Jacob Kramer
Par Philip Vann *
Entre 1915 et 1925, JACOB KRAMER créa quelques-unes des plus remarquables peintures de l'art britannique moderne. «Jour du Pardon» (1919), «Talmudistes» (c. 1919) et «Ruhala» (c. 1917) – exposées actuellement à la Galerie d'art de la Ville de Leeds dans le nord de l'Angleterre - sont des images d'une profonde spiritualité, tendues et vigoureuses, concises dans la forme, atténuées par la couleur. Ces peintures résolument modernistes révèlent que Kramer suivit de près les développements contemporains de l'avant-garde et qu'il parvint à les intérioriser à sa manière individualiste. Après 1925, la qualité et l'originalité de son œuvre baissent, avec quelques exceptions notables.
Jacob Kramer est né le 26 décembre 1892 à Klincy, petite ville d'Ukraine. Son père et son oncle étaient d'honorables peintres de cour et sa mère une chanteuse d'opéra réputée. Face à l'escalade des agressions encouragées par l'antisémitisme tsariste, la famille émigre en 1900 et s'installe dans la communauté juive de Leeds. Le père arrive à grand-peine à joindre les deux bouts en retouchant de vieilles photographies. Datés de 1915, des dessins au crayon de Jacob montrant ses parents rongés par les soucis ont été retrouvés, ainsi qu'une page contenant douze études au crayon d'un mendiant juif local. Une peinture à l'huile de 1916, «La mort de mon père», présente en formes géométriques simplifiées la scène au chevet du mourant, sa longue barbe noire raidie sur le drap blanc.
En 1902, Jacob s'enfuit en mer pour six mois; à son retour, il s'inscrivit aux cours d'art d'une école du soir et de 1908 à 1911, il fut boursier à l'École d'art de Leeds où il fut découvert et encouragé par Michael Sadler, vice-président de l'Université de Leeds et grand connaisseur d'art. En 1912, il obtint une bourse pour étudier à la Slade School of Art de Londres. Parmi les étudiants de Slade d'avant-guerre se trouvait la future élite de l'art britannique moderne: David Bomberg, Mark Gertler, C.R.W. Nevinson, le peintre-poète Isaac Rosenberg et Stanley Spencer. Bomberg, Gertler, Kramer et Rosenberg - tous juifs - étaient à divers degrés des outsiders au sein de la grande bourgeoisie de Slade, en tant qu'immigrants ou fils d'immigrants.
Pour Kramer, les années qui suivirent la fin de ses études furent les plus fructueuses. En 1918, il entretint une correspondance animée avec le critique d'art et poète Herbert Read. Plusieurs décennies plus tard, Read devait se souvenir de «l'enthousiasme créatif de ces années», des découvertes révolutionnaires du cubisme, «les grands artistes - Picasso, Braque, Léger, Kandinsky… suscitant notre ardeur avec leurs innovations quotidiennes». Kramer visita Paris en 1915 et s'installa la même année à Londres, où le monde de l'art était en pleine effervescence exploratrice. Il fut profondément ému par les post-impressionnistes Cézanne, van Gogh et Gauguin. Dans une lettre de 18 pages adressée à Read, il élabore son credo artistique, évoquant son désir ardent de donner une forme symbolique à ses sentiments les plus profonds: «Lorsque les éléments naturels et spirituels s'imposent à ma conscience, il s'ensuit une lutte terrifiante et c'est au prix d'un effort surhumain que je parviens à la fin à exprimer la substance brute de la nature en l'essence de la spiritualité.»
On remarquera que, sous l'influence du cubisme et du vorticisme, Kramer dépeint rabbins et talmudistes sur un mode abstrait et très stylisé, au point qu'ils apparaissent presque comme des symboles sur une frise hiératique ancienne. C'est sans nul doute le cas du tableau «Jour du Pardon», son œuvre la plus connue et la plus magistralement exécutée. Il met en scène des saints hommes enveloppés dans leurs châles de prière. Ils se tiennent debout, alignés dans une position dévote, sans doute face à l'Arche de la synagogue; chaque personnage rappelle plutôt un archétype qu'un individu - bien qu'ils soient intensément humains -, avec une barbe pointée dans la même direction, des traits géométriques correspondants et des vêtements uniformes, noirs, gris et blanc cassé. La scène évoque l'injonction du psalmiste: «Demeurez immobiles et sachez que je suis le Seigneur.» Cette immobilité acquiert une qualité presque sculpturale, comme si les personnages et objets avaient été taillés dans la matière. Plus tard, Kramer déclara: «Un portrait véritable devrait être un monument à la vie de l'homme, moulé et conçu avec fermeté, comme toute grande sculpture.» A une exception près, tous les rabbins ont les yeux clos, comme abîmés dans la méditation. Deux têtes dépassant toutes les autres rendent plus intense la note plaintive de l'œuvre.
Ces traits stylisés donnent à l'ensemble un aspect volontairement archaïque, voire exotique, rappelant quelque peu l'art tribal. Les amis et contemporains de Kramer, Gertler, Bomberg et Jacob Epstein se rendaient fréquemment au British Museum, où, comme lui, ils appréciaient des sculptures africaines et océaniques. Kramer lui-même collectionnait ces œuvres; dans la petite pièce où il vivait à Leeds - selon un journal de 1920 se trouvaient «un vieux piano, un foyer insupportablement chaud et des murs recouverts de ses peintures et dessins» - il y avait de nombreuses sculptures tribales.
Kramer vécut toute sa vie pour et par son art; la provinciale Leeds fut pour lui un lieu protecteur et familier, et il alla jusqu'à proclamer - sans la moindre ironie - qu'il trouvait «plus de stimulation à Leeds qu'à Londres et même qu'à Paris». Le sentiment de stimulation intellectuelle et artistique était réciproque: au sein de la petite communauté étroitement unie d'artistes, de musiciens et de peintres, Kramer devint un personnage célèbre et une source d'inspiration. Pour survivre, il fit d'innombrables dessins des membres de la communauté juive de la ville et de leurs enfants. Il fonda le Yorkshire Luncheon Club et chaque fois qu'une figure importante du monde des arts visitait Leeds, elle était invariablement invitée à parler lors de longs déjeuners bien arrosés ou lors de passionnants dîners où l'on discourait sans fin. L'Honorable David Astor, qui rencontra Kramer en 1935, le décrivit comme «une version théâtrale de l'ancien bohémien, avec un chapeau à larges bords, une cravate nouée négligemment et une chevelure généreuse qui se répandait sur le col de sa veste de velours», personnage qui ne manquait pas d'attirer l'attention parmi les citoyens ordinaires de Leeds. Astor évoque également «l'étrange combinaison d'intelligence et de simplicité désarmante, la véhémence dans la discussion et la nature extrêmement généreuse» de l'artiste. En 1938, Bomberg lui écrivit en ces termes: «Tu as certainement de grands talents mais ils ont été noyés sous un tas de bouteilles de bière et sous les bavardages et soucis, perdus à cause d'une touche de paresse et de petites habitudes matérialistes.» Pourtant, la plus belle œuvre tardive de Kramer, des illustrations bibliques exécutées de 1946 à 1950, a gardé quelque chose de l'incisive économie linéaire et du symbolisme imposant et immédiat de ses premières œuvres. Il est mort en 1962.

*Philip Vann est critique d'art et écrivain en Angleterre.