Entre le marteau et l'enclume
Par Roland S. Süssmann
Aujourd'hui plus que jamais, les terres juives de Judée, de Samarie et de Gaza constituent le point essentiel dans les négociations que le Gouvernement israélien mène avec l'OLP. Les populations juives de ces territoires sont donc un enjeu de toute première importance. Les Arabes, soutenus par les Américains et les Européens, ont de plus en plus d'exigences et la grande question est de savoir jusqu'où Israël peut aller dans ses concessions. Afin de faire le point, nous nous sommes entretenus avec S.E.M. PINCHAS WALLERSTEIN, président du Conseil des communautés juives de Judée, de Samarie et de Gaza, YESHA (Yehouda-Shomron-Aza).


Benjamin Netanyahou est au pouvoir depuis environ dix mois. La mise en place du nouveau gouvernement a-t-elle impliqué des changements importants pour vous ?

Effectivement, les choses ont changé, pour le meilleur et pour le pire. Tout d'abord, sur le plan de l'idéologie pure, il est bien plus facile pour nous de traiter avec ce gouvernement. Lorsque j'entends parler notre Premier ministre en Israël ou à Washington, l'écouter est un véritable plaisir. De plus, à chaque fois que nous sollicitons une entrevue, nous l'obtenons et trouvons une oreille attentive à nos préoccupations. Mais c'est justement pour cette raison que nous nous retrouvons dans une situation aussi bizarre que difficile. En observant la composition du gouvernement, nous pouvons imaginer que les intérêts d'Eretz Israël sont défendus de la meilleure manière possible: d'une part, il porte l'étiquette de "faucon de droite" et, d'autre part, il compte des personnalités telles que Benjamin Netanyahou, le rabbin Itzhak Levy, Raphaël Eytan, Ariel Sharon et Limor Livnat. Or, c'est justement ce gouvernement qui a abandonné Hébron avec une majorité de près de 80 voix à la Knesset, phénomène sans précédant ! Ce même gouvernement s'est également ouvertement engagé dans le processus du déploiement additionnel, ce qui en clair veut dire qu'il abandonnera encore plus de terres juives aux Arabes. Dans une première phase, Israël vient de donner 2% du territoire de la Judée-Samarie aux palestiniens. Cela peut sembler infime en pourcentage, mais il s'agit tout de même de 112'000 km2. Je continue néanmoins à croire que si Shimon Peres et la gauche étaient restés au pouvoir, ils auraient abandonné bien plus de territoire.


Etes-vous en train de nous dire que d'une certaine manière, vous êtes piégés ?

Oui et non. Nous nous trouvons dans une situation à la fois difficile et contradictoire. Pour nous, le choix ne se situe pas entre une bonne et une mauvaise solution, mais entre une mauvaise et une très mauvaise. Nous ne pouvons pas descendre dans la rue manifester contre le gouvernement car, sur le plan idéologique, il est proche de nos idées, alors que sur le terrain, il entreprend des actes allant à l'encontre de nos intérêts. Parallèlement à ces abandons de territoire, ce gouvernement a remis nos régions sous le régime des "priorités nationales". En pratique, cela veut dire que toute personne souhaitant s'installer en Judée-Samarie-Gaza peut bénéficier d'un certain nombre d'avantages, notamment obtenir des hypothèques, ce qui n'était plus le cas depuis l'arrivée au pouvoir de feu Itzhak Rabin. Le gouvernement en soi ne construit rien, mais il permet à toute personne désirant s'établir et bâtir dans nos régions d'obtenir de très larges prêts. Il faut bien comprendre que pour nous, cette mesure représente une aide importante car, dès l'été prochain, nous assisterons à une vague de nouveaux habitants. Je pense que les frontières définitives d'Eretz Israël seront établies là où une forte population juive sera installée.


Pratiquement, que pouvez-vous faire pour limiter les dégâts ?

Il ne faut pas oublier qu'à partir du moment où Benjamin Netanyahou est entré de plain-pied dans l'application des Accords d'Oslo, la droite marche avec lui et que, bien entendu, la gauche le soutient et applaudit. Il n'y a donc pour ainsi dire plus d'opposition de droite. Depuis deux mois, nous avons entrepris une démarche importante auprès des députés de la Knesset afin de créer une forme de pression sur le Premier ministre dans le but de l'acculer à s'engager dans une voie qu'il n'a pas prévue, pour le bien et les intérêts d'Eretz Israël. Nous avons donc insisté pour que la construction de Har Chomah soit entreprise. Nous avons choisi cet endroit car, contrairement à d'autres, toute la partie administrative est réglée et les recours légaux épuisés. Pour faire preuve d'action, une simple déclaration d'intention ne suffit plus, il est impératif de construire immédiatement. De plus, nous avons obtenu un engagement irrévocable du gouvernement concernant la construction d'un nouveau voisinage juif au sud de Jérusalem connu sous le nom de "plan E-1": une région énorme qui relie, par une zone d'habitation exclusivement juive, Maalé Adoumim à Jérusalem. Ce projet est très important, car il sera impossible de se rendre de Bethléem à Ramallah sans passer par une banlieue à grande majorité israélienne. Par conséquent, les deux régions autonomes palestiniennes ne pourront pas être reliées entre elles. En raison des difficultés administratives et juridiques, cette décision gouvernementale mettra environ deux ans avant de pouvoir être réalisée. Finalement, il est question d'établir une nouvelle route qui reliera le nord de Jérusalem à Tel-Aviv en passant par l'aéroport de Lod. Ce projet est connu sous le nom de "Route 45". Il est prévu que dans les quatre années à venir, 90% du trafic de et vers Jérusalem passeront par cette route et que la nouvelle ligne de train qui reliera les deux villes longera cette route. Ces décisions n'affectent pas directement les Accords d'Oslo, mais créent un grand nombre de difficultés pour ceux qui souhaitent établir un état palestinien.
Si je dois résumer ce que les dix mois au pouvoir de Benjamin Netanyahou ont changé pour nous, je dirai que nous avons rencontré de nombreuses difficultés et que rien ne bouge sans que nous soyons obligés de déployer d'énormes efforts. Nous ne nous faisons aucune illusion: Benjamin Netanyahou appliquera toutes les phases des Accords d'Oslo qui prévoient l'abandon de terres juives. Il a commencé par le retrait d'Hébron et poursuivi par l'abandon de terrain additionnel aux Arabes. Je ne sais pas s'il sera à même de transformer les Accords d'Oslo en accords de paix, mais je peux dire que pour nous, il est un peu difficile de compter et de faire confiance à un gouvernement se soumettant autant aux pressions américaines. Malgré tout, je reste optimiste.


Comment expliquez-vous l'attitude de Benjamin Netanyahou ?

Lors de la campagne électorale, malgré toute la rhétorique, il avait compris qu'il ne se débarrasserait pas des Accords d'Oslo. Toutefois, il n'a pas abandonné son idéologie et estime faire du mieux qu'il peut, ce qui n'est pas notre avis. Le Premier ministre pense que si Israël était toujours gouverné par la gauche, l'État hébreu se retrouverait actuellement amputé de 90% de la Judée-Samarie. Il estime donc obtenir une victoire en n'abandonnant par exemple que 60% du territoire, ce qui bien entendu n'est pas le cas.


Il y a une question fondamentale qui se pose aujourd'hui, celle de savoir si, en définitive, le mouvement de peuplement de la Judée-Samarie-Gaza n'a pas été qu'une vaste opération politique plutôt qu'une nécessité pour la survie de l'État. Pensez-vous que les différents gouvernements successifs d'Israël vous ont utilisés plus qu'aidés ?

Je ne pense pas que nous ayons été exploités, toutefois je crois pouvoir dire qu'aucun gouvernement n'a véritablement compris l'enjeu de ce mouvement de peuplement. Ce n'est qu'en examinant les cartes des Accords d'Oslo (publiées dans Shalom Vol.XXV) que l'on se rend compte que seuls les villes et villages juifs des territoires ont permis à Israël de retenir du terrain dont l'importance stratégique, phréatique, etc. est de premier ordre, et d'empêcher la création d'un état palestinien aux portes de Jérusalem. A ce jour, il n'est d'ailleurs plus question d'évacuer des villes ou des villages juifs de ces territoires. Il est possible qu'avec le temps, la vie y devienne de plus en plus difficile, voire intenable, mais nous n'en sommes pas encore là.


En principe, fin juillet 1998, les Accords d'Oslo devraient être appliqués et terminés. Que se passera-t-il ensuite ?

C'est une question très importante qui inquiète tout le monde. Ce qui sera déterminant à ce moment-là sera de voir comment le gouvernement prendra en compte les intérêts israéliens. Nous avons établi une carte des villes et villages juifs, des routes, une carte stratégique et une carte des nappes phréatiques. Nous les avons superposées et avons ensuite apposé la carte des territoires abandonnés après Oslo. Je peux vous dire qu'il ne reste presque rien que nous puissions nous permettre d'abandonner sans mettre en danger la vie des habitants juifs de ces régions et les intérêts vitaux d'Israël. Nous avons présenté ces cartes à plusieurs ministres afin d'influencer leur décision quant aux territoires qui devront en définitive rester sous contrôle israélien. Il s'agit d'un très vaste projet qui pose toute la question de l'avenir d'Israël et de ses relations avec ses voisins arabes.


Vous nous dites que malgré toutes ces difficultés, vous restez optimiste. Pourquoi ?

Je regarde ce qui se passe sur le terrain et je me rends compte que tous les appartements ou maisons que nous avons mis en vente ont trouvé acquéreurs, où qu'ils se trouvent en Judée-Samarie-Gaza. J'ai de bonnes raisons de penser que d'ici fin juillet, nous assisterons à une augmentation sensible de notre population. Malgré toutes les difficultés, nous continuons à nous développer et à vivre un essor dynamique, ce qui nous encourage et nous permet de penser qu'en définitive, nous gagnerons le combat pour lequel nous nous sommes engagés.