École numéro 1621
Par Roland S. Süssmann
Depuis l'avènement de la Perestroïka, la vie juive a été totalement bouleversée en Russie. De nouvelles activités se développent quotidiennement. C'est ainsi qu'à Moscou, près de deux mille enfants juifs sont scolarisés dans les six écoles juives de la capitale. Afin d'illustrer cette réalité, nous nous sommes rendus à l'école "Etz Haïm", qui compte deux cent cinquante élèves, créée et dirigée par Mme DORA GOLDSCHMIDT, mère de six enfants et qui n'est autre que l'épouse du Grand-Rabbin de Moscou.


Comment et pourquoi avez-vous décidé de fonder l'école "Etz Haïm" ?

Au début, mes motivations étaient en fait purement égoïstes, j'avais des enfants en âge d'être scolarisés et, à cette époque, il n'existait pas d'école juive à Moscou dont l'enseignement et l'esprit correspondaient à ce que je souhaitais pour mes enfants et où ils pouvaient obtenir le type et le niveau d'instruction que mon mari et moi désirions pour eux. Nous avons donc commencé, il y a six ans, par créer un jardin d'enfants qui comportait trois groupes: 3 ans - 4 ans - 5 ans. En 1991, nous avons réussi à ouvrir les premières classes primaires. Il existe à Moscou 30 écoles de type dit "National d'État", ce qui inclut des Arméniens, des Géorgiens et bien entendu des Juifs, car le statut du judaïsme est encore et toujours celui d'une nationalité minoritaire. Notre école est donc officiellement classée sous le titre "École russe-hébraïque-nationale-religieuse, Nr 1621". Il s'agit d'un statut tout à fait particulier, le fait que la dénomination officielle de notre école porte le mot "religiosni" (religieuse) étant déjà une spécificité en soi. Aucune école à caractère religieux ne peut obtenir de subsides de l'État mais, ayant été considérés comme une succursale de la Synagogue, nous pouvons de ce fait bénéficier de la dénomination "religieuse" et de l'aide financière gouvernementale. En effet, en Occident où il y a séparation totale entre l'Église et l'État, aucune école juive et donc privée n'est subventionnée par l'État. Ici, bien que ce dernier sache que chaque nationalité dispense une partie de son enseignement en relation directe avec sa religion, nous obtenons une aide financière importante et sommes officiellement reconnus. L'État assure 60% de notre budget, les autres 40% étant fournis par une organisation juive américaine du nom de "Opération rideau ouvert" qui fonctionne sous l'égide de l'"Agoudat Israël". L'enseignement ainsi que la cantine scolaire (où le petit déjeuner, le déjeuner et le goûter strictement cachers sont servis quotidiennement à tous les élèves) sont totalement gratuits. Depuis la création de l'école, nous avons ouvert chaque année une nouvelle classe et l'année prochaine, nous finirons le cycle de base de la scolarité primaire et secondaire qui se termine à l'âge de 14 ans. Les adolescents qui n'ont pas de dispositions particulières pour les études se rendront alors dans des écoles professionnelles ou techniques, les autres poursuivront probablement chez nous les deux années de préparation à la maturité qui se passe à l'âge de 16 ans ! Il faut savoir que le niveau d'études est très élevé, notamment en mathématiques et en sciences. Mes enfants de neuf et onze ans étudient ce que j'ai appris à l'âge de 16-17 ans.


Le niveau et le programme scolaires semblent être à la fois intenses et très poussés. Comment cela est-il compatible avec les études juives ?

C'est là la source essentielle de l'un de nos problèmes majeurs. Dans les autres pays, les parents souhaitent que leurs enfants aient un certain nombre d'heures d'études juives. Ici, du fait que les parents ne sont pas religieux, nous n'avons aucune aide de leur part. Au contraire, ils se plaignent que les enfants sont fatigués, mais il faut reconnaître que la majorité d'entre eux ont plus d'une heure de trajet dans un transport public après une longue journée scolaire, certains voire deux heures dans chaque sens, deux fois par jour. Ils estiment donc qu'il n'est pas nécessaire de les charger plus avec les études juives qui, malgré tout, représentent 30% du programme scolaire.


S'ils pensent que le cumul des deux études constitue une charge trop importante pour leurs enfants, pourquoi les inscrivent-ils dans une école juive ?

Nous sommes là au cýur du problème. Dans certains cas, les parents retirent les enfants de notre école et les mettent dans un établissement juif où ils ont juste l'hébreu comme matière supplémentaire. Ils estiment suffisant que leurs enfants étudient dans un environnement juif. Nous pensons qu'il est nécessaire qu'il y ait à Moscou au moins une école juive qui offre un programme intensif d'études juives. Par conséquent, nous demandons aux parents qui veulent maintenir leurs enfants dans notre école de jouer le jeu et de nous soutenir dans l'application de nos programmes juifs, comme ils le font pour les matières laïques ou le sport. Il ne s'agit pas d'une tâche aisée, mais nous mettons tout en ýuvre afin que les parents acceptent de coopérer. De plus, en Russie en général, la musique et la danse classique jouent un rôle très important, et ceci se reflète également dans notre école. Beaucoup d'enfants qui fréquentent notre école maternelle suivent trois ou quatre fois par semaine des cours de musique.


Quelles sont les motivations essentielles qui font que des parents n'ayant eu aucune formation juive souhaitent que leurs enfants suivent leur scolarité dans une école du type d'"Etz Haïm", qui est une école orthodoxe ?

Nous assistons à un phénomène assez intéressant qui s'est d'ailleurs révélé juste avant les vacances d'été. Nous avons organisé une soirée d'information dans le but de gagner de nouveaux élèves et, pour la première fois, quarante couples se sont spontanément présentés. Les motivations sont diverses, la plupart du temps il s'agit simplement d'envoyer les enfants dans une école où l'environnement est plus sain car, dans beaucoup d'écoles publiques, les enfants commencent à fumer dès l'âge de dix ans. D'autres choisissent notre école parce que le niveau d'études de l'anglais et de l'informatique y est particulièrement élevé. Nous avons aussi des parents qui inscrivent leurs enfants dans une école juive parce qu'ils n'ont pas le niveau nécessaire pour suivre dans une autre école, mais ces cas sont assez rares. La question juive n'est certes pas en tête de leurs priorités lorsqu'ils choisissent une école. Toutefois, la grande majorité de ces parents ont pris conscience de leur judéité tout en se rendant compte qu'ils sont totalement ignorants en matière de judaïsme. Ils veulent donner à leurs enfants une chance de pouvoir assumer leur judaïsme en toute connaissance de cause. Dans l'ensemble, les parents sont ravis de voir que leurs enfants sont fiers d'être juifs et, dans certains cas, ils commencent à partager ces sentiments avec eux.
Afin de réduire le fossé séparant l'école de la maison en ce qui concerne le judaïsme, nous avons décidé de lancer un programme de formation pour adultes ouvert aux parents de nos élèves. Nous voulons éviter que les parents se sentent soudain "menacés" par leurs enfants et par la dichotomie inévitable qui existe entre ce que les enfants vivent à l'école et le mode de vie de leurs parents. Il ne faut pas oublier que la crainte de l'antisémitisme et la peur de vivre ouvertement son judaïsme n'ont pas disparu. Nous avons d'ailleurs un bon nombre d'élèves qui suivent tout notre enseignement juif mais qui, une fois rentrés chez eux, ne disent pas à leurs petits camarades de jeu du quartier le genre d'école qu'ils fréquentent !


Comment savez-vous que les enfants qui sont inscrits dans votre école sont authentiquement juifs ?

Nous demandons des documents officiels certifiant que la mère est bien juive. Nous pouvons refuser un enfant dont la mère n'est pas juive et ce malgré le fait que nous touchions des subsides de l'État.


Qui sont vos professeurs ?

L'ensemble de notre personnel est composé d'une centaine de personnes, dont quinze professeurs en charge des études juives. Mis à part deux enseignants israéliens, tous nos professeurs sont des Juifs de Moscou revenus à la pratique religieuse ("Baalé techouvoth") et il y a même deux non-Juifs qui se sont convertis volontairement au judaïsme. Tous sont des enseignants professionnels. Nous avons un programme interne à l'école de formation de professeurs, ces cours sont d'ailleurs ouverts à tous les enseignants juifs qui veulent en savoir plus sur le judaïsme. Cette année, ce cours a été suivi par vingt femmes dont trois ont accepté un poste dans notre école pour la rentrée. De plus, nous organisons en été des stages d'un mois en Israël pour nos professeurs de judaïsme.


Au sujet d'Israël, donnez-vous également une éducation afin de sensibiliser vos élèves à l'État juif ? Faites-vous le nécessaire pour qu'ils aient un sentiment de solidarité avec le pays ?

Bien entendu, d'ailleurs, nous avons organisé une grande fête de Yom Haatsmaouth (fête de l'Indépendance d'Israël) à l'école même. De plus, cette année, pour la toute première fois, nous avons envoyé un groupe de neuf élèves (quatre filles et cinq garçons ) de 14 ans à Jérusalem pour un mois, dans des familles, afin qu'ils vivent pleinement leur judaïsme et découvrent le pays en étant avec de jeunes israéliens de leur âge.
En conclusion, je dirai que parmi les six écoles juives de Moscou, il n'y a aucune compétition, car le nombre d'enfants qui ne vont pas encore dans des écoles juives est tellement grand que les possibilités de développement sont énormes. Toutes ont un rôle important à jouer et il s'agit de faire face avec efficacité au défi auquel nous sommes confrontés.