Détermination et réalisme
Par Roland S. Süssmann
Depuis son élection, le premier ministre BENJAMIN NETANYAHOU donne l'impression de mener une politique floue, indéterminée, pour ne pas dire faible. Or, au cours d'un entretien exclusif dont cette interview relate les points essentiels, j'ai pu me rendre compte qu'Israël s'est en fait doté d'un homme d'État pragmatique, d'un calculateur froid sachant très exactement ce qu'il fait, de quelle manière il souhaite procéder et quels sont les buts et les moyens qu'il doit utiliser pour les atteindre. Politicien dans l'âme, il calcule les avantages et les inconvénients de chaque mouvement et, tel un tireur d'élite, il vise juste et n'appuie sur la gâchette que pour faire mouche.
Cela dit, il ne faut pas oublier qu'à son accession au pouvoir, B. Netanyahou s'est retrouvé confronté à un héritage politique des plus désastreux. La disparition du régime travailliste de la scène gouvernementale ne signifie en rien la fin des dommages considérables engendrés par quatre années d'une politique de retraite, de concessions unilatérales et de faiblesses qui, malheureusement, ne peuvent être rétablis d'un coup de baguette magique. A cela s'ajoute le fait que le Premier ministre est en permanence agressé par les membres de sa coalition. Chantage et pièges des uns, scandales provoqués par les autres, B. Netanyahou passe une bonne partie de son temps à jouer les "pompiers" au sein de son propre gouvernement. Sans oublier la campagne de dénigrement nationale et internationale menée par l'opposition israélienne et les gauchistes de la Diaspora ainsi que les pressions américaines et européennes.
C'est donc sur un fil extrêmement mince que Benjamin Netanyahou avance, se maintient en équilibre et surtout tente de travailler à l'essor du pays tout en ayant deux priorités: éviter une guerre et limiter les dégâts d'un processus "dit de paix" qui n'a jamais eu la moindre chance de réussite.


Pouvez-vous en quelques mots nous dire où en est le "processus de paix" un an et demi après votre arrivée au pouvoir ?

La différence essentielle entre mon gouvernement et ceux de mes prédécesseurs réside dans leur slogan qui se résumait ainsi: "Nous allons combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de processus de paix - et faire avancer le processus de paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme." Or cette formule n'a aucun sens pour nous, car nous estimons le terrorisme incompatible avec la paix, et la violence inconciliable avec des négociations de paix. C'est pourquoi nous insistons pour que toute incitation à la violence ainsi que le cycle actuel de terreur soient totalement stoppés avant de poursuivre les pourparlers. Nous ne pouvons pas continuer le processus tant que la violence fait partie intégrante de la stratégie de la partie adverse. Un autre élément essentiel nous différencie du gouvernement précédent, la question de Jérusalem. En effet, si ce dernier se contentait de vagues déclarations quant à l'unité de la ville et à l'inviolabilité de son statut de capitale éternelle d'Israël indivisible sous souveraineté exclusivement juive, rien ou presque n'a été fait pour renforcer la juridiction ou l'autorité d'Israël sur Jérusalem. Lorsque la nécessité de construire des nouveaux logements est apparue, aussi bien pour les Juifs que pour la population arabe, rien n'a été entrepris. Or la ville souffre d'émigration plutôt que d'immigration, notamment parmi les jeunes couples qui ne trouvent pas de logements adéquats dans la capitale. Sur ces deux questions, la violence et Jérusalem, nous présentons une image différente au monde en général et au monde arabe en particulier.


Qu'en est-il du développement de la construction juive en Judée-Samarie-Gaza ?

Les constructions dans ces régions étaient plus nombreuses lorsque les Travaillistes étaient au pouvoir. Les raisons n'en sont pas politiques, mais administratives et techniques, et nous le regrettons car nous souhaiterions voir un développement plus important de ces communautés. Quant à Jérusalem, même si, pour des raisons qui lui sont propres, le monde entier ne reconnaît pas notre droit de construire dans notre capitale, le fait est que nous sommes le pouvoir en place. Vivant en démocratie, nous sommes responsables de procurer des logements aux habitants de cette ville. Quant à la question précise de Har Homa, je rappellerai que tous les recours légaux ont été déboutés à plusieurs reprises par la Haute Cour de justice. Le fait que l'ONU considère le simple fait que nous construisions ces logements comme "un danger pour la paix mondiale", en ignorant volontairement et totalement l'équipement en armes non conventionnelles de pays tels que l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Lybie, démontre bien l'une des absurdités de notre temps. Il s'agit là de la faillite morale et de la perte de toute proportion en ce qui concerne la conduite des affaires mondiales. Cela étant dit, je ne pense pas que pour l'instant, il soit nécessaire de prévoir l'établissement de nouvelles agglomérations en Judée-Samarie-Gaza. Toutefois, il est important que les hommes et les femmes qui vivent dans ces communautés sachent qu'ils ont la possibilité de se développer et de loger la population qui souhaite s'y installer. Il faut aussi que les résidents de ces régions disposent de routes sûres leur permettant de se déplacer aussi bien entre les différentes agglomérations que vers les grands centres d'affaires, industriels et culturels du pays. Il ne suffit donc pas d'insister sur le fait que des petites communautés isolées doivent être maintenues à tout prix, nous sommes dans l'obligation d'assurer à ces habitants une possibilité de circuler en toute sécurité. C'est pour cette raison que nous faisons aujourd'hui un effort majeur pour paver les routes qui relient les différentes communautés entre elles. Je pense que si nous fournissons toute l'infrastructure de base pour que des citoyens qui souhaitent s'installer en Judée-Samarie puissent le faire en tout confort et quiétude, l'évolution de la population se fera par les lois naturelles du marché.


Qu'en est-il des relations avec l'OLP ?

Il est vrai qu'il n'y a pas de négociations officielles, toutefois les pourparlers officieux continuent. La question qui intéresse le plus les Arabes palestiniens est bien entendu celle de l'ouverture de l'aéroport de Gaza, que nous n'autoriserons certainement pas tant que de sérieux efforts ne seront pas entrepris pour que soit mis un terme à la violence arabe contre des Juifs. Or à ce stade, non seulement aucun pas n'est fait dans cette direction, mais nous assistons à un encouragement au terrorisme et ce en provenance du plus haut niveau de l'Autorité palestinienne. Mais nous continuons néanmoins à discuter de différents aspects des accords et même d'une certaine forme de coopération en ce qui concerne les questions de sécurité.


Mais enfin, qu'attendez-vous d'une organisation terroriste ? Vous savez très bien à qui vous avez à faire. Croyez-vous vraiment que l'OLP ait l'intention d'honorer sa signature?

Nous savons très bien à qui nous avons à faire. D'ailleurs, six mois après la signature de l'accord sur Hébron, ratifié grâce à la médiation et sous la houlette américaine, nous avons publié un rapport stipulant les manquements de la partie adverse quant à honorer ses engagements. Donc non seulement nous savons à qui nous avons à faire, mais nous enregistrons et publions dûment les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. C'est donc en toute connaissance de cause que nous avons décidé de continuer à négocier avec l'OLP, car nous espérons que les négociations produiront en définitive "quelque chose" de viable pour tous qui, bien entendu, sera bien loin du nirvana "Nouveau Moyen-Orient" imaginé par nos prédécesseurs qui, en définitive, s'est avéré n'être qu'un ensemble de rêveries mortelles. A ce stade, nous voulons toujours croire que négocier vaut mieux que ne pas négocier et peut-être qu'un jour, nous arriverons à un arrangement. Je tiens à souligner encore une fois que le tout premier point à l'ordre du jour est la lutte contre la violence. Nous n'accepterons pas d'être victimes du terrorisme tout en négociant par exemple l'ouverture de l'aéroport de Gaza, comme si de rien n'était. Il faudra que nos soi-disant "partenaires pour la paix" changent radicalement d'attitude avant que nous puissions envisager de faire d'autres concessions.


Vous nous parlez de "concessions" or le Likoud s'est toujours opposé à la formule de "territoires pour la paix". Il semblerait que vous ayez totalement dévié de cette idéologie et que vous ayez admis l'idée d'abandonner des terres juives contre un traité de paix. Qu'en est-il en réalité ?

Il faut bien comprendre que le terme de "territoires pour la paix" est devenu, au Moyen-Orient et dans le monde en général, synonyme de "retour aux frontières d'avant juin 1967". En d'autres termes, si Israël abandonne toutes les terres conquises pendant la guerre des Six Jours, il pourra vivre en paix avec les Arabes. Nous n'avons pas le même point de vue et il est hors de question de retourner aux frontières de 1967, car nous estimons qu'il s'agirait d'un acte suicidaire. Par contre, nous acceptons les compromis territoriaux, non pas que nous ayons abandonné notre idéologie, loin de là, mais nous sommes contraints d'accepter et de reconnaître les faits qui ont été créés (pour notre bien ou pour notre mal) sur le terrain par les gouvernements précédents. Cette nouvelle situation, que nous ne pouvons pas ignorer, entraîne deux implications majeures: d'une part, une partie du territoire situé entre le Jourdain et la Méditerranée, dont le Likoud a toujours estimé qu'il devait rester sous contrôle israélien, n'est plus sous notre souveraineté et, d'autre part, nous devons nous faire à l'idée que l'Autorité palestinienne ne disposera pas uniquement de la surveillance de ces territoires mais que, progressivement, ceux-ci se transformeront en une entité dont le nom reste à définir. Nous serons alors obligés de gérer différemment les terres que nous contrôlons. Il s'agit de faits que nous avons dû reconnaître qui, à ce jour, sont irréversibles et avec lesquels nous avons décidé de vivre. Nous avons aussi promis de continuer le processus d'Oslo pour la simple raison que nous vivons en démocratie et que nous nous estimons obligés d'honorer les engagements pris par les divers gouvernements d'Israël, même si ceux-ci ne correspondent pas à l'idéologie de notre parti. Cela ne signifie pas, et j'insiste sur ce point, que nous continuerons à entreprendre quoi que ce soit qui puisse mettre en danger la sécurité d'Israël. Je dois souligner que notre conception des choses en ce qui concerne l'aboutissement final de ce processus est nettement différente de ce que le précédent gouvernement avait promis aux Arabes, que ce soit par des indications ou des engagements écrits. En effet, celui-ci avait promis qu'Israël retournerait en définitive aux frontières d'avant 1967 et qu'une sorte de compromis serait élaboré sur la question de Jérusalem. Nous avons clairement fait comprendre que nous n'avions pas la moindre intention de nous lancer dans cette direction et ceci a déclenché une vague de propagande hostile à notre égard dans le monde arabe en général et chez les palestiniens en particulier. Quant à l'Égypte, elle mène ouvertement une campagne diplomatique anti-israélienne, incitant de nombreux pays à ne pas normaliser leurs relations avec nous. Il faut toutefois se souvenir que lorsque la gauche israélienne était au pouvoir et qu'elle faisait preuve de quelques signes de détermination, elle devenait automatiquement la cible de ce genre de propagande hostile. Enfin, je dois rappeler que pendant les deux ans et demi qui ont suivi la signature des Accords d'Oslo, nous avons connu la pire et la plus meurtrière vague de terrorisme de notre histoire au cours de laquelle 225 personnes ont été assassinées.


Lorsque vous nous parlez d'une "entité" palestinienne, faut-il remplacer le mot "entité" par le terme "état palestinien" ou s'agit-il d'une autonomie fonctionnelle ?

La nature de cette "entité" sera déterminée par ses capacités de combattre le terrorisme et la violence. De plus, elle devra apporter la preuve que ses intentions et son attitude à l'égard d'Israël sont authentiquement pacifiques. Nous sommes déterminés à empêcher qu'une telle entité nous soit hostile et puisse constituer une menace pour Israël. Il s'agira d'une entité autonome. Il faut bien comprendre que pour nous, une entité à même de produire ou d'importer des tanks, d'autoriser l'installation d'une armée étrangère dite "palestinienne" mais provenant de Lybie, est considérée comme dangereuse. Une entité qui souhaite contrôler l'espace aérien au-dessus d'Israël, qui fabrique des armes non conventionnelles ou qui conclut des pactes stratégiques avec des pays ennemis déclarés d'Israël, tels par exemple l'Irak, l'Iran, la Syrie, la Lybie ou le Soudan, est très périlleuse. Il en va de même d'une entité qui contrôlerait nos ressources d'eau. Je dirais aussi qu'une entité qui contrôle des régions stratégiques vitales pour notre sécurité représente un réel danger. On peut nommer ce genre d'entité comme on veut, nous l'empêcherons de voir le jour dans de telles conditions. Ce sont également toutes ces considérations que nous prenons en compte lorsque nous négocions sur l'étendue territoriale de cette "entité". Il faut qu'il soit bien clair que la Vallée du Jourdain ne peut en aucun cas faire partie des territoire autonomes, car il ne saurait être question d'établir une continuité territoriale entre l'entité palestinienne et la Jordanie.


Pensez-vous qu'il existe aujourd'hui un État arabe prêt à se lancer dans une guerre contre Israël ?

Je pense que tant que nous faisons clairement comprendre aux États arabes que nous disposons de la force nécessaire ne permettant pas à un régime arabe de survivre à une attaque contre Israël, nous ne serons pas attaqués. Le jour où nous ne disposerons plus de cette force de dissuasion et où les Arabes penseront qu'ils peuvent nous battre, ils attaqueront. Mais pour l'instant, ils savent qu'une attaque contre nous serait dévastatrice pour eux.


En ce qui concerne le Liban, on a l'impression qu'Israël est plus sur la défensive que sur l'offensive. Qu'en est-il en réalité ?

La situation est très difficile, mais nous n'avons pas d'autre choix pour l'instant que de nous maintenir sur place. Il ne faut pas oublier qu'au Liban, nous sommes en guerre avec la Syrie. Celle-ci utilise le Hezbollah pour tirer sur des positions israéliennes alors que, pour des raisons politiques, nous ne nous attaquons pas pour l'instant à des positions syriennes.


Qu'en est-il des négociations avec la Syrie ?

Elles sont pratiquement au point mort. Il faut bien comprendre que la Syrie n'accepte de négocier avec nous qu'à condition que nous acceptions au préalable toutes ses conditions. Si nous consentions à abandonner le Golan, elle se déclarerait prête à "négocier" des modalités de notre retrait. Si nous acceptions de nous lancer dans ce genre de pourparlers, il ne s'agirait plus d'une négociation, mais d'une capitulation ce qui, bien entendu, est totalement exclu.


Nous sommes au début du cinquantième anniversaire de l'État d'Israël. Comment évaluez-vous les relations entre l'État juif et la Diaspora ?

Israël est le pays de tous les Juifs, pas seulement celui de ceux qui y vivent. J'estime que la solidarité entre nous constitue l'élément le plus important de la société juive actuelle. Nous devons tout faire pour promouvoir et encourager la synergie et l'unité entre nous. Ceci ne signifie pas que nous devions tous être d'accord sur tout, nous devons établir une unité de vues sur ce qui est fondamental. Je rappellerai qu'à l'issue de la Shoa, on comptait environ 12 millions de Juifs dans le monde et qu'aujourd'hui, nous en sommes pratiquement aux mêmes chiffres. Or en 50 ans, notre population aurait dû augmenter de manière significative, pour ne pas dire doubler. Cela démontre que nous avons perdu une grande partie de notre peuple dans l'assimilation et nous n'avons pas les moyens de continuer à assumer ce genre de perte. Afin de mettre un terme à cette situation, nous devons tout faire pour encourager vigoureusement l'éducation juive et l'étude de l'hébreu. Nous devons aussi promouvoir et renforcer la relation de la Diaspora avec Israël et vice-versa. Il faudrait que chaque jeune juif vienne passer une année en Israël, car je crois qu'une personne ayant vécu cette expérience aura des difficultés à s'assimiler et ne sera pas perdue pour le peuple juif. Ces quelques éléments nous permettront de renforcer les bases nécessaires aux Juifs afin qu'ils survivent aussi bien en tant que Peuple qu'en tant que Nation.