L’Orchestre symphonique de Jérusalem
Par Roland S. Süssmann
Dix ans avant la fondation de l’État d’Israël, une petite formation orchestrale radiophonique fut créée à Jérusalem sous le nom de «Orchestre de Kol Israël». Ce n’est qu’au cours des années 70, quand l’orchestre commença à multiplier le nombre de ses performances publiques, qu’il adopta le nom de «Jerusalem Symphony Orchestra». Ses concerts du mardi étaient aussi fameux que courus et, lorsque pour des raisons techniques ils furent déplacés du mardi au mercredi, ils gardèrent le nom de «concerts du mardi». Le nouveau théâtre de Jérusalem ouvrit ses portes en 1987 et la formation orchestrale y établit son siège. Sa structure juridique fut transformée en association à but non lucratif avec, comme principaux sponsors, la radio israélienne, la Municipalité de Jérusalem, le Ministère de l’éducation et de la culture ainsi que la Fondation de Jérusalem.
Depuis sa création, l’orchestre, qui compte aujourd’hui 85 artistes - 27 violonistes, 10 altistes, 10 violoncellistes, 6 contrebassistes, 1 harpiste, 1 percussionniste ainsi qu’un certain nombre de musiciens jouant divers instruments à vent -, a connu successivement cinq directeurs musicaux. Mais l’important est que cette formation somme toute assez petite s’est progressivement taillé une réputation internationale de tout premier plan. C’est en effet au cours des tournées dans les capitales européennes et en Amérique du nord, où il s’est retrouvé face à un public de connaisseurs, que le Jerusalem Symphony Orchestra a gagné du galon et qu’aujourd’hui, après s’être produit partout dans le monde, il est de plus en plus sollicité.
Il est intéressant de noter que le répertoire de l’orchestre a toujours présenté un mélange intéressant de chefs-d’œuvre du passé et de compostions modernes remarquables. Il maintient un panache permanent qui va des époques baroques et classiques, en passant par l’époque romantique, aux plus grands compositeurs contemporains. Un grand nombre d’entre eux ont d’ailleurs vu leur œuvre jouée pour la toute première fois par l’Orchestre symphonique de Jérusalem. Cette formation fut la première à jouer des morceaux choisis de Sofia Gubaidulina, Henry Dutilleux et Alfred Schnittke.
Mais la production la plus remarquée de cet orchestre reste l’exécution, sous la baguette de Lorin Maazel et en coopération avec son orchestre bavarois, des «Sept Portes de Jérusalem», symphonie écrite par le compositeur polonais Krystof Penderecki pour la clôture des célébrations marquant les 3000 ans de Jérusalem.
Bien entendu, l’orchestre symphonique de Jérusalem, dont la direction musicale est assurée par M. David Shalon, a joué avec les plus grands noms de la musique contemporaine tels Arthur Rubinstein, Igor Markevitch, Otto Klemperer, Henryk Szeryng et Isaac Stern, pour ne citer que les plus importants.
Mais pourquoi parler aujourd’hui dans ces colonnes du «Jerusalem Symphony Orchestra» ? En fait, la formation hiérosolymitaine se lance dans une toute nouvelle aventure, l’inauguration d’une saison ponctuée de musique juive. Ce programme intitulé «Heritage» comprend des œuvres de musique liturgique, des compostions de ministres officiants, de la musique Klezmer, des chants yiddish et ladino. Il peut sembler bizarre que l’orchestre de la capitale du peuple juif ne propose ce genre de musique qu’après 60 ans d’existence, mais dans certains cas ne vaut-il pas mieux tard que jamais ? Il est donc fort heureux qu’un orchestre somme toute assez laïque ait finalement admis l’idée que la musique liturgique a sa place dans une salle de concerts et ce au même titre que tous les autres genres de musique classique. Sous la baguette du maestro ELI JAFFE (voir Shalom Vol. 19), des morceaux choisis d’Agnon, Rosenblatt, Mendelsohn, Kwartin, etc., sont exécutés, souvent en coopération directe avec les plus grands hazanim (ministres officiants) de notre temps, comme Naphtaly Herstik (voir ShalomVol. 26), Ben Zion Miller, Yaakov Motzen, Moshe Stern et Alberto Mizrahi.
M. Zusia Rodan-Rudiakov, directeur général de l’orchestre, nous a confié que pour lui, l’introduction de la musique juive dans le répertoire de sa formation constitue un événement majeur en soi. Il souhaite ainsi jeter les bases pour la création d’un Institut d’études de musiques juives à Jérusalem.
Afin de bien comprendre dans quel esprit toute cette opération «Heritage» est menée, écoutons maestro Eli Jaffe qui, à ce sujet, nous a déclaré: «Aujourd’hui l’orchestre symphonique de Jérusalem est devenu un élément important de la bataille pour la capitale du peuple juif. Aussi bien les arabes que les chrétiens utilisent leurs atouts culturels pour faire comprendre au monde qu’en fait Jérusalem leur appartient. Or il n’y a rien de plus représentatif qu’un orchestre pour exprimer de façon universelle et dans une langue comprise par tous l’identité authentiquement juive de notre ville. Le «Jerusalem Symphony Orchestra» constitue donc un vecteur idéal pour que progressivement, Jérusalem soit acceptée en tant que la capitale juive et bien entendu israélienne à travers le monde. Cela n’empêche pas que nous souhaitons vivre en paix, dans un esprit de coopération et de respect mutuels avec nos voisins arabes et chrétiens. J’en veux pour preuve que notre orchestre organise chaque année un festival de musique religieuse intitulé «Liturgica» dans le cadre duquel des chorales d’églises côtoient des représentations de musiques musulmanes et juives.»