Israel à la croisée des chemins
Par Roland S. Süssmann
ARIEL SHARON ! Un nom qui ne laisse personne indifférent. L'homme a marqué positivement l'histoire d'Israël. Héros de toutes les guerres, il compte autant d'admirateurs que de détracteurs: certains l'appellent tout simplement "le Général", comme De Gaulle ou Eisenhower, d'autres "Arik". La grande presse américaine voit en lui un mélange de Winston Churchill et de George Patton.
Après la signature des périlleux Accords d'Oslo I et II conclus par le Gouvernement israélien et l'organisation terroriste OLP, nous avons demandé à S.E. le général A. Sharon d'analyser, en sa qualité d'homme d'Etat et de stratège de premier plan, la situation actuelle d'Israël et de nous expliquer les dangers qu'impliquent les nouvelles donnes militaires et politiques présentes aujourd'hui sur le terrain.


Vous avez bien connu feu Itzhak Rabin. Pouvez-vous en quelques mots nous parler de l'homme et du soldat que vous avez côtoyé ainsi que du politicien que vous avez combattu à la fin de sa vie ?

J'ai eu le privilège de servir dans l'armée sous le commandement du général Rabin lorsqu'il était chef d'état-major. J'avais fait sa connaissance en 1950. Dans les années 1975-76, alors qu'Itzhak Rabin était premier ministre, j'étais son conseiller pour les questions de sécurité et j'ai entretenu avec lui une relation très proche pendant plus de quarante ans. Je l'ai toujours apprécié en tant que soldat et commandant, je reconnais ses qualités de stratège, mais j'estime que la signature des Accords d'Oslo et ses implications constituent une très grave erreur. Je n'admets pas qu'il ait mené des négociations avec l'organisation terroriste OLP. Pratiquement jusqu'à son dernier jour, j'ai eu des entretiens privés et discrets avec lui au cours desquels nous discutions avant tout des questions relatives à la sécurité de la nation. Il faut bien comprendre que nos relations ne s'étaient pas forgées dans la vie politique, mais sur les champs de bataille où nous avons partagé des heures, des jours et des mois très difficiles. Même pendant la guerre du Liban, je l'ai régulièrement consulté; une photo de nous deux prise à Beyrouth a d'ailleurs fait le tour du monde. J'ai perdu un ami et, pour moi, sa disparition constitue une grande perte, car nous nous appréciions mutuellement et nous pouvions avoir des discussions utiles étant donné sa grande expérience. Je pense qu'il a été entraîné dans toute cette affaire d'Oslo où, il faut bien le dire, il a commis de nombreuses erreurs. Face à ces "négociateurs", il aurait dû faire preuve de fermeté, ce qu'il n'a pas fait. Cette constatation n'enlève rien à la qualité des relations que nous avions développées avant cette période.

Bien entendu, je condamne son assassinat avec la plus grande fermeté. Il faut bien comprendre que cette tragédie n'a rien changé aux problèmes auxquels Israël est confronté.


Israël se trouve actuellement, d'une certaine manière, à la croisée des chemins en ce qui concerne la suite à donner au processus des négociations avec les Arabes. Comment évaluez-vous la situation actuelle ?

Il ne fait aucun doute que les Accords d'Oslo constituent un échec de taille. Je souhaite rappeler ici qu'il s'agit d'un traité conclu avec un personnage qui, de tout point de vue, est considéré comme un criminel de guerre. Il faut se souvenir qu'Arafat a ordonné personnellement l'assassinat froid de civils, de femmes, d'enfants et de vieillards. Le fait de négocier avec lui constitue une erreur fondamentale et grave. La deuxième faute dramatique réside dans le fait qu'Israël a confié la responsabilité de la lutte contre le terrorisme à... une organisation terroriste. Israël a abandonné ses droits de poursuite et de prévention. Le bilan de la politique menée depuis l'infâme poignée de mains de Washington du 13 septembre 1993, s'élève à plus de 250 tués et 1000 blessés, dont certains très grièvement. En d'autres termes, le terrorisme arabe dirigé contre les Juifs n'a jamais cessé, pas même pendant 24 heures.


Pensez-vous qu'il existe une coopération active entre l'OLP et le Hamas dans la préparation effective des actes terroristes commis en Israël ?

Je n'irai pas jusque-là. Toutefois, je rappellerai ce que le Chef des Renseignements militaires a déclaré fin février au comité de la Sécurité et des Affaires étrangères de la Knesset: "Arafat n'entreprend rien pour détruire l'infrastructure du Hamas. Il souhaite garder cette infrastructure en activité afin de pouvoir l'actionner le jour où il négociera le statut final des territoires. Il pense ainsi pouvoir exercer de nouvelles pressions sur le Gouvernement israélien en créant de nouveaux incidents terroristes qui feront de nombreuses victimes en Israël. De plus, il est certain qu'Arafat n'est pas opposé à des actes de terrorisme en Israël dans la mesure où il n'est d'aucune façon lié à ces crimes." Le Chef des Services de renseignements a également confirmé qu'Arafat ne prend pas de mesures sérieuses pour combattre le terrorisme et qu'il se contente de quelques actes symboliques.

D'autre part, tout indique qu'Arafat souhaite faire un effort pour que Shimon Peres soit élu. Il vient de déclarer avoir conclu un accord avec le Hamas afin que celui-ci cesse toute activité terroriste jusqu'aux élections. De plus, comme les assassins qui ont commis les attentats de Jérusalem et d'Ashkelon habitaient la région de Hébron, Arafat a immédiatement souligné le fait que ces hommes, "des éléments incontrôlés", ne venaient pas d'une région se trouvant sous son administration. Or, aussi bien les explosifs que l'entraînement et tout ce qui a servi à la réalisation de ces attentats provenaient de Gaza. Il faut bien comprendre qu'il s'agit là d'une énorme mascarade: d'une part, l'OLP et le Hamas déclarent officiellement vouloir mettre fin au terrorisme en Israël et, d'autre part, ils actionnent des "éléments incontrôlés qui refusent de se soumettre aux ordres". Ce qui est incroyable, c'est que des Juif puissent accorder le moindre crédit à ces criminels. En fait, le gouvernement a choisi de jouer ce jeu car si aujourd'hui il se présentait aux électeurs en disant "Arafat ne tient pas ses engagements", il est certain qu'il devrait rendre des comptes, ce qu'il ne souhaite pas. Le gouvernement a donc décidé de couvrir Arafat. Les accords avec l'OLP n'ont apporté qu'une seule chose à Israël: plus de sang juif versé. A cela s'ajoutent les vols quotidiens de voitures en Israël, qui partent en direction des zones autonomes. La moyenne des véhicules ainsi dérobés s'élève à environ 100 par jour ce qui, pour 1995, nous donne le chiffre de 35'000 voitures. Cela n'empêche pas le Gouvernement israélien de continuer à transférer annuellement des centaines de millions de dollars vers les caisses de l'Autorité palestinienne. Je ne pense pas que d'ici aux élections, il y ait une suite dans les négociations avec les Palestiniens, et il semblerait qu'Arafat se soit montré disposé à attendre la formation d'un nouveau gouvernement. En effet, M. Peres lui a fait comprendre qu'une négociation importante avec les Palestiniens, qui serait lourde de conséquences pour Israël, ne pourrait avoir que des effets négatifs pour la gauche.


Qu'en est-il du processus en cours avec la Syrie ?

Là aussi, le frein a été mis par M. Peres. En effet, si le public apprenait la vérité sur les conditions que ce gouvernement a d'ores et déjà acceptées pour obtenir une sorte de paix avec la Syrie, cela lui serait nuisible sur le plan électoral. Quelques rencontres de délégations auront lieu, afin de maintenir espoirs et illusions. Je pense d'ailleurs que si le gouvernement a décidé d'avancer les élections, c'est en partie parce que l'Administration américaine souhaite enregistrer un succès entre la Syrie et Israël afin de disposer d'un argument électoral supplémentaire en vue des présidentielles de novembre 1996. Il faut bien comprendre que le Gouvernement israélien a cédé sur de nombreux points essentiels: il a consenti à évacuer la totalité du Golan, il a renoncé aux stations d'écoutes avancées et il a accepté l'occupation totale du Liban par la Syrie (ce qui pose un problème moral important). De plus, Israël n'a demandé aucune réduction des forces syriennes ni même l'abandon de la course aux armements par ce pays.

Je ne pense donc pas que, dans l'ensemble, nous voyions la situation évoluer avant les élections.


Vous venez d'obtenir la réunification du Likoud, le retour de David Levy et l'unification avec le parti Tsomet de Raphaël Eytan. Dans le "Jerusalem Post" du 9 février 1996, vous avez notamment écrit: "Si le Likoud reconnaît les Accords d'Oslo, il n'a plus le droit d'exister." Pouvez-vous développer cette idée ?

Nous ne pouvons pas accepter les Accords d'Oslo. A ce jour, seule une toute petite partie des territoires a été remise aux Palestiniens. La grande majorité des terres est restée, du point de vue de la sécurité, sous notre contrôle, le statut des territoires restants constituant la phase 3 des négociations. Il faut bien comprendre les implications si le Likoud accepte, ne serait-ce que dans un but électoral, les Accords d'Oslo. En admettant que la droite remporte les élections, le Likoud devra tenir ses engagements électoraux et adhérer aux Accords d'Oslo qu'il aura ainsi acceptés: c'est-à-dire négocier sur les territoires restants, sur Jérusalem, etc. Si c'est M. Peres qui forme un gouvernement, le Likoud, ayant accepté les Accords d'Oslo pendant la campagne électorale, devra, pour rester conséquent et crédible, soutenir la continuation de leur application et toutes les conséquences négatives qui en découleront pour Israël. Le Likoud ne peut donc pas accepter ces accords. Cela dit, nous ne pouvons pas ignorer les faits qui ont été créés sur le terrain. Mais dans ce domaine, si la droite est au pouvoir, elle exigera immédiatement la cessation de toutes les violations des Accords, l'extradition de tous les terroristes et leur désarmement ainsi que la fin de toute propagande anti-israélienne. Un gouvernement du Likoud fera comprendre aux autorités palestiniennes que s'il n'est pas mis un terme au terrorisme en provenance des zones qu'il contrôle, ou si ces zones continuent à être des refuges pour les terroristes, Israël s'arrogera la restauration de son droit de poursuite et de prévention. En ce qui concerne les territoires qui n'ont pas encore été remis à l'autorité palestinienne, toute négociation future sera basée sur le fait que toute la sécurité restera entre les mains d'Israël. De plus, nous instaurerons des zones de sécurité d'une largeur de 20 km à l'est de ce que l'on appelle communément "la ligne verte". Aucune forme d'autonomie ne sera accordée dans les régions où vivent des Juifs. Plusieurs zones de sécurité additionnelles seront établies, les routes les plus importantes qui relient la plaine côtière (où vit la majorité de la population) et le front est de l'Etat (la rivière du Jourdain - qui constitue la porte vers la Jordanie, la Syrie, l'Irak et l'Arabie Saoudite) ainsi qu'une profondeur territoriale de plusieurs kilomètres de part et d'autre de ces routes resteront totalement sous contrôle israélien. Aucune force palestinienne n'aura le droit d'y entrer, mais si les populations locales souhaitent y régir leurs écoles ou leurs services sociaux, libre à elles. L'autonomie n'aura plus qu'une forme locale et sera en fait accordée aux municipalités élargies. Quant à Hébron, la présence juive devra y être renforcée et une ligne continue d'habitations juives devra relier le cýur de la ville aux autres quartiers situés sur les hauteurs, comme par exemple Kyriath Arba. Quant aux alentours de Jérusalem, nous établirons un très large corridor de sécurité qui mènera de la capitale au nord de la mer Morte.

En ce qui concerne Jérusalem même, le lendemain de la formation du gouvernement, tous les bureaux de l'autorité palestinienne présents dans la capitale seront fermés et auront pour instruction de quitter les lieux. Ils pourront s'installer n'importe où dans les zones autonomes. La police secrète palestinienne, qui agit librement à Jérusalem-Est, devra quitter la ville le jour même où le nouveau gouvernement sera formé. Israël regagnera ainsi le contrôle total de sa capitale. Nous installerons des Juifs dans toutes les parties de la ville. Enfin, Jérusalem ne sera pas négociable. A cet égard, j'aimerais évoquer une question fondamentale. Notre génération a eu l'énorme privilège de récupérer les plus importants Lieux saints du judaïsme. Nous n'en avons que la garde et, par conséquent, la responsabilité de les transmettre aux générations futures. Aucun gouvernement israélien, qu'il soit de droite ou de gauche, n'a le droit de "négocier" ces trésors ou même de lancer un référendum à ce sujet. Ces lieux ne nous appartiennent pas et personne en Israël n'a le droit d'en disposer: ils sont la propriété du peuple juif tout entier pour l'éternité. Nous avons le devoir de les transmettre intacts à notre descendance.


Vous semblez dire qu'un gouvernement du Likoud n'aura pas d'autre choix que de continuer à négocier avec le terroriste Arafat. Qu'en est-il réellement ?

C'est un problème grave, mais l'autorité palestinienne est présente et il faudra bien traiter avec elle. Il y aura des problèmes quotidiens à régler, quelqu'un devra bien lui imposer de mettre fin aux violations des accords. Il faudra lui faire comprendre que si elle n'est pas à même de mettre un terme aux activités terroristes dirigées contre Israël, nous nous en chargerons.

Personnellement je ne parlerai jamais à Arafat.


Quelle est votre position en ce qui concerne la Syrie ?

Nous partageons les vues de nombreux grands politiciens américains qui ont averti Itzhak Rabin et Shimon Peres de ne faire aucune concession à Assad. En effet, après Assad la Syrie entrera dans une période d'instabilité et Israël risquera alors de se retrouver sans le Golan et... sans paix. Notre position est d'observer l'évolution et de négocier avec prudence. De toute manière, il n'est pas question pour nous d'abandonner la totalité du Golan.


Il semblerait que l'occupation de tout le Liban par la Syrie implique l'abandon par Israël des soldats de l'Armée du sud- Liban. Pensez-vous que ceci soit possible ?

Il s'agit là d'une question de moralité. Si le Likoud gagne les élections, il n'abandonnera jamais ceux qui l'ont aidé. Je ne peux pas vous dire ce que fera un gouvernement de gauche. Toute- fois, n'oublions pas que suite aux Accords d'Oslo, Israël a abandonné les Arabes qui, depuis des années, travaillaient avec ses forces de sécurité. Je ne parle pas uniquement de ceux qui étaient à Gaza ou à Jéricho et qui ont été assassinés par les hommes d'Arafat. Aujourd'hui, un grand nombre de ceux qui nous étaient dévoués sont kidnappés à Jérusalem même, transférés dans les zones autonomes et torturés à mort de la manière la plus abominable qui soit. Je pense qu'il s'agit d'une grave erreur que de laisser Arafat prendre ce genre de mesures, sans parler du fait que ceci affecte directement notre capacité d'obtenir des renseignements et rend le travail de nos services d'informations bien plus difficile.


Quelles sont les chances du Likoud de gagner les élections ?

Les sondages d'opinion du 1er mars parlent d'égalité des chances. Cela dit, il a été très difficile de réunifier la droite, ce que j'ai réussi à faire. Je rappellerai ici que j'ai déjà gagné une fois, en 1973, lorsque j'ai formé le Likoud. Je suis raisonnablement optimiste. Ce sera très, très difficile, mais je pense que nous pouvons réussir si nous travaillons ensemble. Mais nous devons faire un grand effort.


Si la gauche gagne les élections, pensez-vous qu'en définitive elle évacuera les Juifs vivant en Judée, en Samarie et dans la Bande de Gaza ?

J'espère qu'elle n'osera pas le faire. Entre-temps, de plus en plus de familles s'installent dans ces territoires ce qui, bien entendu, est bon signe. Les agglomérations juives de ces régions constituent aujourd'hui le seul obstacle effectif à la mise en place des plans concoctés par le Gouvernement israélien et l'OLP. Si ces villes et villages n'existaient pas, cela ferait très longtemps que nous serions revenus aux frontières d'avant 1967. Il est vrai que le gouvernement met tout en ýuvre afin de rendre de plus en plus difficile la vie des Juifs habitant dans ces régions mais, pour l'instant, il hésite encore à prendre, en collaboration avec les Arabes, des mesures sévères contre eux. Les Juifs des territoires travaillent jour et nuit afin d'agrandir les cités existantes et de renforcer leur présence sur les collines les dominant qui, rappelons-le, sont d'une importance stratégique primordiale. Ils construisent des routes reliant les villes et villages juifs entre eux, engagent des volontaires qui viennent les aider de toutes les régions d'Israël. Les Juifs de la Diaspora ont le devoir de leur apporter leur soutien aussi bien moral que technique et financier.


Sur le plan idéologique, la société israélienne est divisée. Pensez-vous que les prochaines élections constituent en fait plus un choix de société qu'une simple expression sur des questions de sécurité ?

Il s'agit là d'une question fondamentale. En effet, si le sionisme est la seule révolution à avoir connu le succès au cours du dernier siècle, il a raté un aspect essentiel de ses buts en contribuant à détacher les Juifs du judaïsme. Dans leur grande majorité, les Juifs n'étant pas religieux, ils ne connaissent rien à la Bible, à l'histoire du peuple juif, ni même à celle du pays. Leurs racines sont tellement faibles que l'idée disant que les droits sur notre terre ne sont pas exclusivement réservés aux Juifs fait son chemin. Rappelons que tous les droits sur l'ensemble d'Eretz Israël appartiennent exclusivement aux Juifs; les non-Juifs souhaitant y vivre peuvent le faire dans la mesure où ils se soumettent aux lois qui régissent la vie du pays. D'un autre côté se trouve un groupe d'Israéliens, qui se renforce de jour en jour, dont les membres ont bénéficié simultanément d'une formation générale très complète et d'une instruction juive poussée. A long terme, ce sont eux qui constituent notre meilleure source d'espoir. Enfin, je rappellerai que l'Etat juif n'est pas une réalisation israélienne, mais un projet qui appartient à l'ensemble du peuple juif. Les Juifs de la Diaspora doivent élever leurs voix afin qu'Israël ne soit jamais affaibli. Or tout ce que le gouvernement actuel entreprend mène en définitive à l'affaiblissement de notre Etat. Noublions pas que tout ce qui arrive en Israël affecte directement les Juifs de la Diaspora.

En conclusion, je dirai que tout est encore entre nos mains, que rien n'est perdu et qu'il est grand temps que les Juifs commencent à se conduire en Juifs et abandonnent toute cette politique de faiblesse. Il est temps que nous agissions avec détermination et courage.