitsvah était autre chose que l’occasion de recevoir des cadeaux et de festoyer. Pour ma part, bien que n’étant pas une juive pratiquante, j’ai été profondément émue par la cérémonie et la réception à la synagogue. Voyez-vous, en Israël, il existe cette réalité inadmissible qui veut que toute personne qui n’est pas inscrite dans une école religieuse, et je parle de la majorité de la population, ne bénéficie pas de l’enseignement de notre patrimoine religieux et national. Ceci est faux et inacceptable. J’ai donc décidé de réintégrer dans le cycle de l’enseignement ce que l’on m’a transmis dans les écoles publiques lorsque j’étais enfant. Je peux le faire d’autant plus facilement que, comme je vous l’ai dit, je ne suis moi-même pas pratiquante, j’habite au nord de Tel-Aviv (bastion de la gauche israélienne antireligieuse) et mes enfants vont dans des écoles d’État. Personne ne peut venir me reprocher de vouloir jouer «les missionnaires» ou de désirer transformer le pays en un État théocratique où chacun devrait se repentir, être pratiquant, voire bigot. Tel n’est pas mon but, mais je veux donner à tous les enfants la liberté de pouvoir choisir librement leur mode de vie. Or ceci ne peut se faire qu’en toute connaissance de cause. Nous n’avons pas le droit de priver nos enfants de la connaissance de base de ce que j’appellerai «l’infrastructure de notre identité» et de leur imposer un mode de vie avec une pensée unique dénuée de nos valeurs nationales et religieuses essentielles. Comment voulez-vous que nos jeunes sachent ce que c’est qu’être un fils ou une fille du peuple juif ?

Pratiquement, qu’avez-vous entrepris ?

Nous avons tout d’abord rajouté dans toutes les classes des jeunes âgés de 12 à 15 ans une fois par semaine une heure d’enseignement intitulée «Héritage et culture d’Israël». Nous y avons intégré de nombreux sujets de base comme l’histoire juive et récente d’Israël, la Shoa, la signification des fêtes et des Bar et Bat-Mitsvoth. Il ne s’agit pas de condenser un enseignement en profondeur, mais de donner à ces adolescents un petit accès à ce qui constitue la base de notre identité, ce dont ils étaient privés jusqu’à présent. Je suis heureuse de constater que ce programme, qui au début n’était pas du goût de tout le monde, est de plus en plus apprécié. J’ai également recommandé à toutes les écoles de réunir une fois par semaine l’ensemble des étudiants, les professeurs et le proviseur afin de procéder à une petite cérémonie pour hisser le drapeau d’Israël et chanter la Hatikvah, notre hymne national. Je suis heureuse de constater que ce conseil est de plus en plus suivi à travers tout le pays. J’ai fait imprimer une série de douze posters qui sont à la fois artistiques, colorés et modernes, relatifs aux célébrations juives, inclus shabbat et la fête nationale. Mon ministère les a distribués dans toutes les écoles afin d’y créer un environnement culturel et cultuel juif.

En 1996, vous avez fait passer une loi à la Knesset imposant à toute école d’État en Israël d’être ornée du drapeau national. Savez-vous si cette prescription est effectivement appliquée ?

Dans l’ensemble oui. Je peux même vous dire que dans certains villages arabes, il y a des écoles qui ont le drapeau sur leur immeuble et il en va de même pour les toits de quelques écoles ultraorthodoxes. Mais mon propos s’adresse surtout à la grande masse des élèves qui vont dans les écoles d’État. Je veux que chaque enfant juif sache dignement chanter la Hatikvah et soit fier de voir flotter le drapeau bleu et blanc. Récemment, j’ai visité une école où le président du conseil des élèves m’a dit fièrement: «Avec la direction de l’école, nous avons décidé de mettre un drapeau dans chaque classe.» Bien entendu, il n’en est pas encore ainsi dans tout le pays, mais il s’agit d’une tendance qui se développe. Voyez-vous, ce qui est important dans toute cette démarche, c’est qu’en fait notre jeunesse attendait un signal venu des autorités disant: «oui, c’est bien d’avoir un sentiment national et de l’exprimer, c’est légitime d’être fier de son drapeau et vous êtes autorisés à chanter la Hatikva, à ressentir quelque chose de particulier et à avoir les larmes aux yeux !» J’ai également augmenté le nombre d’élèves qui participent chaque année aux voyages en Pologne pour visiter les camps de concentration. Avant de partir, ils suivent un programme spécial de préparation avec de nombreux cours, des visites au Musée–Mémorial de Yad Vachem, etc. Je pense qu’il s’agit là d’un élément extrêmement important pour renforcer l’identité nationale des Israéliens et l’identité juive des jeunes Juifs à travers la Diaspora. Rien, aucun livre, aucun film, aucune conférence d’un survivant ne remplace l’expérience vécue d’une visite à Auschwitz. Nos jeunes Israéliens, qui sont nés libres et sans contraintes, ne savent pas ce que c’est que l’antisémitisme, et ne peuvent pas comprendre ce qu’était la Shoa. Pour eux, il s’agit d’un élément historique qui a eu lieu il y a très longtemps. C’est pourquoi je veux qu’un maximum de jeunes Israéliens participe à ces voyages et j’ai pu accroître de 1000 à 1500 le nombre de participants pris en charge par mon ministère.

Israël va fêter son 54ème anniversaire et à ce stade, vous devez entreprendre toute une action éducative afin de renforcer l’identité nationale. Pourquoi en est-il ainsi et dans quel but avez-vous lancé ce programme ?

Malheureusement, comme je vous l’ai dit, depuis un certain nombre d’années chez nous, il n’était plus «politiquement correct» d’avoir des sentiments nationaux et de les afficher. Comme vous le savez, la pensée éducative en Israël a été infestée par le post-sionisme. Il s’agit d’une idéologie qui discrédite le droit des Juifs sur la terre d’Israël, qui dénigre les valeurs juives et rend triviale la justice historique inhérente à la renaissance d’Israël. Dans ce même esprit, toute la pensée et toute l’action sont apparemment tournées vers l’avenir. Or ceci n’est qu’illusion, car là où il n’y a pas de passé légitime, il n’y a pas d’avenir. Il ne s’agit pas de se lamenter sur les erreurs et les malheurs du passé, mais de pouvoir reconnaître les possibilités et les espoirs dont l’avenir est porteur. Mais pour savoir dans quelle direction nous devons nous diriger, il est indispensable que nous sachions d’où nous venons. C’est pourquoi j’estime qu’aujourd’hui, il est primordial de renforcer notre identité par l’enseignement de notre patrimoine juif, dont l’une des premières valeurs est la responsabilité individuelle. Il s’agit de l’éducation contre la recherche de la satisfaction immédiate et contre l’absence de vision à long terme. Ce qui est vrai au niveau personnel l’est aussi pour la vie d’une nation. Dans le post-sionisme, la notion de bien ou de mal pour son propre camp est inexistante et seul l’ennemi a droit à la justice. C’est d’ailleurs dans cet esprit que mes prédécesseurs de gauche ont tenté de supprimer les voyages d’adolescents israéliens en Pologne et dans les camps de concentration. Une autre raison pour laquelle je mets tellement l’accent sur la question du renforcement de l’identité juive et israélienne réside dans le fait qu’une population privée de sa raison d’être et donc privée de sa force morale, n’est pas à même de confronter avec succès les défis existentiels de sa survie. Or nous n’avons pas les moyens de risquer un échec.

Dans la Diaspora en général et en Europe en particulier, nous assistons à une nouvelle vague d’antisémitisme actif et vocal. Dans le cadre de votre ministère, avez-vous un programme destiné aux écoles juives à travers le monde ayant pour but de renforcer l’identité juive et sioniste afin de promouvoir l’émigration vers Israël ?

En principe, la question de l’éducation juive dans la Diaspora est directement soumise à une section de l’Agence Juive. Toutefois, j’ai effectivement mis au point un certain nombre de programmes, qui sont surtout destinés à des pays de l’Est. Nous venons de recevoir 90 professeurs de différentes écoles juives russes qui sont venus en Israël suivre un séminaire de formation. Nous avons également participé financièrement à un programme de l’Agence Juive pour l’éducation dans la Diaspora. Ce budget s’élève à cent millions dollars et notre ministère a pris vingt-cinq millions à sa charge. Malgré nos restrictions budgétaires, je veux que nous soyons de plus en plus impliqués dans ces programmes car j’estime que dans ce domaine, nous avons un rôle important à jouer. La lutte contre l’antisémitisme passe par le renforcement de l’identité juive et des relations avec Israël, car il n’y a pas de différence entre l’antisémitisme et l’anti-israélisme.

Depuis le mois de septembre 2000, la violence arabe sévit en Israël et toutes les 48 heures, pour ne pas dire tous les jours, des Juifs se font assassiner, sans parler de ceux qui sont blessés ou estropiés à vie. Votre gouvernement, et en particulier votre Premier ministre, ont été élus afin de mettre un terme à cette situation. Un an après votre accession au pouvoir, la violence continue. Que faites-vous pour y remédier et comment pensez-vous que la situation va évoluer ?

Notre peuple est bien plus fort que toutes les épreuves qui lui sont imposées. Je suis impressionnée de voir avec quel stoïcisme il continue à vivre pour ainsi dire normalement, tout en ayant un fort sentiment d’insécurité. Il ne faut pas oublier que la politique qui nous a menés là où nous sommes actuellement était truffée d’erreurs, de faux calculs, de manque de vision et de naïveté dénuée de tout sens nationaliste. Les promoteurs de cette politique ont par exemple volontairement ignoré la propagande de haine des Arabes, la diffusion des théories négationnistes de la Shoa dans les livres scolaires, dans les mosquées et même dans les discours d’Arafat. Ils ont constamment fait preuve de «compréhension» pour l’inconduite de la partie adverse, etc.
Cela étant dit, je suis tout à fait consciente de la difficulté de la situation et combien les moments que nous vivons actuellement sont durs. Mais il n’y a pas que des mauvaises nouvelles. L’Administration américaine est très compréhensive à notre égard. De nombreux attentats sont déjoués quotidiennement et la partie adverse commence sérieusement à perdre du terrain. Il faut bien comprendre que l’armée et surtout nos services de renseignements accomplissent un travail fabuleux. Je pense qu’il est essentiel de maintenir le gouvernement d’Union nationale ce qui, en raison des divergences idéologiques, n’est pas facile. Mais ceci démontre au monde en général et aux Arabes en particulier que nous sommes unis dans la douleur et dans la lutte. Je dois dire que je ne suis pas satisfaite de la manière dont le combat contre le terrorisme est actuellement mené et j’estime que notre action politique n’est pas assez déterminée. Je l’ai dit à Ariel Sharon. Il faut bien comprendre qu’à chaque fois que nous traitons avec nos ennemis tout en disant qu’ils ne constituent pas un «partenaire» ou que nous faisons des déclarations dans lesquelles la création d’un état palestinien est évoquée, nous donnons un signal de faiblesse. Cela dit, la population israélienne ne veut pas d’un conflit régional généralisé et notre gouvernement fait tout pour l’éviter. Nous sommes engagés dans une guerre quotidienne contre le terrorisme et nous n’avons pas d’autre choix que de la gagner malgré toutes les difficultés.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Il n’existe pas de solution miracle ou immédiate et toutes les belles solutions et promesses qui nous ont été présentées par les avocats d’Oslo se sont avérées fausses et mensongères. Même les propositions extrêmes, pour ne pas dire suicidaires d’Ehoud Barak, ont été rejetées par Arafat. La population israélienne veut vivre en paix et pour cela, elle est disposée à faire des compromis. Mais je pense qu’à plus long terme, il n’y aura pas de solution tant que nos voisins n’adhéreront pas au système démocratique. Nous en sommes malheureusement très éloignés. Je crois que la paix entre Israël et ses voisins doit être basée sur la dissuasion et non sur la détente. Cette constatation est simplement réaliste et dénuée de toute forme d’idéalisme. C’est vrai que celui-ci nous est indispensable pour notre essor mais pour une nation, l’idéalisme sans réalisme est suicidaire. C’est pourquoi à court et moyen terme, nous devons tenter d’établir une sorte de paix fonctionnelle intermédiaire. Pratiquement, cela signifie que nous devons contrôler les hauteurs du Golan et de la Judée-Samarie. Si tel n’est pas le cas, nous nous exposons à la menace d’une agression qui met en péril l’existence même d’Israël. Ceci signifie aussi que nous devons maintenir une Jérusalem unie sous souveraineté israélienne et ce afin de garantir la liberté et les mêmes droits pour tous. Une re-division de la ville ouvrirait la porte à toutes sortes d’agressions et nous établirions un autre Belfast. Il ne saurait être question d’accepter la fondation d’un état palestinien avec une continuité territoriale. Celui-ci constituerait non seulement un danger pour Israël, mais une source de déstabilisation pour la Jordanie et toute la région.
Pour conclure, je vous dirai que je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait. Mais je sais qu’un certain nombre de principes fondamentaux doivent guider notre action ce qui, après tout, est partiellement le cas. Toutefois, dès qu’Arafat a compris qu’Israël ne retournerait pas aux frontières de 1967 et que les «réfugiés» de 1948 ne pourraient pas bénéficier d’une sorte de «droit au retour», il a lancé sa campagne de terreur. Pour que la paix soit envisageable, Israël est obligé de vaincre cette nouvelle forme de totalitarisme et pour réussir, il doit retrouver son moral et sa confiance en soi. Ceci ne peut se faire que sur la base du renforcement de notre identité juive car ces deux éléments, la victoire sur le terrain et la détermination morale, sont intimement liés. Si Israël gagne la lutte contre le terrorisme, le reste du monde sera gagnant. L’Amérique l’a compris – l’Europe pas encore. A long terme, je reste optimiste, mais il est indispensable que le gouvernement dont je fais partie entreprenne des actions plus déterminées… Je m’emploie à le convaincre !