Golan– La Résistance s’organise
Par Roland S. Süssmann
L’idée de M. Barak de céder les hauteurs du Golan est très loin de faire l’unanimité en Israël. Cette opposition ne divise pas la société israélienne selon ses clivages habituels gauche-droite, religieux-non religieux, en faveur ou en désaccord avec le processus d’Oslo, mais regroupe dans les manifestations des adeptes de tout bord. Il n’est pas rare que des personnes ayant des vues totalement opposées sur la question des terres juives de Judée-Samarie-Gaza se retrouvent dans le camp qui refuse l’abandon du Golan.
Un homme a pris la tête de ce mouvement spontané du refus, M. MOSHÉ ARENS, anciennement ambassadeur d’Israël à Washington, ministre de la Défense pendant la Guerre du Golfe, père de l’avion de combat d’Israël, le Lavi, bref un homme qui non seulement a accompli une carrière remarquable, mais qui aujourd’hui est considéré comme la voix de la sagesse et de la détermination en Israël.

Il est assez difficile de comprendre les raisons qui permettent à Ehoud Barak d’envisager l’abandon du Golan à la Syrie. A votre avis, quelles sont ses motivations profondes ?

Avant de répondre à votre question, j’aimerais souligner le fait que cette idée constitue une grave erreur. Selon ses dires, M. Barak estime qu’en concluant un traité de paix avec la Syrie, il assurera une paix permanente à l’État d’Israël et que, par la même occasion, tous les problèmes de sécurité seront résolus. Il est persuadé de mettre définitivement un terme au conflit régional centenaire entre Juifs et Arabes. Il croit que cette perspective mérite que certaines «décisions très douloureuses» soient prises, comme par exemple l’abandon du Golan.

Pourquoi pensez-vous qu’il s’agit là d’une erreur ?

Nous sommes en présence d’une action inconsidérée, fondamentalement et simplement fausse. En effet, il faut se souvenir que la Syrie est l’agresseur qui a attaqué Israël trois fois et qui a été à chaque fois battu. Il n’existe aucun principe international qui veut que lorsqu’un agresseur perd son territoire suite à une provocation offensive, il est nécessaire de le lui restituer. Bien au contraire, car ceci constituerait une invitation à ce qu’il se lance dans d’autres agressions, puisqu’il n’aurait rien à perdre.
Depuis 1967, le Golan fait partie d’Israël et depuis son annexion le 14 décembre 1981 par la Knesset, il fait partie intégrante de la souveraineté israélienne. Dans ce sens, la nature des concessions qui seraient faites sur le Golan diffère fondamentalement de toutes celles accordées jusqu’à présent aux Égyptiens et aux palestiniens. Les terres qui leur ont été cédées, à tort ou à raison, ne faisaient pas partie du territoire souverain d’Israël alors que le Golan en est une composante intégrante. Des Israéliens vivent dans cette région depuis trente trois ans, il y a 33 villes et villages, des kibboutzim et des moshavim. Il n’est donc pas raisonnable qu’Israël expulse 18 000 Juifs de leurs foyers afin de remettre le Golan à la Syrie. Pour terminer, il ne faut pas oublier l’importance stratégique du Golan ni le fait qu’aujourd’hui, la majorité des Israéliens ne se souvient pas ou n’a jamais connu le pays sans le Golan. Pour eux, il ne s’agit pas d’un territoire provisoirement tenu par Israël, mais d’une vieille réalité intégrante du pays. D’ailleurs, pendant la Guerre du Kippour, c’est uniquement grâce au fait qu’Israël régnait sur les hauteurs du Golan que le nord du pays a été sauvé de l’invasion syrienne. C’est cet avantage stratégique qui a permis aux forces en place de tenir pendant les 48 heures nécessaires à la mobilisation de nos réservistes.

Estimez-vous qu’aujourd’hui, il n’y a aucune raison pour Israël de donner suite aux exigences syriennes ?

Absolument, puisque la Syrie ne constitue pas actuellement une menace militaire pour Israël. En effet, ce pays est en très mauvais état. Son économie est sur le point de s’effondrer, ayant été gérée sur le modèle albanais pendant plus de 30 ans par M. Assad; quant à son armée, elle est dans une condition pitoyable. Mais cette situation peut changer si jamais la Syrie récupère le Golan et si son armée est modernisée par des armes américaines.

Pensez-vous qu’Israël serait à même de se défendre sans le Golan ?

Il est vrai que pendant la Guerre des Six Jours, nous n’avions pas ce plateau et que nous avons néanmoins réussi à nous défendre et à le capturer. Je ne pense pas non plus que si nous sommes attaqués par la Syrie après avoir abandonné le Golan ceci mènera automatiquement à la destruction de l’État. Cela étant dit, nous savons quels sont les risques et surtout quel serait le prix à payer en vies humaines si Israël devait se battre encore une fois pour récupérer le Golan. Il s’agit donc d’une démarche dangereuse et totalement inutile.

Vous nous avez parlé des Israéliens qui vivent sur le Golan. Etant donné que cette région est si vitale pour Israël, pourquoi aucun des gouvernements qui se sont succédés depuis 1967 n’a-t-il entrepris une vaste opération de peuplement de ces terres en créant par exemple une infrastructure urbaine ou industrielle qui aurait incité 100 000 ou 200 000 personnes à s’installer dans cette superbe contrée ?

Effectivement, nombreux sont les Israéliens qui aujourd’hui estiment qu’Israël a commis une grave erreur dans ce domaine. Je pense que l’une des raisons est simplement due au fait que personne n’aurait pu imaginer qu’un jour, la souveraineté israélienne sur les hauteurs du Golan serait remise en question et qu’il serait nécessaire de renforcer la position israélienne en peuplant massivement ces terres. Sur un plan pratique, il faut rappeler que le Golan se trouve un peu à la périphérie du centre du pays, des grandes zones industrielles et de l’emploi et que la vie dans cette région est avant tout basée sur l’agriculture, domaine qui ne génère pas une concentration très dense de population. L’évolution s’est donc faite de manière naturelle et sans intervention gouvernementale. Bien entendu, si quelqu’un avait pu imaginer qu’un jour nous aurions un Premier ministre disposé à abandonner les hauteurs du Golan, nous aurions probablement activé le processus de peuplement et aujourd’hui, les négociations avec la Syrie seraient d’une toute autre nature.

Vous êtes au premier plan de la lutte pour le maintien du Golan. Comment organisez-vous la résistance à la cession du plateau et comment menez-vous votre combat ?

L’opposition à l’idée de donner le Golan aux Syriens est partagée par une coupe transversale caractéristique de la société qui en fait reflète la population du Golan: des personnes qui ont voté pour M. Barak, des électeurs du Likoud, de Meretz, etc. Il en résulte qu’indépendamment de leurs affiliations politiques, de nombreux Israéliens estiment que l’abandon du Golan n’est pas juste. Nous basons notre lutte sur cette réalité des choses, nos arguments ne s’adressent pas uniquement à la droite mais visent un très large spectre de la population. D’ailleurs, lors de la grande démonstration que nous avons organisée à Tel-Aviv et qui a rassemblé environ 250 000 personnes, les manifestants étaient issus de toutes les familles politiques et de l’ensemble des régions du pays.

De combien de temps disposez-vous ?

Malheureusement, les choses sont imprévisibles. Il est fort possible que dans notre campagne nous ayons un allié involontaire en la personne du président Hafez El-Assad qui, pour des raisons qui nous échappent, ne souhaiterait simplement pas conclure d’accord avec M. Barak, ce malgré toutes les concessions que notre Premier ministre ne cesse de lui faire. Cela dit, il ne faut pas oublier que la condition préalable posée par la Syrie, à savoir la restitution du Golan, a été résolue puisque M. Barak est prêt à abandonner ce plateau. Tous les autres points sont secondaires, les questions comme la zone démilitarisée ou les stations électroniques d’avertissements avancés n’étant en fait qu’un ensemble de petites niaiseries sans importance. Le Golan est un petit territoire qui peut être traversé par un tank en environ une heure et demie. Ces stations ne servent donc à rien. Assad reste une énigme et en Israël, nous sommes nombreux à ne pas comprendre pourquoi il ne saisit pas la chance qui lui est offerte.
Si jamais M. Assad accepte de conclure le traité qui lui est proposé, M. Barak devra tout d’abord le faire ratifier par la Knesset. Ce sera notre premier combat, et tout dépendra du Parti Shas. Les députés du Shas voteront en fonction des instructions de leur mentor, le rabbin Ovadia Yosef, et si celui-ci leur dit de soutenir le gouvernement, le traité sera accepté par la Knesset puis soumis au référendum. A cet égard, il faut savoir que la grande majorité des électeurs du Shas est opposée au retrait du Golan. Nous nous retrouverons alors dans une situation très dangereuse. En effet, les électeurs seront placés devant un fait accompli, qu’ils seront priés de ratifier. M. Barak leur dira qu’étant donné qu’il a signé le traité et que celui-ci a été accepté par la Knesset, un rejet risquerait de déclencher une guerre. Ce genre d’argument est généralement très persuasif. Nous aurons certainement droit à une mise en scène sur les pelouses de la Maison Blanche où M. Assad viendra serrer la main de M. Barak. Je rappelerai par la même occasion que les États-Unis n’exercent aucune forme de pression sur Israël, ils ne l’ont d’ailleurs jamais fait. En raison du pétrole, les Américains ont effectivement intérêt à ce que la région soit stabilisée, mais c’est bien Israël qui définit ses impératifs en matière de sécurité. Je ne dis pas que Bill Clinton ne souhaite pas terminer sa législature en beauté en obtenant par exemple un Prix Nobel de la paix pour avoir réussi à établir une relation pacifique entre la Syrie et Israël. Mais c’est bien Ehoud Barak qui lui a dit que l’État Juif n’a plus besoin du Golan.
Il ne faut pas oublier qu’environ 15% de l’électorat israélien sont des Arabes qui voteront probablement tous pour le retrait. Nous sommes donc confrontés à un défi extrêmement difficile, car nous devons acquérir 60% du vote juif afin que M. Barak perde le référendum.
Nous sommes donc engagés dans une véritable campagne politique du style d’une campagne électorale, car la perte de la consultation populaire constituerait pour M. Barak également la fin de son mandat. Il ne pourra pas continuer à fonctionner comme Premier ministre si la majorité des Israéliens rejette finalement tout ce qu’il propose et défend. Pour lui, ce référendum a donc pratiquement la valeur d’une réélection.
Sur le plan pratique, nous menons le combat sur plusieurs fronts en même temps, tant au sein de la Knesset que sur le terrain. Israël n’ayant jamais connu de référendum, une loi spéciale est sur le point d’être élaborée afin qu’il puisse être organisé. Nous avons présenté une résolution pour que la majorité requise représente 50% d’électeurs inscrits et non de votants, projet de loi dont le parlement a déjà accepté la lecture préliminaire le 1er mars 2000. Un vote final sera soumis à la Knesset et nous espérons le remporter. Là encore, c’est le Parti Shas, qui compte 15% des sièges, qui en définitive sera l’arbitre. Quant au travail de proximité auprès du public, nous organisons de nombreuses soirées, conférences et rencontres à tous les niveaux, mais la meilleure forme de campagne que nous pouvons mener réside dans le fait de faire visiter le Golan au plus grand nombre possible d’Israéliens.
Pour terminer, je voudrais dire que si jamais M. Barak remporte le référendum avec une majorité de 51% ou 52%, il lui sera très difficile de faire évacuer 18 000 Israéliens de leurs foyers et de céder un atout stratégique aussi important à la Syrie de Hafez El-Assad.