Moshé Katsav Président !
Par Roland S. Süssmann
Imaginez le décor: une salle des fêtes aux États-Unis où les plus grands donateurs du UJA (United Jewish Appeal) sont réunis. Une petite dame aux cheveux gris prend la parole et dit: «Nous avons quitté Bagdad pour Bombay puis nous sommes venus en Amérique où mon fils a pu étudier et devenir juge de la Cour Suprême. Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à ce magnifique pays.» Un jeune ministre israélien se lève et répond: «Madame, si ma mère était à votre place, elle dirait: ‘Nous avons quitté l’Iran et sommes arrivés comme immigrants dans une petite ville de développement en Israël. Mon fils a eu la chance de pouvoir faire des études et aujourd’hui, il est Ministre de l’État juif libre, souverain et indépendant !’.» Ce ministre, M. MOSHÉ KATSAV, est aujourd’hui le Président d’Israël.
Tout le monde connaît le rêve américain – mais qu’en est-il du rêve israélien ? Ce dernier a trouvé sa concrétisation sous sa forme la plus magistrale le 31 juillet 2000, lorsque M. Moshé Katsav a été élu Président de l’État d’Israël. Il a accepté d’accorder sa toute première interview à un journal juif de la Diaspora à SHALOM, et nous a reçus très cordialement pour un entretien exclusif.
Venu d’Iran en Israël en 1951 à l’âge de six ans, Moshé a vécu toute sa vie à Kiriath Malahi, petite ville de développement et d’immigrants dont il fut maire par deux fois, en 1969 et de 1974-1981. Diplômé en économie et en histoire de l’Université de Jérusalem, M. Katsav est entré en politique en 1977, année où il a été élu pour la première fois à la Knesset. Il a progressivement gravi les échelons de la vie politique dans les rangs du Likoud, en devenant d’abord vice-ministre de l’Intérieur et de l’Éducation, puis ministre de la Construction et du Logement, ministre du Travail et des Affaires sociales et finalement vice-Premier ministre et ministre du Tourisme. Parallèlement, il a été membre de divers comités au sein de la Knesset, dont ceux, très secrets, de la Défense et des Affaires étrangères. M. Katsav a étroitement coopéré avec les Premier ministres Menahem Begin szl, Yitzhak Shamir et Benjamin Netanyahou.
Cette interview a pour but de permettre à nos lecteurs de faire connaissance avec le Président Katsav et de savoir dans quel esprit il entreprend son mandat et non de connaître ses positions sur des problèmes spécifiques qui secouent actuellement la vie politique israélienne.

Avec quelles idées abordez-vous votre mission si importante à la tête du peuple juif ?

J’ai pour but de m’attaquer à trois problèmes essentiels qui touchent aujourd’hui aux fondements mêmes de la société israélienne. Malheureusement, les tensions sont très vives, les divergences politiques acerbes, et cet antagonisme politique a trouvé son expression la plus virulente dans l’assassinat du Premier ministre, M. Rabin. Il est donc de mon premier devoir de tout mettre en œuvre pour que cette tension diminue et que le débat politique retrouve un ton normal et pondéré. Ceci est particulièrement important en vue des décisions et des choix historiques et cruciaux qui vont prochainement se présenter à nous, qui engagent l’avenir des générations futures et qui concernent Jérusalem, la définition finale de notre frontière orientale et la question des réfugiés arabes. Il s’agit donc de savoir comment la société israélienne va faire face et traiter tous ces problèmes, alors que les tensions entre Juifs et Arabes israéliens, religieux et non religieux, séfarades et ashkénazes, nouveaux immigrants et sabras, ainsi que de nombreuses autres sources de divergences, divisent notre société. Il faut absolument établir des ponts entre ces diverses tendances de façon à les rapprocher. Ma seconde préoccupation a trait au grave problème sans cesse croissant qui sépare les citoyens les plus pauvres des plus riches de notre pays. Dans ce domaine, j’ai l’intention d’entreprendre tout ce qui est possible afin que ce fossé soit considérablement réduit. Finalement, mon action s’adresse aux Juifs de la Diaspora. Au cours des deux derniers millénaires, les Juifs étaient à même de se protéger contre l’assimilation, car ils étaient disposés à se sacrifier pour ce faire. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, et les études démontrent qu’au cours des dix prochaines années, nous risquons de voir deux millions de Juifs se perdre dans l’assimilation. J’espère que les Juifs de la Diaspora m’accepteront comme interlocuteur et partenaire afin de me permettre de trouver avec eux des solutions qui pourront éviter ce désastre et réduire le taux d’assimilation qui, dans certaines communautés, atteint 80%.

Pratiquement, comment comptez-vous procéder afin d’avoir un impact réel sur ces trois fronts ?

La présidence offre de nombreux outils qui permettent d’agir et ce sans parler du fait d’avoir la possibilité de mettre le prestige et la réputation de ma fonction au service d’une action pour trouver des solutions à ces trois grands problèmes. Par exemple, je prévois de visiter régulièrement les quartiers pauvres et les villes de développement partout en Israël, d’aller à la rencontre et d’inviter des membres des différents groupes rivaux de la société israélienne afin de promouvoir l’unité dans notre peuple et finalement de me rendre dans des communautés juives dans la Diaspora. Mon but est d’encourager l’unité dans la société juive en Israël. Il est de mon devoir de faire comprendre à tous que nous sommes à un tournant crucial de notre histoire et que nous devons changer notre façon de penser. Nous n’avons pas les moyens d’être divisés et nous devons faire des Juifs de la Diaspora des partenaires à part entière afin de continuer à construire et à développer Israël. Je ne soulignerai jamais assez combien la promotion et la diffusion de l’éducation juive constituent un outil primordial pour notre réussite, mais qu’à elle seule, elle ne suffit pas. Elle constitue un élément d’un tout qui doit guider notre réflexion actuelle et nous permettre de prendre les décisions justes et solides face aux grandes difficultés qui nous attendent. Afin de pouvoir agir dans les trois domaines dont je vous ai parlé, j’ai mis en place des équipes professionnelles chargées d’élaborer un programme très spécifique qui contient un certain nombre d’actions précises que j’entreprendrai progressivement.

L’une des premières invitations que vous avez faites à la présidence était adressée aux guides spirituels du mouvement réformé en Israël. S’agit-il là d’une manifestation concrète de votre souhait de promouvoir l’unité du peuple juif ?

Comme vous le savez, je suis un Juif orthodoxe mais j’ai beaucoup de respect pour toutes les autres méthodes de la pratique de notre religion. Je dis toujours à mes interlocuteurs musulmans et chrétiens qu’ils doivent faire preuve de respect et de tolérance à notre égard. Toutefois, ces propos s’adressent avant tout aux différentes tendances religieuses à l’intérieur même de notre société. Nous devons développer le processus de concertation qui permet qu’entre nous, nous arrivions à une meilleure compréhension, à une meilleure acceptation de l’autre, bref à plus d’unité, et ceci n’est réalisable que par le dialogue franc, ouvert et posé. Lorsque je me rendrai dans une ville dans la Diaspora où il y a une communauté réformée ou libérale, je serai ravi de m’adresser à elle afin de parler de l’alyiah et de sujets qui me sont chers. Mon rôle est avant tout de promouvoir l’unité entre Juifs, mais aussi dans le cadre plus large de la société israélienne. J’ai été élu avec des voix de la gauche, de l’extrême-gauche et même des Arabes israéliens. Ces faits me sont connus bien que le scrutin ait été secret. J’ai donc l’oreille de tous, ce que je compte mettre à profit afin d’agir dans les trois secteurs que je viens de mentionner.

L’un de vos programmes touche à la question d’une réduction du fossé qui sépare la minorité très riche de la masse relativement importante de citoyens pauvres. Comment comptez-vous procéder ?

J’envisage de m’adresser aux divers ministères afin de trouver des solutions. Mais je pense que le Ministère des Finances, dont la politique a avant tout pour but de réduire l’inflation et de faire augmenter la croissance économique, devrait également se fixer comme objectif économique l’établissement du plein emploi et surtout l’amélioration de la situation financière des plus démunis d’entre nous. Bien évidemment, je ne crois pas que l’action gouvernementale en soi puisse régler le problème, le secteur privé a également un rôle important à jouer.

Craignez-vous une explosion sociale en Israël ?

Mon sens inné de la justice sociale m’oblige à être particulièrement attentif à la situation des personnes démunies en Israël, mais je ne suis pas le seul concerné. Il s’agit d’une question qui doit préoccuper tout le leadership israélien et je crois qu’il est possible de tout mettre en œuvre afin d’éviter que nous en arrivions au stade d’une explosion sociale.

Parmi vos prédécesseurs, il y a eu M. Haim Herzog szl, qui voyageait beaucoup, et M. Ezer Weizman, qui se déplaçait très peu. Sur le plan international, quel genre de président comptez-vous être ?

Concernant ce point précis, j’estime être un instrument entre les mains du gouvernement israélien. Si celui-ci juge utile que je me déplace afin de promouvoir le prestige de l’État juif parmi les autres leaders du monde, je le ferai immédiatement. Cela étant dit, il est bien entendu que dans des questions internationales, j’apporterai toujours mon soutien au Premier ministre d’Israël face à tout interlocuteur étranger. Par contre, je m’abstiendrai d’intervenir de quelque manière que ce soit en ce qui concerne les divergences politiques internes entre le chef de l’opposition et l’administration en place.

Qu’attendez-vous de la Diaspora ?

Lorsque j’étais maire de Kiriath Malahi, Menahem Begin szl m’a invité et m’a dit: « Moshé, je voudrais te nommer Vice-ministre de la Construction et du Logement en charge du Projet Renouveau». Nous avons alors établi une liste de 84 quartiers très pauvres en Israël et avec l’aide de la Diaspora, nous avons mis au point un programme où chaque communauté a adopté une zone déshéritée. En agissant de la sorte, nous avons d’une part renforcé les liens entre les Juifs du monde entier et Israël et d’autre part donné aux populations défavorisées de notre pays le sentiment qu’elles faisaient partie intégrante de notre société et de notre peuple, qu’elles n’étaient pas isolées ou reléguées dans un coin en raison de leur situation économique et sociale. Il est vrai qu’Israël a une responsabilité vis-à-vis de la Diaspora, mais les communautés juives ont elles aussi des obligations envers la condition sociale des plus démunis de la société israélienne. Et c’est par cette forme d’interaction que nous pourrons améliorer ensemble le sort de ceux d’entre nous qui vivent dans une situation difficile. A ce sujet, je suis d’ailleurs en train de faire une étude afin de lancer une conférence présidentielle pour la coopération sociale Diaspora - Israël. Mais bien entendu, outre l’action sociale commune, j’attends de la Diaspora que nous puissions travailler ensemble pour l’amélioration générale de la situation du peuple juif et d’Israël et ce dans tous les domaines.

Dans sept ans, vous quitterez la présidence, sans pouvoir renouveler votre mandat. Comment voudriez-vous que l’on se souvienne de vous ?

J’aimerais avoir été le Président qui a établi l’unité au sein de la société israélienne, qui a rapproché les Juifs de la Diaspora à Israël et finalement celui qui a contribué de façon extrêmement significative à l’amélioration de la condition sociale des plus démunis de nos citoyens.

Avez-vous un message particulier de Roch Hachanah pour nos lecteurs ?

En ma qualité de Président de l’État juif, je lance un appel à tous les lecteurs de SHALOM en leur disant: le plus grand défi historique de notre génération réside dans le fait de construire et de développer l’État juif ravivé. C’est vrai que 52 ans sont déjà passés depuis la création de l’État, mais le challenge de la réussite est encore largement ouvert devant nous. Amis de la Diaspora, n’attendez pas que l’assimilation vous gagne, offrez à vos enfants et petits-enfants la possibilité de participer à cette chance unique et historique. Venez vivre en Israël, joignez-vous à nous afin que nous construisions le pays ensemble. N’oublions pas que si nous étions un million de plus, le processus de paix avec le monde arabe serait facilité et notre position grandement renforcée. Le plus beau cadeau que des parents juifs peuvent offrir aujourd’hui à leurs enfants est de leur donner la possibilité de s’installer en Israël. Après 2000 ans, l’État juif est une réalité et l’époque actuelle n’a jamais été aussi propice pour s’y établir, car tous les jeunes Juifs du monde ont la possibilité d’y faire une excellente carrière à haut niveau et ce aussi bien dans les domaines scientifiques, académiques, militaires, économiques que politiques.
C’est dans cet esprit que je souhaite à tous les lecteurs de SHALOM une excellente année. Le Shanah Tovah Tikatevou !