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Sommaire Lituanie Automne 2001 - Tishri 5762

Éditorial - Automne 2001
    • Éditorial

Roch Hachanah 5762
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Politique
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    • Lituanie quo vadis ?
    • Ambivalences lituaniennes
    • La mémoire en images

Éthique et Judaïsme
    • Entre prudence et panique

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Lituanie quo vadis ?

Par Roland S. Süssmann
De tout temps, les Juifs ont été à la tête des mouvements pour les libertés et les droits de l’homme. La Lituanie ne fait pas exception et dans sa lutte pour l’indépendance, un homme, le professeur EMMANUELIS ZINGERIS, a joué un rôle suffisamment important pour devenir l’un des signataires de la Déclaration d’indépendance. Il a été le premier parlementaire juif du pays et aujourd’hui, il a plusieurs casquettes, tant au sein des différentes commissions parlementaires qu’il dirige, que dans le cadre de la communauté juive. Il est aussi le président du «Jewish Cultural Heritage Support of Lithuania», dont les activités sont très vastes et sous la houlette duquel s’ouvrira le 23 septembre prochain le nouveau Musée juif de Vilna.
M. Zingeris nous a très chaleureusement reçus dans les locaux gouvernementaux afin de se livrer, en yiddish, à un vaste tour d’horizon dont nous vous rapportons ici l’essentiel.

Comment évaluez-vous les relations entre Juifs et Lituaniens après la Shoa ?

La bataille contre les Soviétiques était également celle pour les droits des Juifs. Cela dit, la présence soviétique était une force d’occupation dans l’ensemble des pays Baltes. Après la défaite allemande, les Soviets nous ont rendu muets. Le mot juif était simplement interdit, même dans les cimetières. Les Soviets voulaient établir un abîme entre notre riche histoire dans ce pays et notre présence sur ces terres. Ma véritable profession étant professeur d’Histoire et de Littérature, l’une des premières tâches à laquelle je me suis attelé lors de l’indépendance a été de rétablir un lien entre notre passé et la possibilité de continuer à vivre ici en tant que Juifs conscients de notre patrimoine. Il faut bien comprendre qu’après l’immense destruction physique, unique en Europe, il était très difficile de restaurer un semblant de vie juive, car nous n’étions pas nombreux et à la fin des années 80, peu de gens voulaient se joindre à nous. Tout un monde a été détruit pendant la Shoa, et sous le régime soviétique, nous n’avons pratiquement pas eu la possibilité de transmettre à nos enfants ce qui nous était de plus cher, à savoir le judaïsme à proprement parler ainsi que toutes les nuances spécifiques de la mentalité du Juif litvak et les particularités de la grande culture juive lituanienne. La concentration d’universités, de gymnases et de scientifiques juifs me font dire qu’avant la guerre, ici, c’était l’Oxford juif.
En 1988, après avoir lutté contre les Soviétiques, les avoir fait partir, nous avons fondé un État indépendant qui, progressivement, deviendra, avec les autres États baltes, ce que l’on appelle d’ores et déjà «la dernière station de train de l’Europe». J’ai participé à la création d’une société culturelle juive dont j’ai été élu président et dont j’ai alors défini les buts en disant: «Nous devons faire revivre la communauté juive et raviver le souvenir de notre superbe histoire vieille de 700 ans, histoire de millions d’hommes et de femmes qui ont vécu ici, artistes, écrivains, philosophes, rabbins, et tant d’autres.» Il n’était évidemment pas question de parler de renaissance, mais j’estime que si nous arrivons déjà à mettre en ordre l’immense cimetière juif qu’est le pays, à retrouver les cimetières et à les remettre tous en état, ce sera déjà un grand pas en avant. Si en plus nous pouvons expliquer aux 4 millions d’habitants de la Lituanie et à la jeune génération juive quelle était notre grandeur et quelle a été notre contribution à ce pays jusqu’à la destruction, nous aurons déjà bien réussi. Ce qu’il y avait de particulier ici, c’est que toute la culture ouverte sur le monde se faisait dans un esprit et dans le cadre d’une identité typiquement juive. Contrairement à l’Allemagne où l’intelligentsia disait «nous sommes des citoyens allemands et faisons allégeance religieuse à Moïse», ici, nous avions un mélange de Franz Kafka, Sigmund Freud, Thomas Mann, Dostoïewski et Shakespeare en yiddish, ce qui était unique au monde, mais qui donnait aussi une illusion de stabilité. Si nous regardons les deux mouvements qui existaient ici avant la guerre, d’une part les sionistes qui étaient en minorité et dont les théories se sont avérées historiquement justes, et d’autre part, celui des personnes qui voulaient rester ici, dont ma grand-mère et mon grand-père qui faisaient partie de la bourgeoisie juive et qui étaient persuadés qu’en raison du grand nombre de Juifs, rien ne pourrait leur arriver, il faut bien reconnaître que ceux-ci ont commis une faute grave. D’une certaine manière, ceci est compréhensible, car ils étaient immergés dans un monde juif si solidement ancré et intellectuellement si puissant qu’ils n’auraient jamais pu imaginer que ceci pourrait un jour disparaître et que la tragédie que nous avons connue puisse avoir lieu. Ils ont aussi été totalement pris par surprise par la collaboration et l’activité antisémite de leurs meilleurs voisins. Au cours des 100-150 ans qui ont précédé la Shoa, il y a certes eu des répressions tsaristes et des actes d’antisémitisme, mais il n’y a jamais eu de planification globale de la destruction absolue de toute la richesse et la plénitude culturelles juives et de l’annihilation physique totale des masses.

Comment la situation a-t-elle évolué après l’indépendance ?

En 1988, j’avais à l’esprit de rester ici et d’y développer un certain renouveau juif, mais ceci ne pouvait se faire que dans un cadre limité. Le «Yiddishland» tel qu’il avait existé avant la guerre et l’occupation soviétique, était simplement et définitivement mort. Nous sortions d’une période grise dominée par la peur et chacun était confronté à une nouvelle situation qui, en fait, impliquait un changement de vie assez radical et un bon nombre de Juifs quittèrent le pays. J’avais alors écrit un article dans le premier numéro du journal communautaire «Jerusalem of Lithuania» (en yiddish «Jerushalayim de Lite»), dont le titre était: «Shalom à ceux qui partent – Shalom à ceux qui restent». Il est intéressant d’ouvrir une petite parenthèse afin de rappeler qu’à l’époque, il y avait ici plus de Juifs russes que de Juifs lituaniens. Ceci est dû au fait que politiquement, il était plus facile d’être juif dans les pays Baltes qu’en Russie. En effet, toute la propagande antisémite et surtout anti-israélienne était rejetée par les pays Baltes qui, d’ailleurs, n’entretenaient pas de relations amicales avec le monde arabe. Ce rejet n’était pas dû à une soudaine sympathie pour les Juifs ou pour Israël, mais provenait du fait qu’il s’agissait d’une activité qui émanait de Moscou, de l’occupant, par conséquent automatiquement négative. C’était même un peu un acte d’insubordination. Dans les pays Baltes, le sionisme n’était donc pas considéré comme activité anti-soviétique et, dans un certain sens, il représentait un plus. C’est l’une des raisons qui ont fait que des Juifs russes ont choisi de venir vivre dans l’un des trois pays de la Baltique. L’indépendance nationale qui pour nous impliquait avant tout le dégagement de Moscou, signifiait l’établissement d’un nouvel État démocratique pour tous, dans lequel les droits de l’homme constitueraient la toute première règle. Nous avons donc décidé de donner la nationalité à tous ceux qui vivaient ici et qui voulaient y rester, y compris les officiers de l’armée russe. Notre idée de construire un État démocratique indépendant impliquait une rupture totale avec Moscou et la fin de toute forme d’influence soviétique. A l’époque de Yeltsine, les choses étaient assez facilitées mais avec le président Poutine, cela semble être un peu plus difficile. Je dois souligner que nos relations avec les USA et l’Europe sont de toute première importance pour nous. Dans le conflit diplomatique entre les USA et l’Europe, nous sommes pris entre deux feux. Cela dit, lorsque dans une organisation internationale l’Europe vote contre Israël et les USA en faveur de l’État juif, les pays Baltes, la Pologne et la République tchèque votent comme l’Amérique. Je pense que ceci ne va pas durer. Aujourd’hui, ces pays font encore preuve d’une certaine reconnaissance envers les USA pour leur aide dans la lutte contre le communisme. Les pressions européennes deviennent de plus en plus fortes et l’on sait combien, par exemple, la France est pro-arabe. Il faut bien dire que les diplomates arabes sont très actifs dans les pays qui sont candidats à l’adhésion européenne, dont la Lituanie fait partie.
Nous sommes là au centre d’un problème grave et conflictuel, car il faut trouver une manière de surmonter le passé, c’est-à-dire de traiter la question de la culpabilité de la collaboration avec les nazis. Pour notre pays, il s’agit d’un processus d’auto-évaluation très pénible. De plus, une commission parlementaire, que je préside, est chargée d’étudier cette question à fond. Elle est aussi responsable des dégâts commis par les Soviets à l’égard des populations qui vivaient en Lituanie. Pour ma part, j’ai réussi à faire passer une loi permettant aux tribunaux de procéder en l’absence d’un collaborateur nazi ou d’un auteur de crimes. Tous ceux qui sont arrêtés et qui ont plus de 80 ans ont dans chaque poche des certificats médicaux disant qu’ils ne peuvent assister aux procès. Dans le cadre de la loi que j’ai établie, une liaison vidéo entre l’hôpital et la salle du tribunal peut être installée et a valeur de présence du suspect. D’autre part, il y a la question des relations avec Israël et du soutien politique à lui apporter sur le plan international. Israël n’a pas directement participé au combat des pays Baltes contre le communisme, sa lutte contre Moscou se situait sur le front de l’immigration, surtout des Juifs russes. Je ne crois pas que le passé de la Deuxième Guerre mondiale influencera le pays quant à sa politique par rapport à Israël. Afin de prévenir la fin du soutien actuel et éphémère à Israël et que celui-ci se prolonge au-delà de la période de reconnaissance envers les USA, l’État juif a une porte ouverte pour renforcer les relations tant avec la Lituanie qu’avec l’ensemble des pays d’Europe centrale. Je pense que la réponse réside dans la carte économique. Les relations commerciales n’en sont encore qu’à leurs débuts et le tout premier accord économique entre les deux pays a été signé au mois de juin dernier.
En ce qui concerne la manière de surmonter le passé, je crois qu’une étude sérieuse fait son chemin et je vois que, quand ma mère, âgée de 80 ans, va dans les collèges parler de sa vie, de son expérience en tant que juive en Lituanie et des persécutions, il y a toujours des jeunes qui pleurent et d’autres qui veulent en savoir plus. Mais dans l’ensemble, la grande masse est indifférente et il y a une lutte souterraine qui se développe progressivement entre d’une part le désir, certes sincère et authentique, de certains de surmonter le passé en faisant cette fameuse auto-évaluation ouverte et honnête dont nous avons parlé et d’autre part, un essor progressif des néonazis et des hooligans qui, au nom de la liberté d’expression, gagnent du terrain. Pour notre part, nous avons obtenu que chaque bataillon de l’armée ait obligatoirement des cours d’études sur la Shoa, comme c’est d’ailleurs le cas dans les collèges. Cela étant, il est très difficile de prévoir l’avenir car sous peu, la question de la récupération des avoirs individuels spoliés pendant la Shoa va bientôt venir sur le tapis et je sais qu’elle sera très épineuse.

Comment voyez-vous l’avenir de la communauté juive ?

En conclusion, je dirai que nous avons deux responsabilités: assurer une vie juive à ceux qui sont restés ici et promouvoir l’idée d’établir un centre culturel juif nord-européen basé sur notre glorieux passé et tourné vers le futur. Quant à l’avenir de notre communauté, je pense qu’il sera de l’importance de celui des communautés juives scandinaves, sans pour autant disposer de leur puissance financière. Le centre culturel pourrait constituer un atout permettant à la Lituanie de gagner son ticket pour devenir un membre à part entière de l’Europe en faisant la preuve tangible de son désir sincère de confronter son passé, mais aussi en démontrant son ouverture d’esprit envers une communauté qui lui a tant apporté et qu’elle a détruite. D’ailleurs, un pas dans cette direction vient d’être franchi, car j’ai réussi à faire passer une nouvelle loi disant que tous les biens cultuels juifs appartiennent à la communauté juive et ceci commence par les 300 Toroth que nous avons recensées dans le pays, sans parler des livres et du reste.


Effondrement des mythes
«Au cœur de votre histoire et de votre pays, moi, Président de la Lituanie, je viens m’incliner devant la mémoire de plus de 200'000 Juifs lituaniens qui ont été assassinés. Je demande pardon pour les Lituaniens qui ont tué les Juifs sans pitié, qui les ont exécutés, bannis et pillés.» Ces paroles prononcées par le président de la Lituanie, M. Algirdas Brazauskas, devant la Knesset, ont déclenché les foudres des antisémites lituaniens de tous bords. A son retour au pays, il a été littéralement «crucifié» tant dans la presse que dans les milieux politiques et académiques. C’est cette asymétrie entre le discours officiellement pro-sémite et la réalité de l’antisémitisme actuel en Lituanie que Saliamonas Vaintraubas (Shloïmoh Weintroïb) démontre dans son excellent ouvrage «Effondrement des mythes» qui, pour l’instant, n’a été publié qu’en lituanien.
S. Weintroïb, né à Kaunas (Kovno), vétéran de l’Armée rouge de la Deuxième Guerre mondiale et journaliste, joue un rôle très actif au sein de la communauté juive lituanienne depuis sa restauration après l’indépendance. Il a écrit des centaines d’articles, en particulier sur l’antisémitisme. Son livre, publié par la communauté juive de Lituanie et l’Anti-Defamation League du B’nai Brith, est une compilation d’articles et de discours d’intellectuels et de personnalités lituaniennes. Lors de sa présentation à la presse locale, le président de la communauté juive de Lituanie, le Dr Simonas Alperavicius, a notamment déclaré: «Nous savons ce que pensent les Juifs de la Shoa et de l’antisémitisme, mais il est important de savoir ce que les Lituaniens pensent.» Une sélection de 300 déclarations et extraits de discours de dirigeants lituaniens, d’articles de journaux, d’essais, de sermons, de lettres de politiciens, de membres du clergé, d’anciens prisonniers politiques, de déportés et d’historiens y est relatée. M. Weintroïb a fait un énorme travail de lecture et de choix afin de démontrer dans quel esprit la nouvelle Lituanie réagit face à l’antisémitisme. Il montre à quel point, depuis l’indépendance, le discours de la haine des Juifs a libre cours, tant dans la presse que dans les milieux politiques et académiques. Par exemple, il cite le Dr Kazys Bobelis, un officiel lituanien qui a déclaré: «Rappelons-nous que 85% de ceux qui ont tué et martyrisé des Lituaniens étaient des Juifs qui se cachent en Russie ou en Israël. Ils sont des centaines.»
Le livre, très équilibré, prouve que face aux discours ouvertement antisémites, il existe toute une partie de l’intelligentsia qui combat activement l’antisémitisme.
Il faut savoir que l’auteur a établi des archives privées relatives aux questions juives en Lituanie, tant sur le plan politique que légal, littéraire, médiatique, scientifique et universitaire. Il contient aussi des copies de correspondances privées de politiciens lituaniens qui s’expriment ouvertement pour ou contre l’antisémitisme.
«Effondrement des mythes» est un ouvrage très érudit de recherche qui mérite définitivement d’être traduit dans une langue accessible à tous.


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