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Sommaire Italie Automne 2003 - Tishri 5764

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Ave Roma

Par Roland S. Süssmann
Les Juifs de Rome aiment répéter qu’ils sont les descendants de la plus ancienne communauté de la diaspora. En fait, ils ne sont ni Ashkénazes, ni Sépharades..., ils sont Italiens. Si l’on en croit certains historiens, ceci est probablement vrai puisqu’en 167 avant notre ère, Jehoudah Macabbi avait envoyé un ambassadeur à Rome, Eupolemus Ben Johanan, pour demander la protection de l’Empire contre les Gréco-syriens. Puis, dans les années 150 et 139 avant notre ère, d’autres délégations ont été dépêchées à Rome par les dirigeants hasmonéens. Finalement, lorsqu’en 63 les Romains ont envahi la Judée, ils ont exporté des esclaves juifs vers la capitale. Or si le traitement des Juifs en Palestine était souvent très brutal, ils étaient assez bien traités à Rome. La communauté existante avait d’ailleurs créé un fonds afin de racheter les esclaves juifs.

Jules César était connu pour son amitié à l’égard des Juifs et c’est lui qui leur a accordé le libre droit de résidence à travers tout l’Empire. Lors de son assassinat, les Juifs de Rome étaient tellement affectés qu’un grand nombre d’entre eux passèrent la nuit et la journée précédant son enterrement à pleurer près de sa dépouille. Son successeur, Augustus, était également favorable aux Juifs, au point de tenir compte du Shabbat dans les horaires de la distribution des céréales. Les transferts de prisonniers de guerre, rendus esclaves, de la Palestine vers Rome, ont été à l’origine de l’établissement d’une communauté qui a progressivement gagné de l’importance. Dans les années 95-96, des rabbins venaient spécialement de Palestine pour apporter une direction spirituelle à la population juive de Rome. En 212, l’empereur romain Caracalla (de son vrai nom Marcus Aurelius Antoninus Bassianus) a accordé aux Juifs de Rome le privilège de devenir citoyens à part entière. C’est au cours de la seconde partie du premier siècle que la Communauté juive de Rome a été fermement établie et qu’une véritable vie juive, tant sur le plan commercial qu’intellectuel, s’est progressivement installée. A travers toute l’histoire de Rome, la période classique, l’Empire chrétien, le Moyen-Âge, la Renaissance, le XIXe et le début du XXe siècle, il y a eu une présence juive à Rome. Comme partout en Europe, l’histoire de la Communauté juive de Rome est jalonnée de temps heureux et florissants et d’un grand nombre de périodes d’humiliations, de ségrégations et de persécutions sous toutes les formes. En 1555, le pape Paul IV a décrété que les Juifs devaient vivre dans leurs propres quartiers, séparés du reste de la population romaine, et c’est ainsi que le fameux ghetto de Rome a été créé. Les Juifs n’avaient pas le droit de sortir pendant la nuit, ils étaient bannis de la plupart des travaux physiques, exclus des Facultés de droit, de pharmacie, des arts, et n’avaient pas accès aux métiers d’architecte, de notaire et de politicien. Les médecins juifs n’avaient le droit de soigner que leurs coreligionnaires. De plus, les Juifs avaient l’obligation de porter une marque distinctive, une broche jaune. Chaque dimanche, ils étaient forcés d’assister à des sermons dans les églises. Les humiliations étaient nombreuses et malgré tout, les Juifs ont maintenu et renforcé leur identité. Ils ont vécu dans le ghetto pendant 300 ans! Ce n’est qu’en 1870 que le roi Victor Emanuel III a décrété d’ouvrir les portes du ghetto et d’accorder la citoyenneté complète aux Juifs de Rome, qui ont ainsi été intégrés dans la société italienne et ce tant dans les universités qu’aux plus hauts niveaux de l’armée et de la politique. Pendant la Première Guerre mondiale, de nombreux Juifs ont été enrôlés dans l’armée italienne. La période de la Shoa ne peut pas être résumée en quelques lignes. Il est toutefois important de souligner que, malgré les lois raciales et discriminatoires éditées à l’égard des Juifs (exclusions de tous genres, etc.), les historiens considèrent généralement que dans l’ensemble, aussi bien la population que les fonctionnaires gouvernementaux ont tout mis en œuvre pour protéger leurs voisins juifs. Au début de la guerre, il y avait environ 35’000 Juifs en Italie, dont 8000 ont été assassinés par les nazis et leurs complices locaux. On estime que 80% de la population juive ont été sauvés. Il est intéressant de souligner que les 2000 Juifs de Rome déportés par les Allemands vivaient encore, en majorité, dans leurs anciens appartements du ghetto. Les nazis n’ont donc eu aucune difficulté à les rassembler.
La présence juive bimillénaire à Rome a en outre produit une tradition particulière, le «Minhag Romi» (dont certains disent qu’il a été importé directement de Palestine il y a 2200 ans), surtout présent dans la conduite des prières, et qui se reflète dans l’ordre de la récitation des textes, dans la musique et les tonalités liturgiques. De plus, il existe un langage spécifique des Juifs locaux, un mélange de dialecte romain et d’expressions hébraïques, une sorte de yiddish à l’italienne. Ce bref et superficiel rappel historique nous permet de mieux comprendre la vie juive dans la Rome d’aujourd’hui. Pour nous en parler, nous avons été à la rencontre de LEONE PASERMAN, président de la Comunità Ebraica di Roma.

Avant de nous entretenir de la vie juive actuelle, il serait intéressant de savoir comment vous expliquez que malgré les nombreuses brimades dont les Juifs ont été victimes à travers les âges, ils n’ont jamais été expulsés de Rome?

Je pense que les papes voulaient garder les Juifs ici dans le ghetto, dans des conditions épouvantables - plusieurs milliers de personnes vivaient sur une surface de 30’000 mètres carrés -, comme exemple de la punition encourue par tous ceux qui n’acceptaient pas la foi chrétienne. Malgré tout, il est intéressant de constater que lors de l’expulsion des Juifs d’Espagne, grand nombre d’entre eux ont choisi de s’installer à Rome. Dès le XVIe siècle, il y avait cinq synagogues dans un même immeuble, dont trois étaient espagnoles: une catalane, une castillane et une sicilienne, puisque la Sicile et le sud de l’Italie étaient une colonie espagnole d’où les Juifs ont été expulsés en 1507. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a pratiquement pas de Juifs au sud de Rome, sauf à Naples qui en compte environ une centaine.

Qu’en est-il de la communauté juive de Rome?

Elle se compose actuellement d’environ 14’000 personnes, dont la majorité sont nées à Rome dans des familles établies ici de longue date. Environ 1500 à 2000 de nos membres sont des Juifs venus de Libye après la Guerre des Six Jours. Dans l’ensemble, nous ne sommes pas une communauté vieillissante et l’année dernière, nous avons célébré environ 60 circoncisions, ce qui équivaut à près de 150 naissances. Ceci signifie également que nous sommes dans la moyenne nationale de l’évolution...
Nous avons une école juive qui accueille quotidiennement 200 enfants au jardin d’enfants, 450 dans les classes primaires, 230 dans le collège et encore 120 élèves au gymnase, où ils terminent leur scolarité secondaire. Dans le primaire et au collège, environ 60% des enfants juifs scolarisables sont inscrits chez nous mais au gymnase, la proportion est nettement moindre. Nous avons des services sociaux classiques, un home pour personnes âgées et un hôpital juif. Pour l’instant, le home pour personnes âgées n’est limité qu’à un seul étage situé dans l’hôpital juif, intégré dans le système national de santé et ouvert à tous. Toutefois, nous travaillons actuellement sur un projet de construction d’un centre gériatrique multifonctionnel qui comprendra un home, une section de soins, un lieu de rencontres offrant un choix d’activités, etc.

Après la guerre, avez-vous pu récupérer les avoirs juifs, notamment immobiliers?

C’est là une histoire très malheureuse car, après la guerre, le leadership juif n’a pas insisté pour récupérer ces biens. En effet, nos dirigeants de l’époque voulaient montrer qu’ils étaient des «Italiens comme tout le monde». Tous avaient souffert du fascisme et de l’occupation allemande, mais ils estimaient que les Juifs ne devaient pas être privilégiés. Il y a bien eu des lois qui exigeaient que les gens retrouvent leurs positions, mais en ce qui concerne les avoirs et les immeubles, malheureusement les bonnes démarches n’ont pas été entreprises. Depuis quelque temps et surtout après que d’autres pays européens se soient préoccupés de la question, une commission gouvernementale a été formée en Italie avec pour charge de réviser toute cette affaire. Il faut aussi dire que jusqu’en 1943, il n’y a pratiquement pas eu de confiscations de biens juifs en Italie.

Pensez-vous qu’actuellement, il y a un renouveau de la vie juive dans votre communauté?

Absolument. Tout d’abord, depuis que j’ai été élu président il y a environ trois ans, beaucoup de changements sont intervenus, les plus importants étant les remplacements du Grand rabbin de Rome après une cinquantaine d’années d’activités, du directeur de l’école et du responsable des chokhatim (sacrificateurs rituels). D’autre part, nous ramenons l’école dans le ghetto, fait particulièrement significatif et hautement symbolique car nous revenons en tant que propriétaires dans une région de Rome où les Juifs n’avaient pas le droit d’acheter des biens immobiliers de 1555 à 1870. Notre communauté est un peu particulière du fait que nous avons une large classe laborieuse, au sens le plus pur du terme. La grande majorité vend des cartes et des souvenirs aux abords des sites touristiques, certains se déguisent en légionnaires romains à l’entrée du Colisée et gagnent leur vie en se faisant photographier avec des touristes. Ce ne sont pas des personnes pauvres, elles ont souvent quitté l’école très jeunes et ne sont donc pas cultivées, mais elles éprouvent un sentiment très fort pour la communauté juive et pour Israël. Ainsi, lorsque l’Intifada a commencé en 2000, nous avons organisé, en coopération avec l’ambassade d’Israël, une soirée de solidarité quinze jours après le début des troubles. En présence de Shimon Peres et de Silvio Berlusconi, deux mille personnes sont venues à la synagogue pour manifester leur solidarité et leur sentiment d’appartenance. Il en va de même lorsque le nouvel ambassadeur d’Israël vient pour la première fois à la synagogue, il est très entouré et les messages d’amitié fusent. Dans ce même esprit, nous assistons depuis quelques années à un renouveau religieux, qui n’a rien à voir avec un regain d’orthodoxie, mais avec l’expression tangible du renforcement des sentiments religieux. Nous comptons aujourd’hui dix boucheries cachères, un grand nombre de restaurants, plusieurs synagogues, dont neuf ont un office matin et soir. Au mois de juin dernier, Habad a ouvert sa nouvelle synagogue. Je pense qu’actuellement, environ 25% des membres de notre communauté sont pratiquants, les autres étant plus ou moins traditionalistes. Sur le plan des conversions, nous avons un problème majeur, car de nombreux couples où la mère n’est pas juive souhaitent que leurs enfants, souvent en bas âge, soient convertis. Notre rabbinat, qui est orthodoxe, est très peu disposé à se montrer flexible face à ces requêtes. Nous avons développé un programme particulier où les parents doivent s’engager à donner une éducation juive à leurs enfants, en commençant par les envoyer à l’école juive.

Ressentez-vous une montée de l’antisémitisme?

Sans aucun doute. Comme partout, cela est lié dans un amalgame avec l’anti-israélisme. Nous sommes confrontés à «l’antisionisme» de l’extrême droite qui est une forme d’antisémitisme non dissimulé. Il en va de même avec l’extrême gauche, les verts et les anciens communistes, qui ne sont pas tous antisémites mais ouvertement et fortement antisionistes. Mais ce qui est le plus étonnant, c’est le changement que nous vivons actuellement dans ce domaine, au Vatican.

Jean Paul II a pourtant la réputation de combattre l’antisémitisme dans ses messages et de tout mettre en œuvre afin de rapprocher l’Église et le monde juif. A quoi faites-vous allusion?

Il ne fait aucun doute que le mouvement lancé par ce pape, qui avait pour but d’établir des bonnes relations avec l’État d’Israël et la communauté juive au sens le plus large, n’a duré que jusqu’à l’année du jubilé, soit en 2000! Depuis son fameux voyage en Israël du mois de mars 2000, nous avons assisté à un revirement et à une clôture totale des portes. Je pense que le Pape a dû faire face à une très forte opposition à l’intérieur du Vatican, surtout après le discours où il a dit que l’Église devait demander pardon aux Juifs pour tous les malheurs qu’elle leur a infligés. La Communauté juive de Rome s’est sentie insultée par la béatification du pape Pie IX qui, au cours du XIXe siècle, a insisté pour maintenir les Juifs parqués dans le ghetto de Rome, la seule ville d’Europe où il existait encore ce genre d’endroit plus de cent ans après l’émancipation des Juifs de France. Je pense que le Pape voulait en fait béatifier Pie XII mais, en raison de très fortes oppositions, il a changé d’avis et choisi Pie IX. Depuis lors, un certain nombre de déclarations et d’incidents peu sympathiques à notre égard se sont succédés et je pense que cela n’est pas bon signe du tout. De plus, les responsables politiques des Affaires étrangères du Vatican sont ouvertement anti-israéliens et anti-américains. Là encore, nous assistons à un changement car en général, le Vatican a sa propre terminologie et s’exprime de manière très diplomatique. Or en ce qui concerne Israël et les États-Unis, tel n’est plus du tout le cas. Nous entendons des déclarations ouvertement hostiles et proches du mouvement pacifiste. Le fait que le Pape ait reçu Tarek Aziz constituait une déclaration sans ambiguïté. Bien entendu, toute cette dialectique est diffusée directement dans les écoles et les églises, ce qui contribue directement à l’augmentation de l’antisémitisme dans le pays.

En conclusion, pensez-vous que votre communauté a un avenir à Rome?

Une vie juive existe ici depuis deux mille ans et nous avons connu des périodes bien plus difficiles que celle que nous vivons aujourd’hui où, malgré la montée de l’antisémitisme, nous assistons à un regain de vitalité qui s’exprime par ce renouveau de pratique religieuse dont je vous ai parlé et qui est assez surprenant. J’ai des bonnes raisons de penser que notre communauté a un avenir positif devant elle, mais qui sait..., une surprise peut très vite arriver.

(Reportage photos: Bethsabée Süssmann)


Les déportations à Rome

En 1938, les lois raciales introduites par le régime fasciste ont pris les Juifs par surprise. Ils étaient devenus des citoyens à part entière, une grande partie s’était battue pour l’Italie pendant la Première Guerre mondiale. Contrairement aux Juifs plus riches du nord de l’Italie, la communauté de Rome était parmi les plus pauvres et la plupart de ses membres n’avaient pas la possibilité de partir. De plus, ils étaient persuadés que la présence du Vatican empêcherait les déportations. Au début, les Allemands avaient déclaré Rome ville ouverte, ce qui avait fait naître quelques espoirs au sein de la communauté juive. Fin septembre 1943, le commandant allemand de Rome, Herbert Keppler, dit aux dignitaires juifs qu’ils pouvaient éviter la déportation contre le paiement de 50 kilos d’or sous 36 heures. Bien que la communauté ait réuni 51 kilos d’or grâce à des sources juives et non-juives, les déportations ont immédiatement commencé. Le 16 septembre 1943, une force de police spéciale a encerclé le ghetto et déporté 2000 Juifs. Dans les jours qui ont suivi les déportations, les Allemands se sont installés dans les bureaux de la communauté situés dans l’immeuble de la synagogue, saisissant les registres et volant tous les objets de valeur et les livres rares de la bibliothèque. Pour bien comprendre la situation de l’époque, écoutons le témoignage d’un survivant: «Nous ne savions pas exactement ce qui se passait. Nous avons été transportés en camions, puis en trains. Quelques-uns d’entre nous ont réussi à fuir grâce à l’aide de Romains. Dans la population, il y avait ceux qui aidaient les Juifs et ceux qui aidaient les Allemands, qui offraient une prime pour chaque Juif saisi.» Une triste ironie de l’histoire veut que derrière la maison où se trouve aujourd’hui une plaque rappelant la déportation des Juifs, dont seuls 15 sur 2000 sont revenus, se trouve un site archéologique romain, le «Portico d’Otavia». C’est à cet endroit que Vespasien fit défiler la procession de victoire de son fils Titus célébrant sa conquête et la destruction de Jérusalem. Il était suivi d’esclaves juifs qui portaient le butin volé dans le Temple de Salomon, y compris la fameuse Menorah en or à sept branches.


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