BATM Advanced Communications
Par Roland S. Süssmann
Israël a de nombreuses facettes, les plus connues étant le conflit avec le monde arabe, le processus dit de paix, les relations avec les États-Unis, l’absorption des nouveaux immigrants et le succès de quelques entreprises. Or il existe un «autre Israël», celui de la haute technologie, cet ensemble de compagnies à la pointe des techniques et des méthodes les plus avancées du monde, en particulier dans le cadre de la révolution digitale, au point que certains n’hésitent pas à surnommer Israël «Silicone Wadi», le désert du silicone.
Plus de 150 sociétés israéliennes de haute technologie sont actuellement côtées au Nasdaq, à Londres et un peu partout en Europe et il se crée en Israël près de 3500 nouvelles compagnies (start-up) par an. Aujourd’hui, nous avons décidé de parler d’une société israélienne, BATM Advanced Communications, dont le titre a fait l’une des meilleures performances de la bourse de Londres en 1999, et nous sommes ainsi partis à la rencontre de son fondateur et président, le Dr ZVI MARON.
BATM est un leader mondial dans l’ingénierie des transmissions de données. Établie en 1992, la société s’est avant tout spécialisée dans l’invention et la fabrication de nouvelles technologies permettant d’équiper le monde de la télécommunication, son cheval de bataille étant un appareil d’aiguillage facilitant considérablement le mouvement du flux de données à très grande vitesse. Lorsqu’en 1996 les ingénieurs de BATM se mirent à explorer les possibilités qu’offre la lumière comme véhicule de transmission rapide de communications, personne ne prit leur recherche véritablement au sérieux, ce nouveau vecteur utilisant la photonique étant alors totalement négligé. Aujourd’hui, BATM compte près de 500 employés à travers le monde et, dans le but de s’attaquer in situ au marché américain, la compagnie vient de faire l’acquisition, pour 316 millions de dollars, d’une société américaine, Telco, qui dispose d’une clientèle importante et dont les produits sont en synergie parfaite avec les productions de BATM.

Vous avez fondé BATM en 1992 après avoir acquis une formation scientifique de tout premier ordre puisque vous avez terminé l’Académie navale et étudié la bio-technologie et la médecine. Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans la technologie de l’informatique ?

Malgré mes études de médecine, j’ai toujours travaillé dans l’ingénierie et en 1992, je suis arrivé à la conclusion que l’avenir résidait dans le développement de l’informatique et de la transmission des données. Avec mon équipe, j’ai alors mis au point ce que j’appellerais une «boîte remplie de logiciels», qui permet en fait de manipuler toute la transmission des données: le trafic est ainsi contrôlé, mis au point et dirigé. Nos produits sont utilisés par de nombreuses sociétés dans divers domaines, industriels, bancaires, de la défense, tant en Israël que dans le cadre de l’OTAN et ce dans plus de vingt pays. En 1995, alors que je vivais à Karmiel, dans le nord d’Israël, j’ai mis au point un mécanisme permettant aux établissements scolaires d’être connectés en permanence à des écoles aux États-Unis. Le système utilisé, appelé «Bit-Net», était en réalité un précurseur de l’Internet actuel. Nous avions alors quinze ans d’avance sur tous les projets de ce type en cours à travers le monde. C’est à ce moment que j’ai compris que nous étions au début de la révolution digitale et que l’Internet allait devenir l’un des éléments essentiels de notre quotidien. De nombreuses personnes, pensant que j’avais tort, prirent à cette époque une autre direction. Ne vous y trompez pas, nous n’avons pas inventé la roue, nous avions simplement une certaine conception de la manière dont le trafic des communications devait être géré, et il s’est avéré que le monde scientifique nous a donné raison.

Travaillez-vous beaucoup avec le CERN à Genève ?

Nous coopérons avec toutes les grandes universités du monde, c’est au CERN que nous testons la majeure partie de notre équipement, mais nos unités de recherches principales se trouvent en Israël.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Nous pensons que la nouvelle génération de nos produits répond effectivement aux besoins des consommateurs et ce de la façon la plus économique qui soit. Par exemple, les systèmes équipés de nos produits ne peuvent pas être attaqués par des «hackers» comme ce fut le cas en février dernier pour des grandes sociétés comme Yahoo et Amazon.com. L’assaut dont ces compagnies ont été victimes réside simplement dans le fait que leurs systèmes ont été surchargés d’un même message émis par un seul expéditeur. Avec notre méthode, si une telle attaque est lancée, notre logiciel enregistre les faits, déclenche une alarme et dirige les messages hostiles vers une voie de garage jusqu’à ce que quelqu’un s’en aperçoive et les annule. Pendant ce temps, le flux des communications normales peut continuer sans entrave. Aujourd’hui, nous sommes les seuls au monde à construire des systèmes tout à fait uniques: d’une part, il est impossible de les surcharger et d’autre part, nous pouvons tirer un rendement optimal du trafic des données en créant les conditions les plus favorables et en tirant le meilleur parti possible de nos moyens de gestion. Il faut se souvenir que sur le plan mondial, les infrastructures et les circuits de la téléphonie ont été progressivement développés et installés au cours du dernier siècle. Or depuis trois ou quatre ans, nous assistons à un essor dramatique de l’utilisation de l’Internet, notamment par de nombreuses entreprises commerciales qui s’en servent pour réaliser leurs affaires. Les systèmes de transmissions actuellement en place ne sont absolument pas immunisés contre toutes sortes de désastres. Les récentes attaques sur les grands sites ont frappé les esprits, mais des choses bien plus graves peuvent se produire. Par exemple, on peut très bien imaginer que lors d’une forte chute du marché boursier, les personnes ayant acheté leurs titres par l’entremise du net souhaiteront vraisemblablement les vendre par ce biais. Devant l’afflux énorme de demandes, le système de transmission s’effondrera immanquablement et par conséquent, des milliers de porteurs ne pourront pas vendre leurs titres et perdront leurs avoirs. Ils ne pourront poursuivre personne en justice, car ce serait «la faute à pas de chance», l’Internet ne pouvant pas être traduit en justice. Les exemples sont nombreux et, pour notre part, nous étudions les problèmes et trouvons des solutions qui découlent du bon sens le plus élémentaire. Aujourd’hui plus que jamais, la protection directe, la gestion et la surveillance du trafic constituent une priorité absolue. Les systèmes antivirus ont bien entendu leur utilité, mais ils ne servent à rien contre le blocage des lignes d’accès dû à une surcharge. Il y a encore un autre aspect des choses. Sans même parler d’attaques externes, il est très important que le trafic des données soit correctement géré. Au sein d’une grande organisation, l’utilisation des données se fait simultanément par de nombreux employés. Si le système est surchargé, les employés perdent en efficacité, car ils doivent attendre devant leur écran environ 50 secondes avant d’avoir une réponse au lieu de 2 secondes lorsque la gestion des données est faite correctement. Multipliez 48 secondes par des milliers d’employés et vous constaterez que le nombre d’heures de travail perdues est énorme.

A la CeBit de Hanovre, vous avez présenté le tout premier commutateur photonique au monde. Quelle est votre démarche ?

Dans l’univers, le mode naturel de transmission d’informations réside dans la lumière et non dans l’électricité. Aujourd’hui, nous utilisons l’électricité pour nos transmissions parce que l’infrastructure des câbles existe déjà. Or la transmission par les photons étant nettement supérieure à celle par les électrons, de nombreuses recherches sont actuellement en cours dans le monde afin de découvrir le système de la transmission par photonique. Nous avons mis au point un mécanisme qui permet de collecter de la lumière et d’en diriger la sortie. L’avantage de l’utilisation de la lumière se situe avant tout dans le fait que la capacité de transmission est pour ainsi dire illimitée et nettement moins onéreuse.

Israël devient progressivement l’un des grands centres de recherches du monde dans les domaines les plus avancés de la technologie de notre temps. Comment expliquez-vous cela et comment pensez-vous que cette situation va évoluer ?

Israël n’est pas le centre de recherches le plus important au monde, mais dispose de nombreuses sociétés énergiques qui font preuve d’un grand sens d’inventivité. Nous sommes une jeune économie dirigée par la haute technologie, car nous n’avons pas d’industries lourdes. Nous disposons aussi d’une communauté de chercheurs très attirés par tout ce qui touche à la haute technologie et aux communications. En fait, nous sommes dotés de deux éléments essentiels: d’un peu d’agriculture et d’un capital de ressources humaines de tout premier plan. Si nous n’utilisons pas ces éléments correctement, nous serons très vite dépassés.
A cet égard, nous sommes confrontés à une situation dramatique car jusqu’à présent, aucun gouvernement n’a reconnu le potentiel que représente cette branche de notre économie. N’oublions pas que nous sommes encore et toujours une démocratie semi-socialiste. Il est donc très important que ces questions soient rapidement discutées en profondeur et que des mesures soient prises, sinon les jeunes entrepreneurs israéliens partiront aux USA. Aujourd’hui, il n’y a rien de plus simple que de déplacer une société, en réalité il suffit de reloger les personnes dans un autre pays et toute l’affaire est déménagée.

Tous les politiciens israéliens parlent régulièrement et avec fierté du développement de la haute technologie en Israël. Mais que font-ils pour aider cette industrie qui joue aujourd’hui un rôle si primordial pour le pays ?

Effectivement, à écouter nos ministres, chacun d’entre eux serait potentiellement un expert ou un ingénieur… en fait, il n’en est rien et la situation est dramatique. Sur le plan pratique, les systèmes gouvernementaux, fiscaux et l’admnistration délivrant les autorisations sont très mauvais pour l’industrie de high-tech. Celle-ci connaît un développement fabuleux non pas grâce au gouvernement, mais en dépit de ce dernier. Malheureusement, il y a une tendance tout à fait compréhensible qui veut que de nombreuses et excellentes entreprises partent effectivement s’installer aux USA. 85% des jeunes compagnies qui ont pris leur envol l’année dernière en Israël se sont déjà fait enregistrer en Amérique. Il faut bien comprendre que les sociétés de haute technologie sont fondées et dirigées par des personnes intelligentes, entourées d’excellents conseillers juridiques et fiscaux. Je pense que si des réformes importantes ne sont pas très rapidement mises en place en Israël et que si le gouvernement continue à se complaire dans ses lourdeurs administratives et fiscales, ce nouveau pan qui constitue aujourd’hui la locomotive de toute notre économie risque de s’écrouler. C’est justement parce que nous sommes face à une jeune industrie que celle-ci nécessite un système de support flexible, intelligent et débarrassé des lourdeurs habituelles.

Comment expliquez-vous que des dirigeants politiques d’un État jeune et dynamique comme Israël ne réalisent pas qu’une économie aussi énergique ne puisse trouver son véritable essor que dans un cadre juridique et fiscal fondamentalement sain et adapté ?

Pratiquement tous nos politiciens sont issus de l’armée et avant tout préoccupés par des questions de sécurité. C’est ainsi qu’ils sont persuadés que si nous signons une paix avec la Syrie, tous nos problèmes seront réglés. Tel n’est évidemment pas le cas, car aucun traité de paix avec nos voisins n’apportera un changement quel qu’il soit à nos problèmes économiques et certainement pas à ceux de l’industrie de la haute technologie… sauf si nous branchons nos appareils sur des chameaux. Le monde arabe qui nous entoure ne constitue bien entendu pas notre clientèle. De plus, rien ne s’oppose au fait que le gouvernement mène des négociations de paix et que parallèlement, il s’occupe correctement des problèmes économiques du pays. A cela s’ajoute encore une autre réalité qui réside dans le fait que nos politiciens n’ont jamais eu de véritable vie professionnelle indépendante. Dans la plupart des cas, ils sont passés de l’armée à la politique et ont donc toujours vécu des deniers publics. Par conséquent, ils n’ont pas un esprit développé pour la promotion de l’entreprise privée. Lorsque nous leur en parlons, ils donnent l’impression d’avoir compris le problème et d’en prendre conscience, puis ils lèvent les mains au ciel en disant «…et que pouvons nous y faire ?».

Nous vivons actuellement une véritable révolution de l’ampleur de la révolution industrielle. Selon vous, comment va-t-elle évoluer ?

Dans de nombreux cas, je pense que nous assisterons à la fin de la notion de nation comme nous la connaissons aujourd’hui. De nos jours, la seule chose qui ne soit pas exportable et qui reste véritablement nationale, c’est la pauvreté. L’économie devient globale et la question qui se posera de plus en plus et qui fera la force d’une nation sera de savoir quelle est sa contribution à l’économie mondiale. Si Israël peut offrir de la haute technologie à l’économie mondiale, le pays sera sans aucun doute prospère. Aujourd’hui, les multinationales sont bien plus puissantes que de nombreux gouvernements, Microsoft et Cisco en constituent un excellent exemple. Les gouvernements doivent s’adapter à ces nouvelles réalités mais malheureusement, les systèmes politiques ne réagissent pas assez vite aux exigences et aux changements économiques. Cela étant dit, la jeune génération devient de plus en plus liée à l’espace virtuel et les frontières disparaissent. Les jeunes, et je parle de la génération de ma fille de 11 ans, se regroupent par centres d’intérêts et d’affinités exprimés par le biais du net. Sur le plan politique, nous avons récemment assisté à Seattle à la première manifestation totalement organisée et rassemblée par Internet, qui s’est mise en place sous le nez du Gouvernement américain sans que celui-ci ne réalise ce qui se passait. Soudain, des milliers de personnes ont débarqué à Seattle sans qu’une seule annonce ne soit parue dans la presse. Bien entendu, tout cela implique un certain nombre de dangers, permettant et favorisant la propagation de toutes les formes d’extrémisme raciste, religieux ou autre. N’oublions pas que nous vivons à une époque où, grâce au web, il n’y a plus de censure possible, que ce soit en Chine, en Iran ou en Corée du Nord. C’est pourquoi les politiciens ont une responsabilité énorme et doivent rapidement prendre conscience des changements qui s’effectuent dans les sociétés qu’ils dirigent, mais ils ont également l’obligation de tout mettre en œuvre afin d’établir des cadres dans lesquels cette évolution et cette révolution peuvent s’effectuer sans débordements.

Tout le monde parle du processus de paix au Moyen-Orient, mais la révolution digitale pose un problème très grave qui réside dans l’énorme fossé séparant le niveau de connaissance et de savoir technologiques qui existe entre Israël et les populations de ses États voisins. Cette situation fait que quels que soient les accords ou les concessions territoriales, Israël restera l’ennemi dominateur de par son savoir et son avance technologique. Y a-t-il un moyen de remédier à cet état de choses ?

Il n’existe aucune forme de paix qui puisse trouver son expression et son application par la conclusion d’un accord, et ce certainement pas au Moyen-Orient où le respect d’une signature n’a qu’une valeur très relative. La paix ne peut exister que si elle est suivie de réalités sur le terrain, comme la multiplication des échanges commerciaux et touristiques. Il ne fait aucun doute qu’en raison du fossé du savoir, l’animosité arabe à l’égard d’Israël ira en augmentant. Je lis régulièrement la presse égyptienne qui, comme son gouvernement, est très hostile à Israël. Les clichés antisémites utilisés à répétition s’expriment en disant qu’Israël mène une politique de colonialisme économique afin d’établir son pouvoir impérialiste sur les pauvres États arabes…

Nous le voyons, «BATM Advanced Communications» est dirigée par un homme qui a un sens très poussé des réalités. Les titres de la société sont passés en 1999 de quelques pence à £ 64.-. La compagnie a un avenir des plus prometteurs et récemment, elle s’est dotée d’une corde supplémentaire avec la coopération de l’ancien Premier ministre d’Israël, M. Benjamin Netanyahou.